pour l’Association de Défense des Droits des Militaires à l’appui des requêtes n°306962, 307403, 307405.
Référence : Conclusions de M. le commissaire du gouvernement, Nicolas BOULOUIS, rendues à l’audience du 28 novembre 2008.
Tout en regrettant de ne pouvoir disposer d’un exemplaire écrit des conclusions de M. Nicolas BOULOUIS prononcées le 28 novembre 2008, ce qui ne lui permet pas de formuler des observations pertinentes et précises susceptibles d’éclairer les débats de votre délibéré, l’ADEFDROMIL estime souhaitable d’appeler l’attention de la section du contentieux sur les points suivants.
I) LE REFUS DE RECONNAITRE L’INTERET A AGIR DE L’ADEFDROMIL EST CONSTITUTIF D’UNE DISCRIMINATION.
11) Le code pénal.
Article 225-1
Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques….
Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l’origine, du sexe, de la situation de famille, de l’apparence physique, du patronyme, de l’état de santé, du handicap, des caractéristiques génétiques, des moeurs, de l’orientation sexuelle, de l’âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales.
Il est constant que le refus de reconnaître l’intérêt à agir de notre association, régulièrement déclarée, avec laquelle le ministère de la défense correspond et dont l’objet social n’a jamais été contesté devant le juge compétent, c’est-à-dire le juge judiciaire, constitue une discrimination par rapport aux autres associations, à raison de ces activités syndicales supposées.
Cette discrimination vise à nous refuser un accès légitime au service de la justice auquel a droit tout citoyen et toute personne morale.
12) L’absence de fait justificatif.
Les éminents juristes de votre Haute Assemblée avanceront que l’article L4121-4 du code de la défense constitue un fait justificatif de cette discrimination.
A supposer que l’Adefdromil soit un groupement professionnel militaire, ce qui n’a pas été démontré, le code de la défense ne prévoit aucune sanction. Dès lors, l’interdiction d’ester en justice qui s’apparente à la privation des droits civiques pour une personne physique constitue une privation de droit particulièrement grave et lourde dans une société démocratique alors même qu’elle n’est pas prévue par un texte.
Ce serait donc par une interprétation prétorienne attentatoire à un droit que vous refuseriez de reconnaître l’intérêt à agir de notre association. Cette mesure constituerait incontestablement une sanction non prévue par la loi, difficilement explicable puisque cet intérêt à agir a été reconnu antérieurement, nonobstant le rejet de la requête.
Cette interprétation serait d’autant moins fondée que la loi sur les associations réserve justement au juge judiciaire le pouvoir d’apprécier la légalité de l’objet social d’une association sous réserve de le saisir, ce que le ministre de la défense pour des raisons qui lui sont propres, s’est toujours refusé à faire.
On peut en inférer que l’article L4121-4 du code de la défense ne constitue pas le fait justificatif exonérant des conséquences de la qualification de discrimination prévue par l’article 225-1 du code pénal.
II) LE REFUS DE RECONNAITRE L’INTERET A AGIR DE L’ADEFDROMIL REVIENT A CREER UNE NOUVELLE CATEGORIE D’ASSOCIATION.
L’Adefdromil est-elle un groupement professionnel militaire?
M. le Commissaire du gouvernement a limité ses investigations à l’objet social de notre association et aux travaux parlementaires du statut de 1972 pour déduire que notre association entre bien dans le champ d’application de l’article L4121-4 du code de la défense. Il a omis de relever que les dirigeants de l’association, dont l’identité figure sur son site internet sont tous des retraités. Il aurait pu également rechercher -en vain – les appels à l’indiscipline, aux manifestations, à la désobéissance que notre association n’aurait pas manqué de lancer si elle était ce syndicat prétendu, susceptible de menacer la discipline des armées.
Une conséquence ubuesque.
La conséquence du refus de reconnaître l’intérêt à agir de notre association serait de créer de manière prétorienne une catégorie nouvelle d’association non prévue dans la loi : celles qui sont régulièrement déclarées, mais ne peuvent ester en justice contrairement au droit reconnu par la loi sur les associations.
Entre le droit d’ester en justice reconnu par la loi de 1901 à une association et l’interdiction peu claire du code de la défense, il serait choquant que votre Haute Juridiction choisisse la voie de la répression plutôt que celle du respect du droit associatif, consacré par le Conseil Constitutionnel dans sa décision de 1971.
III) LE RECOURS POUR EXCES DE POUVOIR D’UNE ASSOCIATION SERAIT UNE MENACE SUR LA DISCIPLINE DES ARMEES ?
Le fondement de l’interdiction de l’article L 4121-4 du code de la défense.
Le commissaire du gouvernement a justement rappelé que le fondement de l’interdiction édictée par l’article L4121-4 du code de la défense est ou serait la menace que des groupements professionnels feraient peser sur la discipline militaire. Ce postulat est acceptable si les menaces sur la discipline sont effectivement caractérisées par des appels à la désobéissance, aux manifestations, voire à la grève. En revanche, on ne peut sérieusement soutenir que l’exercice d’une voie de droit contre des décrets, dont l’illégalité est avérée, menace la discipline des armées.
La discipline des armées serait ainsi menacée par l’exercice d’une voie de droit ?
Si tel est le cas, il faut également interdire aux militaires les recours à titre individuels qui constituent un mauvais exemple pour la discipline et leur ouvrent la possibilité de contester les décisions de l’autorité.
Refuser la reconnaissance de l’intérêt à agir de notre association revient en fait à renier un principe établi depuis longtemps par votre Haute Assemblée : celui du caractère d’utilité publique et d’ordre public du recours pour excès de pouvoir consacré par nombre de décisions rendues par le Conseil d’Etat depuis le fameux arrêt Blanco.
IV) L’INTERPRETATION PARTICULIEREMENT ETROITE DE LA NOTION DE RESTRICTIONS LEGITIMES AU DROIT D’ASSOCIATION DES MEMBRES DES FORCES ARMEES PREVUES PAR L’ARTICLE 11§2 DE LA CESDH.
Le commissaire du gouvernement estime que les restrictions légitimes à la liberté d’association peuvent emporter une interdiction absolue de cette liberté envers les membres des forces armées.
Cette interprétation du terme « restrictions » est particulièrement étroite, pour ne pas dire restrictive.
Elle aurait pu sans doute être acceptable dans les années qui ont suivi la ratification de la convention de sauvegarde des droits de l’homme. Au 21ème siècle, il semble difficile de ne pas penser qu’elle est excessive et disproportionnée au but visé, celui de la discipline des armées, dans une société démocratique.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a été amenée à fixer deux conditions pour que l’atteinte aux libertés garanties par les articles 10 et 11 de la CESDH ne soit pas sanctionnée. Elle doit être prévue par la loi et ne pas être arbitraire (CEDH 20/05/1999 Rekvenyi c/ Hongrie. Req. n°25390/94).
Antérieurement, un arrêt Vogt c Allemagne du 25/09/1995 avait précisé que les restrictions fondées sur l’article 11 §2 devaient répondre à des motifs objectifs et s’avérer nécessaires dans une société démocratique, c’est-à-dire qu’elles devaient être proportionnées au but.
En appliquant les faits de l’espèce aux critères retenues par la CEDH, et de notre point de vue de requérante, il est clair que le refus de reconnaître notre intérêt à agir, c’est-à-dire en fait la suppression du droit d’ester en justice est manifestement disproportionné avec le but à atteindre, c’est-à-dire le maintien de la discipline des armées.
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En conclusion, l’ADEFDROMIL réitère les observations formulées dans sa note en délibéré jointe qui faisait suite à l’audience du 3 septembre 2008 et sollicite l’annulation des décrets querellés.
Le 4 décembre 2008.
Lire également:
Note en délibéré du 8 septembre 2008
Conclusions du commissaire du gouvernement du 3 décembre 2008
Arrêt du Conseil d’Etat n°307405
Arrêt du Conseil d’Etat n°307403
Arrêt du Conseil d’Etat n°306962
Comment faire annuler les décrets contestés sur le PACS