Faut-il sauver le légionnaire GHOST ? (1) (Par Renaud Marie de Brassac)

Le réquisitoire sévère de Diogène contre les journalistes et les réseaux sociaux,  mis en ligne sur le site de l’Adefdromil et  intitulé « Tempête dans un verre d’eau », pousse le bouchon un peu loin. Cette réaction et d’autres ne doivent pas masquer la gravité de la faute commise par un légionnaire du 1er régiment étranger de cavalerie. En effet, le dimanche  20 janvier 2013, à Niono au Mali, ce légionnaire  s’est dissimulé le visage derrière un foulard représentant une tête de mort, en étant de faction, dans le but nous dit-on après coup, de se protéger du sable soulevé par un hélicoptère.

Au cours du point de presse du lundi 20 janvier 2013, le colonel Thierry Burkhard porte parole de l’Etat-major des armées a déclaré suite au questionnement d’un journaliste : « C’est un comportement qui n’est pas acceptable » « cette image n’est pas représentative de l’action que conduit la France au Mali à la demande de l’Etat malien » et de celle que mène ses soldats souvent « au péril de leur vie ». Interrogé sur d’éventuelles sanctions, le colonel a répondu que le militaire était « en cours d’identification ». (Source Midi libre avec AFP 22/01/2013).

Ces quelques déclarations parfaitement fondées ont suscité immédiatement des commentaires acerbes et parfois injurieux à l’égard du colonel  Thierry Burkhard  et du haut commandement militaire. Pour preuve, trois commentaires parmi tant d’autres relevés sur des sites:

1)       « En tant que citoyen français, je demande solennellement la mise à pied immédiate et sans solde de … ce « colonel Thierry Burkhard ». Car pour être à ce point incompétent, ignare de la vie des militaires au combat, et pour réussir à prouver à quel point il est un « planqué », ce colonel ne mérite absolument pas son poste. »

2)      « Un soldat tue, c’est son job, alors que l’état-major des tapettes françaises aille se faire en… en jugeant la tenue du soldat « inacceptable ». Je ne pense pas que l’on puisse confier la défense de la France à ceux qui ont ce type de réflexion. Malheureusement c’est le genre de personnes qui demandent à nos soldats de se faire tuer plutôt que de tuer. »

3)      « Tous ces ronds de cuir de généraux qui ont leur cul sur des fauteuils à des milliers de kms et qui donnent des ordres sans savoir ce que vivent nos soldat, (devraient) arrêter un peu leurs conneries. Je leur souhaite bon courage et qu’ils fassent attention à leurs fesses. »

Pour une bonne compréhension, nous avons rétabli l’orthographe de ces posts, parfois catastrophique.

Au passage, précisons que leurs auteurs tombent probablement sous le coup de la loi pénale et peuvent faire l’objet de poursuites judiciaires au même titre que les directeurs de publication.

Il est bien évident que les généraux et les officiers supérieurs en poste à l’ Etat-major des armées n’ont aucune leçon à recevoir de qui que ce soit, car ils ont tous été au cours de leur carrière chef de section, commandant d’unité, chef des opérations, chef de corps etc..Ils ont, bien sûr,  tous ou à peu près tous, fait leurs preuves sur différents théâtres d’opérations. Toujours sur la brèche suite aux différentes interventions en cours (Afghanistan, Mali, etc.) les volontaires pour prendre leur place ne se bousculent pas au portillon, car nombre d’entre eux montent des permanences opérationnelles sans pour autant percevoir une solde en rapport avec leur disponibilité. On est loin des officiers de salon ! Ces injures et jugements partiaux à leur égard sont déplacés et ne grandissent pas leurs auteurs.

Revenons à notre légionnaire GHOST. Son affaire est grave pour diverses raisons.

Suite au déferlement médiatique sur la toile qu’a suscité sa photo, personne ne sait l’exploitation qui en sera faite par les « terroristes  jihadistes » ou les « Narco-islamistes » dans l’immédiat comme dans l’avenir. Ces extrémistes peuvent en prendre prétexte pour intenter des actions sur le territoire français ou contre nos soldats et ressortissants au Mali.

Cette faute nuit à l’image de l’armée française et aux valeurs qu’elle est censée véhiculer. Les vagues explications données sur une prétendue fonction symbolique de ce foulard tels « le talisman avec lequel défier la mort » ou « je suis l’exterminateur, je n’ai peur de rien » (source site FranceV) sont loin de faire l’unanimité, car la première chose qui vient à l’esprit de tous ceux qui ont connu ou étudié la seconde guerre mondiale , c’est l’association de la tête de mort à la 3e Panzerdivision SS Totenkopf (tête de mort en allemand), unité combattante de la Waffen SS et son cortège d’exactions cruelles et inhumaines. En aucun cas, l’action de l’armée française conduite au Mali ne doit pouvoir être associée ni de près ni de loin au comportement de ce type d’unité !

Cette faute nuit à l’image de la Légion étrangère en général et au 1er REC en particulier. En effet, le port du foulard à l’effigie d’une tête de mort semble avoir été toléré par la hiérarchie de ce légionnaire et  pose le problème de savoir si au sein de cette unité, on ne copie pas à sa manière une tradition des unités mécanisées de la Wehrmacht où l’insigne à la tête de mort était exclusivement réservé aux équipages des véhicules combattants. La culture militaire allemande est toujours prégnante à la légion même si aujourd’hui très peu d’allemands rejoignent ses rangs. On chante encore parfois en allemand dans les rangs de la légion. Des témoignages de légionnaires ont été recueillis par l’Adefdromil. C’est le rôle et la responsabilité des chefs de veiller à ces types de dérives et de les sanctionner sans faiblesse.

Cette faute enfreint l’article D.4137-2 alinéa 2 du code de la défense qui dispose :

« L’uniforme ne doit comporter que des effets réglementaires. Il doit être porté, au complet, avec la plus stricte correction »

L’instruction n°10300/DEF/EMAT/LOG/ASH- DEF/DCCAT/LOG/REG relative aux tenues et uniformes des militaires des armes et services de l’armée de terre du 13 juin 2005 précise :

« Le port de l’uniforme est une prérogative de l’état militaire. Il est obligatoire pour l’exécution du service. Des dérogations à cette règle peuvent être accordées par des instructions ministérielles ou sur ordre du commandement. L’uniforme ne doit comporter que des effets réglementaires. Tout militaire doit veiller à soigner sa tenue et son aspect en se gardant de toute fantaisie. »

« La tenue doit toujours être conforme à la réglementation. Aucun vêtement ou accessoire autre que ceux autorisés par l’EMAT ne doit être porté. »

Il en est de même du code d’honneur du légionnaire en son article 4

«  Fier de ton état de légionnaire, tu le montres dans ta tenue toujours élégante, ton comportement toujours digne mais modeste, ton casernement toujours net. »

Dès lors une sanction disciplinaire s’impose-t-elle ?

L’article D.4137-1 stipule que « Le service des armes, l’entraînement au combat, les nécessités de la sécurité et la disponibilité des forces exigent le respect par les militaires d’un ensemble de règles qui constituent la discipline militaire, fondée sur le principe d’obéissance aux ordres.

Le militaire adhère à la discipline militaire, qui respecte sa dignité et ses droits.

La discipline militaire répond à la fois aux exigences du combat et aux nécessités de la vie en communauté. Elle est plus formelle dans le service qu’en dehors du service, où elle a pour objet d’assurer la vie harmonieuse de la collectivité.

Et en tant que membre des armées, le militaire est tenu a des obligations et doit notamment selon l’article D.4122-1 du code de la défense « se comporter avec honneur et dignité », «observer les règlements militaires et en accepter les contraintes ».

 Le légionnaire comme le soldat est toujours et partout, un ambassadeur de son régiment, de l’armée de terre et de la France.

Dans le cas d’espèce, je crains que cette facette de la mission ne soit pas entièrement remplie par le légionnaire GHOST. Et je ne pense pas que les menaces de pétition sur facebook soient de nature à influencer en quoi que ce soit la hiérarchie qui, en conformité avec l’article R 4137-13 du code de la défense a le droit et le devoir de demander à ce que le légionnaire GHOST placé au-dessous d’elle dans l’ordre hiérarchique soit sanctionné pour la faute commise. La discipline au sein des armées ne se décrète pas dans les médias ni en fonction des humeurs des internautes !

Pour autant et pour parodier Diogène, GHOST n’a pas violé, n’a pas assassiné, n’a pas pillé, n’a pas uriné sur un coran, n’a pas proféré de propos raciste, n’a pas commis d’exaction, gageons que le chef d’Etat-major des armées, la colère passée, dans sa grande bonté magnanime saura tenir compte des circonstances très particulières qui ont fait de notre légionnaire anonyme une vedette des médias bien malgré lui.

Renaud Marie de Brassac

(1) Avec son foulard, le légionnaire ressemble au personnage GHOST du très populaire jeu vidéo de guerre Call of Duty

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