L’arrêt n° 354802, rendu le 29 octobre 2012 par les 2ème et 7ème sous-sections du Conseil d’Etat réunies, souligne une nouvelle fois l’exigence du respect des droits de la défense en matière de déplacement d’office en considération de la personne et rappelle que les tribunaux administratifs statuent dans diverses matières en premier et dernier ressort.
Les faits de la cause sont d’une grande banalité.
Par ordre de mutation du 1er avril 2008, Mlle B a été mutée d’office le 1er mai suivant de la brigade de C à la brigade de R. Elle aurait été à l’origine d’une dégradation de l’ambiance de travail en raison de son opposition récurrente aux conceptions de service de sa hiérarchie.
Un rapport proposant son déplacement d’office est établi par son commandant de groupement. Elle reçoit communication de ce document et en émarge chaque page. Tout en refusant d’exercer son droit à recevoir communication intégrale de son dossier, elle demande une photocopie du rapport, qui ne lui est pas délivrée.
Elle forme un recours administratif préalable obligatoire devant la CRM (commission des recours des militaires) contre l’ordre de mutation. Le ministre de la Défense, compétent pour la Gendarmerie en 2008, prend alors une décision de rejet le 8 août 2008. La requérante ne reçoit la photocopie demandée que le 11 septembre 2008, donc postérieurement à la décision du ministre, qui revêtait le caractère d’une mesure prise en considération de la personne dans la mesure où elle se substituait à la décision initiale.
Le Tribunal administratif de Poitiers estime que les droits de la défense ont ainsi été violés et annule la décision du ministre par un jugement du 13 octobre 2010.
Curieusement, le ministre forme un recours en appel devant la CAA de Bordeaux, qui, par un arrêt du 11 octobre 2011 infirme le jugement du TA de Poitiers, estimant que l’émargement du rapport par la gendarme B satisfaisait au respect des droits de la défense.
Ce n’est pas l’avis du Conseil d’Etat saisi d’un pourvoi en cassation par la requérante[1].
La Haute juridiction tacle sévèrement la CAA et les ministères de la Défense et de l’Intérieur.
L’incompétence de la CAA.
Il n’est pas fréquent que le juge administratif suprême indique à une cour administrative d’appel qu’elle a statué dans une matière pour laquelle elle était incompétente. C’est pourtant le cas en l’espèce. En effet, l’article R811-1 du code de justice administrative stipule que le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort (article R 222-13, 2°) sur les litiges relatifs à la situation individuelle des fonctionnaires… à l’exception de ceux concernant l’entrée au service, la discipline et la sortie du service. Il en est de même pour les actions indemnitaires (R222-13, 7°), dont le montant total est inférieur à 10 000 euros (article R222-14).
Les exigences du respect des droits de la défense.
Décidément, l’article 65 de la loi du 22 avril 1905 est une source inépuisable d’annulation, même lorsqu’on croit le connaître et en maîtriser ses subtilités. Le Conseil considère ainsi que la non-délivrance d’une photocopie –demandée par la gendarme- du rapport proposant son déplacement d’office, antérieurement à la réunion de la commission des recours des militaires, méconnait les dispositions de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, alors même que la requérante avait pris connaissance du document. Le Conseil d’Etat estime en conséquence qu’il y a eu violation des droits de la défense. L’Etat est condamné à payer la somme de 4 500 euros à Mlle B, somme qui compense en partie les frais d’avocat qu’elle a dû avancer devant les trois juridictions ayant eu à connaître de l’affaire.
Rappelons qu’indépendamment de cet article de loi[2], l’article 4 de la loi du 17 juillet 1978, dispose que : « L’accès aux documents administratifs s’exerce, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l’administration, soit par consultation gratuite sur place, soit par courrier électronique et sans frais lorsque le document est disponible sous forme électronique, soit, sous réserve que la reproduction ne nuise pas à la conservation du document, par la délivrance d’une copie sur un support identique à celui utilisé par l’administration ou compatible avec celui-ci et aux frais du demandeur, sans que ces frais puissent excéder le coût de cette reproduction ».
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In fine, on ignore si cette victoire fondée sur un principe : celui du respect des droits de la défense, a eu de réelles conséquences sur la situation administrative de Mlle B. En effet, à la lecture de l’arrêt de la CAA, il semble bien que le déplacement était justifié par l’intérêt du service. Dès lors, on peut penser que la requérante n’a pas été renvoyée dans son ancienne affectation, d’autant que la responsabilité de l’Etat ne peut être sérieusement engagée, lorsque la décision annulée reste justifiée au fond.
27/12/2012
[1] Les arrêts du Conseil d’Etat et de la Cour administrative d’appel sont consultables sur le site Legifrance
[2] Tous les fonctionnaires civils et militaires, tous les employés et ouvriers de toutes administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d’être l’objet d’une mesure disciplinaire ou d’un déplacement d’office, soit avant d’être retardé dans leur avancement à l’ancienneté