Rapport de la Commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques

Question orale sans débat n° 0420S de M. Jean-Jacques Mirassou (Haute-Garonne – SOC) publiée dans le JO Sénat du 05/02/2009 – page 272

M. Jean-Jacques Mirassou rappelle à M. le secrétaire d’État à la défense et aux anciens combattants que la Commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques, instituée à la demande de l’Elysée vient de remettre son rapport qui préconise de réduire de douze à trois le nombre des journées de commémorations nationales (le 8 mai, le 14 juillet et le 11 novembre, toutes trois fériées). Les autres dates ne seraient pas supprimées mais deviendraient des commémorations locales ou régionales.

Dans ses conclusions la Commission relève que les commémorations connaissent une véritable désaffection. Il faut redire, ici, que des choix contestables ont brouillé les cartes comme celui de la date du 5 décembre, censée rendre hommage aux morts de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie qui a été fixée dans l’arbitraire en excluant toute concertation !

Si les auteurs du rapport soulignent que les commémorations doivent aujourd’hui pouvoir s’adapter pour introduire une politique de mémoire qui réponde aux évolutions de notre société, plus conforme à la diversité de notre pays et plus en phase avec les attentes des jeunes générations, est-ce une raison pour introduire une concurrence des mémoires en direction de tous ceux et toutes celles qui ont combattu pour sauver le pays ou nos idéaux ?

Aux côtés des anciens combattants, il s’oppose avec la plus extrême détermination à toute velléité d’instaurer une telle pratique qui, en dévalorisant des dates de mémoire, dévalorise des pans entiers de notre histoire collective.

Il souhaite donc savoir vers quelle solution s’oriente le Gouvernement.

Réponse du M. le secrétaire d’État à la défense et aux anciens combattants  publiée dans le JO Sénat du 04/03/2009 – page 2243

La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, auteur de la question n° 420, adressée à M. le secrétaire d’État à la défense et aux anciens combattants.

M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez adressé, à la fin de l’année dernière, le rapport de la commission Kaspi, qui avait été chargée par votre prédécesseur de mener une réflexion sur la modernisation des commémorations publiques.

Je serais tenté de dire que l’entreprise serait louable : on assiste, malheureusement, à une certaine désaffection du public pour ces commémorations. Il est important de lancer une réflexion qui puisse permettre de mettre en place une politique mémorielle – terme quelque peu barbare ! – permettant de répondre de façon plus pertinente à l’évolution de notre société et aux attentes des jeunes. On le sait bien, ces derniers sont parfois réticents à participer à ce type de commémoration qu’ils considèrent comme une tradition passéiste. Pourtant ces commémorations sont éminemment pédagogiques, elles permettent d’éclairer l’avenir en s’appuyant sur les leçons de l’histoire.

Certains errements ont, il est vrai, contribué à un brouillage des cartes : le choix arbitraire de la date du 5 décembre, qui n’a aucune signification historique, pour rendre hommage aux morts des combats d’Afrique du Nord n’est pas de nature à crédibiliser les commémorations, alors que le rapport avait établi que la date du 19 mars était beaucoup plus pertinente.

Au-delà des intentions, qui sont louables, ce rapport suscite un certain nombre d’interrogations.

Dans la lettre que vous nous avez adressée et qui accompagnait ce rapport, vous sollicitez l’avis de l’ensemble des acteurs de ce champ d’activité afin de connaître leur point de vue quant aux suites qu’il convient de donner à ce rapport.

Or ce rapport a été rendu public et vous avez dû comme moi vous apercevoir qu’il suscitait, au sein du monde combattant, de larges interrogations pour ne pas dire une contestation assez importante.

Effectivement, ce rapport précise que, sur les douze dates mémorielles qui sont reconnues à l’échelon national, seules trois subsisteraient – le 11 novembre, le 8 mai et le 14 juillet – les autres dates seraient laissées à la discrétion des collectivités locales, des départements et des régions.

Cela veut dire de fait que, au-delà de la suppression de neuf dates nationales, on assisterait à une sorte de hiérarchisation entre les commémorations qui auraient une portée nationale et celles qui seraient laissées à la discrétion des collectivités territoriales. Nous y voyons, comme une grande partie du monde combattant, la dévalorisation d’un certain nombre de dates qui, pourtant, parce qu’elles jalonnent l’histoire de notre pays, ont, sur le plan pédagogique, une valeur inestimable et sont de nature à rapprocher la jeunesse de l’histoire de son pays et des principes républicains.

Tout récemment, lors de l’assemblée générale de l’union départementale des anciens combattants de Haute-Garonne, j’ai constaté que l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés avaient manifesté la même hostilité à cette forme de hiérarchisation des dates mémorielles.

J’ajoute, à cet égard, qu’un certain nombre de collectivités locales ont engagé des démarches afin que le 27 mai – date de la création du Conseil national de la résistance – avec tout ce que cela implique, notamment par rapport à certains débats actuels, puisse entrer dans le calendrier mémoriel.

Ma question est simple, monsieur le secrétaire d’État : j’aimerais savoir quelles suites vous entendez réserver au rapport Kaspi et si, en même temps, conformément à ce que vous écrivez dans la lettre que vous nous avez adressée, vous allez consulter les élus locaux et toutes les parties prenantes de ces commémorations qui engagent la responsabilité collective.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État à la défense et aux anciens combattants. Monsieur le sénateur Jean-Jacques Mirassou, le rapport de la commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques, présidée par l’historien André Kaspi, a été remis au Gouvernement le 12 novembre 2008, à l’issue d’une année de réflexion et de larges consultations effectuées au sein du monde combattant.

J’ai d’ailleurs moi-même participé à la séance lors de laquelle a été rendu public ce rapport, que j’ai transmis à l’ensemble des parlementaires et des responsables d’associations.

Ce rapport est intéressant à bien des égards, même si, comme vous le savez déjà, nous n’en avons pas repris toutes les conclusions. Il a mis en exergue plusieurs phénomènes préoccupants parmi lesquels l’augmentation significative du nombre de commémorations nationales entre 1999 et 2003 et, parallèlement, la désaffection relative du public vis-à-vis des commémorations nationales.

Alors que six grandes dates avaient été créées par le législateur ou le Gouvernement entre 1880 et 1999, six nouvelles dates sont venues enrichir notre calendrier commémoratif en l’espace de quatre ans, portant ainsi le nombre total de ces commémorations à douze.

Il convient d’ajouter – vous l’avez d’ailleurs fait – que certaines associations, appuyées par des membres du Parlement, sollicitent aujourd’hui du Gouvernement la création de nouvelles dates commémoratives nationales, afin d’honorer notamment le souvenir des combats de l’Armée d’Afrique ou marquer l’importance historique de la première réunion du Conseil national de la Résistance le 27 mai 1943, rue du Four, à Paris. D’autres revendications existent, notamment en ce qui concerne la guerre d’Algérie, qui toutes méritent attention.

J’en profite d’ailleurs pour vous dire, anticipant la conclusion de ma réponse, que beaucoup de dates sont aujourd’hui commémorées et qu’elles le sont souvent de manière officielle, parfois très large, sans avoir la dénomination de commémoration nationale. Bien plus de douze dates sont commémorées chaque année, ce qui est d’ailleurs très heureux, certaines le sont sur le plan local ou régional, d’autres ont un écho national.

La tendance haussière qui s’exprime a été relevée par la commission Kaspi, qui s’est inquiétée de ce phénomène d’« inflation mémorielle », c’est son expression, non la mienne ; je considère que chaque fois que des personnes veulent commémorer un événement, une tragédie, un combat, c’est un point de vue qui doit être respecté.

Cela dit, le phénomène d’organisation de manifestations ouvertes largement au public et les difficultés que nous rencontrons sur le terrain – je suis moi-même maire – sont une réalité que vous avez d’ailleurs vous-même soulignée. C’est dans ce contexte que la commission Kaspi – c’est l’un des apports positifs de son travail – a formulé un certain nombre de recommandations, visant, d’une part, à mieux valoriser les commémorations les plus fédératrices de notre communauté nationale, le 8 mai, le 14 juillet, le 11 novembre – personne ne nie l’importance de ces dates, ce n’est pas créer une hiérarchie que de le dire – et, d’autre part, à renouveler les rites commémoratifs afin de pérenniser et de renouveler le public assistant à ces commémorations.

C’est un sujet que je connais puisque, que dans ma commune, j’ai initié, après plusieurs tentatives mitigées, un renouvellement de ces pratiques en y associant davantage les jeunes générations, à travers des associations comme le Souvenir Français et les écoles.

Le 11 novembre dernier, pour la première fois, j’ai pu constater combien il était possible d’intéresser les jeunes à ces événements – ils ont été des centaines à y participer -, dès lors qu’un certain nombre d’enseignants sont motivés. Par là même, cela permet de renouveler l’attention du public et de donner, pour la grande satisfaction du monde combattant, une autre dimension, plus pédagogique, à ces manifestations, faisant davantage le lien entre les événements qui sont commémorés et les enjeux d’aujourd’hui. Cette démarche, à laquelle vous avez fait allusion dans votre propos, est aussi celle de la commission Kaspi.

 En tout cas, le Gouvernement a clairement affirmé qu’il n’était pas dans son intention de supprimer, ni même de hiérarchiser, les grandes commémorations nationales aujourd’hui existantes. Il n’est pas non plus dans ses intentions d’introduire une forme de concurrence des mémoires en direction de quiconque. Le rôle du Gouvernement est, au contraire, de valoriser tous les pans de notre mémoire nationale, sans exclusive, en s’assurant également de la bonne transmission de ces mémoires en direction des jeunes générations, j’y faisais allusion à l’instant.

Telle est l’orientation donnée par le Gouvernement à sa politique de mémoire, dans le respect de l’engagement des générations passées et dans l’intérêt civique des générations futures.

Je pense avoir été extrêmement clair lors de la publication du rapport Kaspi en novembre dernier en écartant d’emblée tout motif d’inquiétude, comme je l’avais d’ailleurs déjà fait dans le cadre des polémiques qui avaient précédé cette publication. Ces interrogations resurgissent effectivement aujourd’hui après que le rapport Kaspi a été diffusé dans un certain nombre de réunions d’anciens combattants. Pour autant, c’est un débat intéressant.

Tout ce qui pouvait être dit pour rassurer le monde combattant a été exprimé très clairement, a même été répété par le Président de la République le 11 novembre dernier.

Gardons du rapport Kaspi le meilleur, c’est-à-dire les propositions visant à la fois à renforcer certaines très grandes commémorations nationales et à valoriser la démarche mémorielle dans le cadre de commémorations qui n’ont pas le caractère national qu’ont les douze commémorations auxquelles je faisais allusion tout à l’heure.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.

M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le secrétaire d’État, votre réponse relève de la déclaration d’intention, ou, pour le dire avec plus de mansuétude, de bonnes intentions.

Quand, sur douze dates à portée nationale, on constate, de manière arithmétique, que trois seulement seront préservées, cela veut dire que, par exemple, la commémoration du 18 juin 1940 disparaît, au même titre que la Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux « Justes » de France ou la Journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation.

Cela ne semble guère opportun alors même que la jeunesse s’interroge, que reviennent dans l’actualité les discours négationnistes de certains et les actes odieux de ceux qui profanent les cimetières ou autres lieux, témoignant d’une résurgence du racisme et de la xénophobie.

Supprimer du calendrier mémoriel national les dates que j’évoquais, qui sont parfaitement emblématiques et qui rappellent les combats de ceux qui, à d’autres époques, se sont illustrés en luttant contre le racisme ou la xénophobie, n’est pas l’aspect le plus intéressant du rapport Kaspi. Quand il ne resterait que douze dates nationales, on ne peut pas dire que cela relève de l’inflation mémorielle.

Monsieur le secrétaire d’État, le monde combattant, que vous fréquentez sans doute plus assidûment que moi du fait de vos fonctions, mais que je connais quand même aussi, a exprimé de grandes inquiétudes sur ce sujet. Le maintien des choix du rapport Kaspi ne manquerait pas d ‘engendrer de vives réactions.

Source : JO Sénat du 04/03/2009 – page 2243

 

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