Le calvaire de la veuve du soldat VIDOT

Le Journal du Centre – Samedi 16 novembre :

Depuis la mort de son époux militaire,
il y a onze ans, à Djibouti, Nadine VIDOT-BOULOGNE vit un cauchemar. Sans l’aide de la Grande Muette qui a même réussi à reprendre à cette nivernaise une pension pourtant gagnée, en première instance devant les tribunaux
.

Nevers. – Les grands yeux noirs de Nathalie s’assombrissent à peine. Elle étouffe son émotion, devant la photo de ce papa mort un jour de juin 1993, à 36 ans. Elle fouille dans son portefeuille et sort d’autres images… Nadine, sa maman, peine à retenir des larmes. Le combat dure depuis trop longtemps. Elle se concentre pour délivrer son message : « ce que je veux, c’est savoir la vérité sur les circonstances du traitement de mon mari à Djibouti. Ce que je veux aussi, c’est que l’Etat prenne en charge ce qu’il appelle ma dette ; que l’honneur de mon époux soit lavé et que la justice ouvre à nouveau ce dossier, pour que mes filles aient le droit de porter le titre de pupilles de la Nation » Pour Nathalie, 22 ans, mais aussi pour Amélie, 16 ans et Laura, 13 ans.

Le cauchemar a débuté le 24 avril 1991. A 7H30, ce jour là, le Maréchal des Logis Chef Jean Pierre VIDOT décharge des caisses de munitions sur un quai à Djibouti. Il ne lui reste plus qu’une semaine à tenir avant de retrouver la métropole et sa famille installée au camp de Jaulges, à Saint Florentin dans l’Yonne. Le mal de tête qu’il trimbale depuis quelques jours ne sera plus qu’un mauvais souvenir. Soudain  un malaise. Puis un second.

On le transporte à l’infirmerie. Puis à l’hôpital pour crise d’épilepsie, d’après un premier extrait du registre de constatations du 10ème bataillon de commandement et de soutien de Djibouti.

Deux années de coma …

Jean pierre VIDOT est dans le coma. Il n’en ressortira plus. De l’Yonne, Nadine ne peut pas obtenir de renseignements sur l’état de son époux. Le 1er mai 1991, on l’évacue sur Paris à l’hôpital du Val de Grâce. Il y reste quatre mois avant d’être transféré au Centre Héliomarin de BERCK (62). Au bout de six mois, il doit quitter les lieux. Son épouse cherche un établissement où l’on peut accueillir ce malade dont la pathologie s’avère trop lourde. Elle contacte tous les hôpitaux militaires sans succès. Finalement, en février 1992, elle trouve un lit au Centre de Long Séjour du Centre Hospitalier de SENS (89). « Ils étaient aux petits soins pour lui », se souvient Nadine. Problème, très rapidement elle ne peut plus débourser les 13 000 F nécessaires tous les mois pour compléter l’aide médicale. L’Armée restera de marbre devant la situation de cette mère de famille surendettée, mais pas le Conseil Général de l’Yonne qui, jusqu’au décès de Jean pierre VIDOT, le 11 juin 1993, versera cette somme.

Durant ces années, Nadine et ses filles se rendent chaque semaine au centre de  SENS, et en mère courage, Nadine entreprend un parcours kafkaîen. Fin 1991, elle se rend à une commission de réforme, à la place de son époux, convoqué alors qu’il est dans le coma depuis huit mois. Quelques semaines plus tard, un imprimé « modèle 115 »lui apprend que la maladie ne peut être imputable à un accident de service, par défaut de preuve. Nadine VIDOT se retourne vers le Tribunal de Grande Instance d’Auxerre. Elle fait appel de cette décision. En août 1997, elle obtient gain de cause. La maladie mortelle de Jean pierre VIDOT est bien en relation avec son service. Elle et ses filles se voient attribuer un arriéré de pensions pour la période 1993-1995, année au cours de laquelle Nadine VIDOT s’est remariée. La somme avoisine les 398 000 F.

L’Armée lui reprend sa pension

Une trop grosse somme sans doute pour la Grande Muette qui retrouve de la voix. Le Ministère de la Défense, dirigé par Alain RICHARD, conteste la décision et obtient en appel, le gain de la cause qu’il défend. Un an plus tard, en mai 1999, le Conseil d’Etat va dans le même sens. Il ne reste plus qu’à rembourser « la dette », un mot que Nadine VIDOT-BOULOGNE peine à prononcer. Tous les mois, elle donne cependant 199 € au Trésor Public. Elle tente d’obtenir une remise gracieuse, en vain. Dans la Nièvre où elle vit depuis à POUGUES LES EAUX, elle sollicite tous les hommes politiques influents. Elle écrit au Président Jacques CHIRAC. Toujours en vain.

Et le sort s’acharne. Le 25 mai 2002 décède le père de Jean pierre VIDOT. Le lendemain, elle perd son père, un ancien légionnaire, pensionné de guerre. Un mois plus tard, un huissier du Trésor Public vient lui signifier une dénonciation de saisie attribution. En clair, l’Etat compte sur les héritages pour rembourser « la dette » restante qui est de 56 554,52 €. A ce jour, les successions sont en cours de règlement. Un récent courrier adressé à Michelle ALLIOT MARIE, Ministre de la Défense, a reçu une réponse négative, le 17 septembre dernier, du … Service de Pensions des Armées.

Difficile, trop difficile combat pour une femme et ses trois enfants, même si Nadine VIDOT-BOULOGNE a du courage à revendre. C’est pourquoi elle a décidé cet été de « tirer sa dernière cartouche » . En contactant l’ASSOCIATION DE DEFENSE DES DROITS DES MILITAIRES, Michel BAVOIL, Président de ce qui peut être considéré comme le premier syndicat de la Grande Muette, se bat depuis à ses côtés. Et il compte bien obtenir gain de cause devant la justice.

Philippe DEPALLE

Une erreur de diagnostic ?

Dans le combat qu’elle mène depuis onze ans figure une priorité pour Nadine VIDOT-BOULOGNE. Savoir ce qui s’est passé ce jour d’ avril 1991. Pour l’Association de Défense des Droits des Militaires, un médecin a tenté de reconstruire la dernière semaine de Jean pierre VIDOT à Djibouti . Son rapport pointe une « fatale erreur de diagnostic, sous réserve d’autres documents portant témoignages ». Jean pierre VIDOT souffrait depuis quelques jours de céphalées, d’asthénie. Une ordonnance délivrée six jours avant le drame le prouverait. Le 23 avril, le malaise survient. Le Chef direct de Monsieur VIDOT assiste à la scène. Pour lui, il ne s’agirait pas d’une crise d’épilepsie dont il connaît les symptômes. Pourtant, et comme le souligne un premier extrait du registre du 10ème bataillon de commandement et de soutien de Djibouti, le Maréchal des Logis Chef VIDOT serait admis au Centre Hospitalier des Armées BOUFFARD pour une « crise comitiale » (relative à l’épilepsie). Et si une ponction lombaire met en évidence une hémorragie méningée, le premier diagnostic ne serait pas remis en cause pour autant, puisque le Maréchal des Logis Chef VIDOT est seulement placé en observation. Des documents en notre possession tendent à démontrer ce rapport.

C’est en effet seulement dans le deuxième extrait du registre du 10ème bataillon de commandement et de soutien de Djibouti, daté comme le premier du 24 avril 1991 (et envoyé à Madame VIDOT le 29 octobre 1991) qu’il est question d’hémorragie cérébro-méningée.

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