Communiqué de l’évêque aux armées
Ce mardi 4 juin 2013, un clip musical a été tourné à l’intérieur de la chapelle du Val de Grâce sans l’aval de l’aumônerie militaire. Je déplore les conditions de ce tournage et je ferai tout pour que la clarté soit faite autour des autorisations données et, en particulier, de la tenue à l’écart des responsables religieux. Beaucoup de personnes nous ont fait part de leur émotion et de leur blessure : je les partage totalement.
Par ailleurs, les plus hautes autorités militaires et civiles du ministère de la Défense ont été immédiatement prévenues et une enquête de commandement a été diligentée dès le mardi soir. Cette affaire est prise très au sérieux par tous. Je les en remercie au nom de tous les catholiques et de tous les croyants de quelques religions qu’ils soient.
Ce clip visait à mettre en scène la chanteuse Arielle Dombasle chantant l’Ave Maria sur fond d’église, entourée de moines et d’anges. Ces éléments ne montrent à notre connaissance aucun élément directement attentatoire à notre foi, à nos signes et rites sacrés. En tant qu’évêque, seul habilité par le droit à trancher sur ces faits, je n’y vois donc pas une profanation ou un blasphème, au contraire de ce qui s’est déroulé dans la chapelle de la base navale de Toulon au mois de décembre 2012. Tout prise de parole pour dénoncer les faits doivent, d’une part, éviter les procès d’intentions et, d’autre part, renoncer aux caricatures en cernant au plus près les faits.
En revanche, je déplore et condamne fermement deux manquements lourds de sens.
Le premier, objectif, concerne les conditions du tournage largement décalées par rapport au sacré de cette chapelle malgré la vigilance des autorités militaires en charge du lieu. Si l’Eglise ne refuse pas a priori les demandes qui lui sont faites concernant un usage extraordinaire de ses lieux saints, elle n’en demeure pas moins gardienne de leur sens en toutes circonstances. Il ne viendrait à l’idée de personne de jouer au foot dans un cimetière même si les surfaces s’y prêtent. Pourquoi user d’une église comme décor de théâtre ? S’il est acceptable de filmer une cérémonie malgré les contraintes techniques, c’est en raison du bénéfice spirituel qu’en tireront des personnes absentes ou malades. Un tel tournage conserve le sens des lieux et des cérémonies. Mais il n’est pas acceptable que des sanctuaires vivants et priants servent à la promotion du show business ou d’une marque de parfum. Il existe des studios pour cela.
Le second, subjectif, touche au processus de décision qui « oublie » aujourd’hui l’expertise et l’autorité catholiques, moi-même ou l’un de mes représentants. Oubli d’autant plus regrettable qu’il a été précédé d’un incident antérieur survenu dans cette chapelle, il y a quelques mois. Il ne s’agit pas de revendiquer une prérogative mais de tenir un droit. Le droit de l’ « usager » et le droit de l’expert. Si ce processus n’est pas correctement mis en place, on va cumuler les méfiances, accumuler les erreurs et envenimer un climat général par la suspicion et le mépris réciproques.
Ces deux manquements sont lourds de sens : ils désignent un état mental extrêmement périlleux pour l’avenir de notre vivre en commun en France. Quel est-il ? Inquiet des religions qui lui échappent, l’homme se trouve pourtant attiré par elles et il cherche à les instrumentaliser. Ainsi nos lieux sacrés fascinent : édifices uniques par leur puissante charge symbolique, ils deviennent le décor « nécessaire » d’événements sans aucun lien avec eux. Ainsi, hier, tel pense à se suicider devant l’autel de la cathédrale Notre Dame de Paris pour donner une portée prestigieuse à son geste. Aujourd’hui, telle femme songe au Val de Grâce pour élaborer une image d’infini à son chant. Demain, pourquoi pas ?, un autre se chargera de festoyer dans nos vases sacrés transformés en vaisselle de luxe, avec cette note d’interdit qui donne du goût à tout.
Cela rappelle une très vieille histoire, l’histoire du Roi Balthazar, dont on trouve le récit dans le livre du prophète Daniel (Dn 5, 1 à 30). On y lit que Balthazar, roi de Babylone, au cours d’un festin et sous l’emprise du vin, « ordonna d’apporter les vases d’or et d’argent que son père Nabuchodonosor avait ravis au sanctuaire de Jérusalem pour y faire boire le roi, ses seigneurs, ses concubines et ses danseuses. » Les abus de pouvoir se retournent contre leurs auteurs. A peine avaient-ils commencé à boire, qu’une main mystérieuse se mit à écrire sur le mur de la salle. La peur les saisit tous mais seul le prophète pût comprendre l’inscription : « Dieu a mesuré ton Royaume et l’a livré. Tu as été pesé à la balance et ton poids se trouve en défaut. Ton royaume a été divisé et donné à d’autres (Mèdes et perses). »
Une nation s’affaiblit à se fondre dans l’irrespect du sacré, par jeu ou par intérêt. Car le respect est la force des nations. Et la source du respect, c’est l’humilité devant ce qui nous dépasse.
+ Luc Ravel, évêques aux armées, ce 5 juin 2013.