Par Arrêt n°358226 du 26 décembre 2012, le Conseil d’Etat a jugé que l’association « Libérez les Mademoiselles ! » n’est pas fondée à demander l’annulation pour excès de pouvoir de la circulaire du Premier ministre du 21 février 2012 relative à la suppression des termes « Mademoiselle » , «nom de jeune fille », « nom patronymique » , « nom d’épouse » et « nom d’époux » des formulaires et correspondances des administrations.
Conseil d’État
N° 358226
ECLI:FR:CESSR:2012:358226.20121226
Publié au recueil Lebon
Mme Sophie-Caroline de Margerie, rapporteur 2e et 7e sous-sections réunies
Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public
Lecture du mercredi 26 décembre 2012
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 2 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par l’association » Libérez les Mademoiselles ! « , dont le siège est 103 avenue Henry Dunant à Nice (06000), représentée par son président ; l’association » Libérez les Mademoiselles ! » demande au Conseil d’Etat :
1°) à titre principal, d’annuler pour excès de pouvoir la circulaire du Premier ministre du 21 février 2012 relative à la suppression des termes » Mademoiselle « , » nom de jeune fille « , » nom patronymique « , » nom d’épouse » et » nom d’époux » des formulaires et correspondances des administrations en tant qu’elle vise la » suppression et l’élimination » du terme » Mademoiselle » des formulaires et correspondances des administrations et à son remplacement impératif par » Madame » ;
2°) à titre subsidiaire, d’annuler cette partie de la circulaire et d’ordonner la réécriture de la disposition comme suit : » Il ne sera préféré aucune des deux civilités « Madame » ou « Mademoiselle » sans le consentement des intéressées, lesquelles seront invitées à exprimer leur choix sur les formulaires administratifs et les correspondances avec les agents de l’Etat » ;
3°) d’enjoindre au Premier ministre de modifier sur le site » circulaire.legifrance.gouv.fr » la catégorie de classement de la circulaire en la désignant comme impérative et non comme interprétative ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 35 ? sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code civil ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu la loi n° 2006-450 du 18 avril 2006 ;
Vu le décret n° 89-403 du 2 juin 1989 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, Conseiller d’Etat,
- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, Rapporteur public ;
et après en avoir délibéré hors de la présence du rapporteur public ;
1. Considérant que l’interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d’instructions l’autorité administrative donne des lois et règlements qu’elle a pour mission de mettre en oeuvre n’est pas susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu’en soit le bien-fondé, faire grief ; qu’en revanche, les dispositions impératives à caractère général d’une circulaire ou d’une instruction doivent être regardées comme faisant grief, tout comme le refus de les abroger ;
2. Considérant que si le Premier ministre ne saurait exercer le pouvoir réglementaire qu’il tient de l’article 21 de la Constitution sans respecter les règles de forme ou de procédure applicables à cet exercice, notamment l’exigence de contreseing résultant de l’article 22 de la Constitution, il lui est toujours loisible, sur le fondement des dispositions de l’article 21 de la Constitution en vertu desquelles il dirige l’action du Gouvernement, d’adresser aux membres du Gouvernement et aux administrations des instructions par voie de circulaire, leur prescrivant d’agir dans un sens déterminé ou d’adopter telle interprétation des lois et règlements en vigueur ; que le recours formé contre les dispositions impératives à caractère général d’une telle circulaire du Premier ministre doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle dont il est soutenu à bon droit qu’elle est illégale ; qu’il en va de même s’il est soutenu à bon droit que les mesures ou l’interprétation qu’elles prescrivent d’adopter soit méconnaissent le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu’elle entendait mettre en oeuvre ou expliciter, soit réitèrent une règle contraire à une norme juridique supérieure ;
3. Considérant que, par la circulaire attaquée, le Premier ministre a relevé que les termes » Madame » ou » Mademoiselle » ne constituent pas un élément de l’état-civil des intéressées et que le choix de l’une ou de l’autre n’est commandé par aucune disposition législative ou réglementaire et indiqué que l’emploi du terme » Madame » devra être privilégié comme l’équivalent de » Monsieur » pour les hommes qui ne préjuge pas du statut marital de ces derniers ; qu’il a en conséquence prescrit aux membres du Gouvernement, aux préfets de région et aux préfets de département de donner instruction aux services placés sous leur autorité » d’éliminer autant que possible de leurs formulaires et correspondances » le terme » Mademoiselle » en lui substituant celui de » Madame » ;
4. Considérant, en premier lieu, qu’il ne saurait être sérieusement soutenu que le Premier ministre, en adoptant la circulaire attaquée, aurait méconnu l’article 35 de la loi du 18 avril 2006 de programme pour la recherche, qui consacre le statut de personne morale de droit public à statut particulier de l’Académie française ainsi que de l’Institut et des autres académies qui le composent ; que les missions de l’Académie française n’ont, en tout état de cause, ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à l’exercice, par le Premier ministre, de la faculté qui est la sienne d’adresser des instructions aux membres du Gouvernement et aux services placés sous leur autorité quant à l’usage de tel mot, expression ou tournure de la langue française par les administrations dans l’exercice de leur action ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu’il ne ressort d’aucune disposition du décret du 2 juin 1989 instituant un conseil supérieur de la langue française que la consultation de cette instance aurait été requise avant l’adoption de la circulaire attaquée ;
6. Considérant, en troisième lieu, que ni la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public ni aucun autre texte ou principe ne fixent de règle particulière de motivation qui s’imposerait à la circulaire attaquée ;
7. Considérant, en quatrième lieu, que cette circulaire n’a nullement pour objet ou pour effet d’imposer à des personnes privées l’obligation d’user de certains mots ou expressions, mais se borne à donner instruction aux administrations de renoncer, dans les formulaires administratifs et correspondances émanant de l’administration, à l’emploi du terme » Mademoiselle » ; que, ce faisant, la circulaire n’a fixé aucune règle qu’il reviendrait au législateur de fixer en vertu de l’article 34 de la Constitution ;
8. Considérant que la circulaire n’a, en tout état de cause, pas porté d’atteinte illégale à la liberté d’expression garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni, en prescrivant d’user à l’égard des femmes d’une forme qui n’entend pas préjuger pas de leur statut marital, au droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
9. Considérant, enfin, que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ;
10. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’association » Libérez les Mademoiselles ! » n’est pas fondée à demander l’annulation pour excès de pouvoir de la circulaire qu’elle attaque ; que ses conclusions à fin d’injonction ne peuvent, dès lors et en tout état de cause, qu’être rejetées ; que doivent également, en conséquence, être rejetées ses conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l’association » Libérez les Mademoiselles ! » est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’association » Libérez les Mademoiselles ! « , au Premier ministre et à la ministre des affaires sociales et de la santé.