Le CEMAT fait sa cuisine dans son coin. (Renaud Marie de Brassac)

Masterchef est à la mode ! Alors, parlons un peu popote à propos d’un point sensible dans les armées : l’avancement des officiers, freiné et contrarié par la crise en cours.

Pour éviter la cuisine standardisée en matière d’avancement, concoctée par l’Etat-major des armées (EMA), le chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT) vient de décider de faire sa tambouille dans son coin.

Les officiers promus selon la couleur de leurs yeux, ou selon leur IRIs ?

En septembre 2011, l’EMA a produit une instruction relative à l’avancement des officiers (Instruction n°7215/DEF/EMA/RH/PRH du 2 septembre 2011), publiée au Bulletin officiel (NOR DEFE11518053).

Ce texte signé du général de corps d’armée de Saint-Salvy, sous chef d’état-major ressources humaines de l’EMA précise que, « dans le cadre du processus harmonisé d’avancement des officiers », le travail d’avancement prend en compte trois éléments :

un classement annuel par corps et par grade « fondé sur la valeur comparée des officiers classés entre eux en fonction de leurs aptitudes et de leur potentiel d’évolution vers des emplois et des responsabilités supérieurs ». Ce classement n’est pas communiqué aux intéressés.

une mention d’appui non communiquée, offrant 4 choix à l’autorité compétente : IP : à inscrire en priorité, MI : mérite d’être inscrit, IS : à inscrire si possible et AJ : ajourné.

un indice relatif interarmées, dénommé IRIs.

Cet IRIs est « une cotation chiffrée constituant un des éléments de l’appréciation du potentiel de chaque officier ». La valeur de l’IRIs est comprise entre 1 (pour la moins bonne) et 7 pour la meilleure. Une annexe permet de fixer la cotation en fonction d’une grille d’évaluation des mérites. Ainsi, un lieutenant-colonel à l’IRIs 7 est un « officier exceptionnel présentant dès à présent un très haut potentiel et une réelle aptitude à occuper immédiatement tout emploi de responsabilité supérieure dans de nombreux domaines ». Tandis que la cotation 5 correspond pour le même grade à un « officier remarquable au potentiel élevé. Apte à  court terme à occuper un emploi de responsabilité supérieure ».

Pour corser le tout, une circulaire du 20 septembre 2011 n°231548/DEF/RH-AT/CHANC (NOR DEFT1151806C), signée du général, directeur des ressources humaines de l’armée de terre, explique que la somme des IRIs annuels constitue un IRC (C pour cumulé) et que la sommes des indices cumulés initiaux forme l’IRCi.

Pas content de votre IRIs : circulez, il n’y a rien à voir.

La cotation de l’IRIs est communiquée aux intéressés. Mais, en cas d’insatisfaction de son attributaire, la cotation ne peut faire l’objet d’un recours devant la CRM. En particulier, la circulaire de l’armée de terre précise dans un paragraphe n°6 : « L’IRCi représente la stricte transposition du niveau relatif atteint et du potentiel à l’avancement qu’il représente. A ce titre, il ne constitue pas une appréciation nouvelle. Chaque variation annuelle du niveau relatif ayant pu faire l’objet d’un recours dans le cadre de la notation annuelle, l’IRCi n’est pas susceptible de recours. »

On a ainsi recréé le principe de l’infaillibilité du chef : mieux que celle du Pape…

La commission s’est d’ailleurs déclarée incompétente à plusieurs reprises. Et à notre connaissance, aucune décision juridictionnelle n’est intervenue sur le sujet.

De notre modeste point de vue, la création ex nihilo de l’IRIs nous semble discutable sur le plan légal pour diverses raisons. La création et l’attribution de l’IRIs, cotation chiffrée du potentiel d’un officier, alors que cette donnée fait partie intégrante de la notation, contournent en fait les règles relatives à la notation, fixées par décret. Si l’IRIs est la « transposition stricte » de niveaux et potentiels déjà attribués, pour quelle raison avoir inclus une grille d’évaluation en annexe de l’instruction ? Pour quelle raison, aucune mention de la notation annuelle n’y figure comme si l’IRIs était effectivement déconnecté de l’appréciation annuelle sur la manière de servir ? Pour quelles raisons de telles règles n’ont-elles pas été prises par décret, tout comme celles de la notation ? De plus, le fait de décider que cette cotation est insusceptible de recours, viole le principe du droit à un recours effectif contre toute mesure susceptible d’affecter la carrière d’un agent de l’Etat.

Au passage, le classement annuel non communiqué des officiers par corps et grades, et déterminé sans règles explicites, nous semble tout aussi discutable et devrait être soumis au contrôle de légalité des juridictions administratives. Ainsi, par une simple instruction, on parvient à faire table rase de tous les principes de droit garantissant un minimum de transparence et assurant le respect de l’égalité entre les candidats. Décidément, les officiers généraux sont dangereux pour les libertés publiques, non pas quand on leur confie des armes, mais quand on leur met des stylos dans les mains.

Le recours kaki.

On ne sait pas ce qui se passe dans les autres armées et services, mais dans l’armée de terre qui compte de nombreux officiers, le mécontentement est parvenu aux oreilles du CEMAT, qui a décidé d’organiser son propre recours selon une note n°552766/ DEF/EMAT/CAB/NP du 15 avril 2013, qui vient contredire la circulaire du 21 septembre 2011.

Sans doute, la création de ce  recours part-elle d’une bonne intention. Mais, elle ne fait qu’ajouter une illégalité supplémentaire aux illégalités probables de l’instruction de l’EMA et de la circulaire de la DRH-AT.

« La commission des recours des militaires a été saisie d’un certain nombre de recours contre les IRIs attribués en 2012, en conformité avec la réglementation alors en vigueur. Cette dernière s’est toutefois déclarée incompétente et n’a donc pas pu examiner ces recours. Ces dispositions, qui ne permettent pas l’exercice d’un recours contre l’Iris attribué, ont été reconduites dans la réglementation applicable pour l’année 2013.

Pour autant, le CEMAT a décidé de procéder lui-même à l’examen des recours formulés par les officiers de l’armée de terre contre l’IRIs qui leur a été attribué… ».

Faut-il en conclure que l’IRIs, IRC ou IRCi –on ne sait plus- ne résulterait pas d’une aussi « stricte transposition » des niveaux et potentiels attribués dans les feuilles de notes annuelles que celle affirmée par le DRH-AT ?

La note organise donc un recours de type « CRM » avec un délai initial de 2 mois, puis un délai d’instruction de 4 mois. Il ne s’agit pas d’un recours gracieux, toujours possible, pour faire reconsidérer une décision d’une autorité. Quelle est la valeur juridique des décisions rendues ainsi par le CEMAT à la suite de ce recours ? On l’ignore. En cas de décision négative, les intéressés doivent–ils  se pourvoir devant la CRM ou porter le litige devant la juridiction administrative ? Autant de questions qui démontrent l’amateurisme de cette note.

Elle est signée de l’inamovible chef de cabinet du CEMAT, le colonel Daniel Menaouine, que l’Adefdromil tient à féliciter, au passage, de sa longévité remarquable dans son poste de météorologiste où il contribue à faire la pluie et le beau temps…au sein de l’armée de terre.

L’opacité voulue du système, l’absence de règles précises fixées par une autorité compétente, après avis éventuel du Conseil d’Etat, sont la marque d’un recul  du droit dans nos armées.

Mais que font le cabinet du ministre, le Contrôle général, le DRH-MD, la directrice juridique, issue du Conseil d’Etat ? C’est bien connu : lorsque les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites…

Si l’instruction relative à l’avancement des officiers est la marque de la liberté prise par l’Etat-major des armées pour s’affranchir des règles de droit et de la tutelle des directions du ministère et notamment de la DRH-MD ; si la note du 15 avril 2013 traduit également la liberté que s’accorde l’EMAT par rapport à l’EMA ou à la CRM, il est grand temps d’y mettre fin et de faire rentrer dans le rang  tous les apprentis gestionnaires de personnels, y compris étoilés, et de leur donner quelques cours de droit et de libertés publiques.

Comme dirait la grand-mère de Martine Aubry : « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup ! »

Renaud Marie de Brassac 08/05/2013

 

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