Question écrite n° 01429 de M. Louis Nègre (Alpes-Maritimes – UMP) publiée dans le JO Sénat du 09/08/2012 – page 1805
M. Louis Nègre attire l’attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le terme de condamnation à perpétuité.
La prison à perpétuité est une sanction pour les crimes les plus graves, qui consiste théoriquement en l’incarcération d’un criminel jusqu’à sa mort.
Dans la pratique, les condamnés à perpétuité sont libérables, après des périodes de sûreté de 18 ans, ou 22 ans s’ils sont en état de récidive légale.
Quant au condamné à la « perpétuité réelle » il peut saisir le juge de l’application des peines après trente ans d’emprisonnement.
Il souhaite savoir ce que le Gouvernement compte faire face à cette situation qui, pour beaucoup de Français, apparaît illogique.
Réponse du Ministère de la justice publiée dans le JO Sénat du 27/12/2012 – page 3089
La procédure pénale française s’inscrit dans l’esprit des principes dégagés par la Cour européenne des droits de l’homme, qui a jugé que serait contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et de sauvegarde des libertés fondamentales, qui prohibe les peines et traitements inhumains ou dégradants, le prononcé d’une peine perpétuelle incompressible, privant la personne condamnée de toute perspective de libération (Grande Chambre, arrêt Kafkaris contre Chypre, 12 février 2008).
Aux termes de l’article 132-23 du code pénal, la période de sûreté est une modalité d’exécution de la peine privative de liberté pendant la durée de laquelle les dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de la peine, le placement à l’extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté ou la libération conditionnelle ne sont pas applicables.
L’article 132-23 du code pénal prévoit qu’en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité prononcée pour les infractions spécialement prévues par la loi, la période de sûreté automatiquement attachée à la peine est de dix-huit ans.
La cour d’assises peut toutefois, par décision spéciale, soit porter cette durée jusqu’à vingt-deux ans, soit décider de la réduire.
Pour les autres infractions, auxquelles la loi n’attache aucune période de sûreté automatique, la juridiction qui prononce la réclusion criminelle à perpétuité peut fixer une période de sûreté d’une durée qui ne peut excéder vingt-deux ans.
La loi n° 94-89 du 1er février 1994 a créé la peine incompressible en instituant la possibilité de prononcer une période de sûreté perpétuelle.
Ainsi, en application des dispositions de l’article 221-3 du code pénal, la cour d’assises peut décider qu’aucune des mesures susvisées ne pourra être accordée à la personne condamnée pour meurtre ou assassinat d’un mineur de 15 ans, précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie ou pour assassinat commis sur un magistrat, un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de l’administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique, à l’occasion de l’exercice ou en raison de ses fonctions.
Le législateur a toutefois prévu un mécanisme de révision de la durée de la période de sûreté pour tenir compte de l’évolution du condamné en détention.
L’article 720-4 du code de procédure pénale prévoit en effet, lorsque le condamné manifeste des gages sérieux de réadaptation sociale, que le tribunal de l’application des peines peut, à titre exceptionnel, décider qu’il soit mis fin à la période de sûreté ou que sa durée soit réduite.
Toutefois, si en application des articles 221-3 et 221-4 du code pénal, la juridiction a prononcé une peine de réclusion criminelle à perpétuité en lui appliquant un régime de sûreté pendant trente ans, le tribunal de l’application des peines ne peut accorder l’une de ces mesures que si le condamné a subi une incarcération d’une durée au moins égale à vingt ans.
Si la condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité a été assortie d’une période de sûreté pendant pour la totalité de sa durée, le relèvement de celle-ci ne peut intervenir que si le condamné a subi une incarcération d’une durée au moins égale à trente ans, et après une expertise réalisée par un collège de trois experts médicaux inscrits sur la liste des experts agréés près la Cour de cassation qui se prononcent sur l’état de dangerosité du condamné.
En outre, le relèvement de la période de sûreté n’emporte nullement la libération du condamné, qui demeure incarcéré en exécution de la peine à laquelle il a été condamné et pour la durée de la peine fixée par la juridiction.
Il lui permet cependant de solliciter un aménagement de peine et notamment le bénéfice de la libération conditionnelle s’il manifeste des efforts sérieux de réadaptation sociale et lorsqu’il justifie soit de l’exercice d’une activité professionnelle, d’un stage, ou d’un emploi temporaire ou de son assiduité à un enseignement ou à une formation professionnelle, soit de sa participation essentielle à la vie de sa famille, soit à la nécessité de suivre un traitement médical, soit de ses efforts en vue d’indemniser ses victimes soit de son implication dans tout autre projet sérieux d’insertion ou de réinsertion.
En outre, indépendamment de la période de sûreté, un condamné à la réclusion criminelle à perpétuité ne peut, en application des dispositions de l’article 729 du code de procédure pénale, être admis au bénéfice de la libération conditionnelle qu’après avoir exécuté en détention un temps d’épreuve de dix-huit années ou de vingt-deux années s’il se trouve en état de récidive légale.
Enfin, conformément aux dispositions de l’article 730-2 du code de procédure pénale, lorsque la personne a été condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité, la libération conditionnelle ne peut être accordée que par le tribunal de l’application des peines et après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, rendu à la suite d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité.
S’il s’agit d’un crime prévu à l’article 706-53-13 du code de procédure pénale, cette expertise est réalisée par deux experts et se prononce sur l’opportunité, dans le cadre d’une injonction de soins, du recours à un traitement utilisant des médicaments inhibiteurs de libido.
Lorsque la libération conditionnelle n’est pas assortie d’un placement sous surveillance électronique mobile, elle ne peut être accordée qu’après l’exécution, à titre probatoire, d’une mesure de semi-liberté ou de placement sous surveillance électronique pendant une période de un à trois ans.
Le principe de l’individualisation de la peine commande d’adapter l’exécution de la peine à l’évolution de l’individu et ses efforts de réinsertion.
Une personne condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité peut donc être libérée, selon les procédures strictement encadrées par le législateur et selon les mêmes principes qui peuvent conduire une personne condamnée à une peine à temps à ne pas exécuter la totalité de celle-ci en détention en bénéficiant d’un aménagement de sa peine.
La modification des dispositions relatives à l’exécution de la peine de réclusion criminelle à perpétuité n’est donc pas justifiée, la réglementation actuelle permettant de faire place à la nécessaire répression des atteintes les plus graves à la personne humaine notamment, mais également de prendre en compte l’intérêt de la société par une prévention de la récidive en offrant une possibilité d’amendement.
La privation de toute sorte de perspective d’amendement, fut-elle minime, en instaurant une condamnation dont serait totalement absente cette possibilité, au-delà de ne pas correspondre aux valeurs de la République, présenterait un risque fortement accru pour le personnel pénitentiaire et tous ceux qui œuvrent au quotidien pour la prise en charge des détenus purgeant de longues peines ainsi confrontés à des personnes n’étant objectivement plus accessibles à une sanction en cas de passage à l’acte.
Source: JO Sénat du 27/12/2012 – page 3089