LES FAITS.
Une loi [1] a supprimé la condition de durée d’un PACS pour que ce contrat produise des effets en matière fiscale et le statut général des militaires voté en 2005 par le Parlement, ne prévoit, pour ce motif, aucune restriction « des droits et libertés reconnus aux citoyens », dont jouissent les militaires. Pourtant, le ministère de la défense a fait fixer dans plusieurs décrets – juste avant que le président Sarkozy entre en fonction– une durée de trois ans pour que le PACS produise des effets pécuniaires, notamment au regard du remboursement des frais de transport en cas de déménagement ou de versement d’un capital aux ayants droit en cas de décès ou d’infirmités survenues en service ou à l’occasion du service.
Plusieurs décisions individuelles favorables à des requérants pacsés ont été rendues par le Conseil d’Etat, plus haute juridiction de l’ordre administratif en France. Cette règlementation est donc parfaitement illégale et contraire à la protection, dont les militaires doivent bénéficier. Il y aurait même selon des sources fiables, plus de 200 recours en instance pour ce motif devant les juridictions administratives.
C’est dans ces conditions que l’Adefdromil a déféré à la censure de la section du contentieux du Conseil d’Etat trois décrets reprenant la condition de durée de trois ans du PACS.[2]
L’ILLEGALITE MANIFESTE DES DECRETS.
Après une première audience de deux sous-sections réunies, le 3 septembre, le Conseil d’Etat a préféré se réunir en Section. Le Commissaire du gouvernement a produit de nouvelles conclusions dans lesquelles il souligne à nouveau l’illégalité des décrets attaqués :
« Les moyens des trois requêtes tirés de la méconnaissance du principe d’égalité sont donc fondés.
Vous devriez par suite faire droit aux conclusions d’annulation de ces différentes dispositions réglementaires, divisibles des autres dispositions des décrets, si la recevabilité des requêtes ne posait les problèmes qui ont justifié que votre formation de jugement s’y intéresse. »
L’IRRECEVABILITE DE L’ACTION DE L’ADEFDROMIL.
Comme on pouvait s’y attendre après l’audience du 28 novembre 2008, la section du contentieux du Conseil d’Etat, présidée par M. Bernard STIRN, a préféré rendre service au ministère de la défense, qui ne souhaitait pas que le débat sur le droit d’association des militaires revienne devant l’opinion publique.
L’Adefdromil n’a donc pas vraiment été surprise que les arrêts du 11 décembre 2008 la déboutent de sa demande d’annulation de décrets parfaitement illégaux, au motif « qu’elle est irrecevable à agir»,en tant qu’elle serait un groupement professionnel à caractère syndical prohibé par l’article 4121-4 du code de la défense.
Dans un monde presque idéal, celui de la patrie des droits de l’homme et l’année même du 60ème anniversaire de la déclaration universelle, on imagine que les juges de l’ordre judiciaire condamnent les coupables et indemnisent les victimes et qu’ils règlent, conformément au droit, les litiges d’ordre privé.
Quant aux juges de l’ordre administratif, on aurait pu espérer qu’ils protègent les administrés, en l’occurrence les militaires, contre l’arbitraire du pouvoir règlementaire et qu’ils annulent des décrets illégaux. Cette conception d’une « bonne administration de la justice» relève hélas d’un idéalisme républicain naïf.
Il fut une époque, sous les troisième et quatrième républiques, où le Conseil d’Etat osait des avancées jurisprudentielles pour faire prévaloir les principes généraux du droit. A la fin de la guerre d’Algérie, il s’était attiré les foudres du Général de Gaulle en annulant une ordonnance du Président de la République. Aujourd’hui, il fête à sa manière le soixantième anniversaire des droits de l’homme, en refusant d’annuler des textes réglementaires illégaux, alors que c’est sa fonction. Les trois arrêts rendus marquent donc indéniablement une régression du droit.
L’IMPARTIALITE DU CONSEIL D’ETAT EN QUESTION.
Désormais, le Conseil d’Etat, qui recrute ses commissaires du gouvernement à l’ENA, a fait sienne la devise des corps constitués de la République : « pas de vagues ». Et ses membres récitent consciencieusement, avant d’ouvrir un dossier, ce vers de Baudelaire : « j’ai horreur du mouvement qui déplace les lignes », à moins que ce ne soit ceux de Corneille : « Car, on doit ce respect au pouvoir absolu de n’examiner rien quand un roi l’a voulu. ».
Comment croire d’ailleurs qu’il s’agit de véritables magistrats lorsque ces messieurs-dames siègent sous les lambris de la salle du contentieux, non pas revêtus d’un habit judiciaire, mais en tenue de ville, qui en costume, qui en tailleur, comme n’importe quelle commission administrative présidée par le préfet ou son représentant.
Car, lorsqu’on est commissaire du gouvernement et qu’on rend des conclusions « en toute indépendance », il paraît difficile de ne pas penser à la suite de sa carrière, ce que laisse supposer la présence d’un curriculum vitae avec adresse personnelle et situation de famille sur internet.
Quel ministère, en effet, accepterait l’embauche -en fait le détachement- d’un commissaire du gouvernement qui aurait pris position contre les intérêts de l’administration ? Le courage, même intellectuel, a des limites.
Car, on peut toujours espérer devenir directeur juridique du ministère de la défense comme le devint naguère un commisssaire du gouvernement, et qui passa ainsi au service d’une partie, en l’occurence l’Etat, dont il avait réglé les causes pendant plusieurs années.
Cet exemple justifie d’ailleurs que l’on mette en doute l’impartialité du Conseil d’Etat, thème récurrent qui fait l’objet d’abondants commentaires démontrant, que la question ne relève pas d’un simple fantasme de justiciable.
Juste pour illustrer notre propos, revenons sur la présidence de la commission de recours des militaires confiée à un « officier général » par le décret de 2001. Dans les faits, c’est un contrôleur général des armées qui la préside. Or, il se trouve qu’un contrôleur général des armées n’est pas un officier général. Le statut général des militaires voté en 2005 est très clair sur ce point : «la hiérarchie du corps militaire du contrôle général des armées ne comporte ni d’assimilation, ni de correspondance avec les grades de la hiérarchie militaire générale…». Le code de justice militaire dit la même chose dans son article 26. C’est pourquoi, l’Adefdromil avait annoncé un « Trafalgar juridique » sur son site. L’argument avait alors été repris par plusieurs requérants. Et lorsque l’incompétence du contrôleur général a été soulevée pour la première fois devant les deux sous-sections réunies, c’est M. Bernard Stirn, président de la section du contentieux, lui-même, qui est venu présider l’audience pour y apporter le poids de son expérience.
C’est ainsi que l’arrêt du 10/01/2007, suivi d’autres, a fait une interprétation innovante de la loi, au profit du ministre de la défense en jugeant que :
« Considérant qu’eu égard tant à la place qui leur est confiée dans la hiérarchie militaire qu’à la nature et à l’étendue des prérogatives dont ils disposent, les contrôleurs généraux des armées doivent être regardés comme des officiers généraux pour l’application des dispositions précitées du décret du 7 mai 2001 ; que doit ainsi être écarté le moyen tiré de l’incompétence du contrôleur général des armées présidant la commission des recours des militaires ; »
Ce faisant, il a évité, en toute impartialité -honni soit qui mal y pense-, l’annulation de centaines de décisions du ministre prises après avis de la commission de recours présidée illégalement par un contrôleur général.
Bref, le Conseil d’Etat sait prendre de grandes libertés d’interprétation de la loi lorsqu’il s’agit de sauver un ministre. Mais, il s’en tient à une application obtuse et peu regardante des libertés fondamentales pour une modeste association. Et, in fine, il empiète sur la compétence du juge judiciaire pour laisser perdurer une grave illégalité préjudiciable aux militaires.
LA SAISINE DE LA CEDH.
L’ADEFDROMIL a ainsi gagné.
Elle a gagné le droit de saisir la Cour Européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg et de communiquer sur cette décision peu glorieuse.
Car cet arrêt du Conseil d’Etat qui ne figurera pas dans la prochaine édition des « Grands Arrêts », viole selon nous plusieurs articles de la Convention Européenne de Sauvegarde des libertés fondamentales et des Droits de l’Homme. Il s’agit notamment de :
– l’article 6 qui garantit le droit à un procès équitable. La Cour devra dire si une juridiction peut déclarer irrecevable la requête d’une association, régulièrement déclarée, dont elle a accepté d’examiner au fond un recours précédent.
– l’article 11 qui garantit la liberté d’association. La Cour devra rechercher si l’interdiction absolue des groupements professionnels dans l’armée française constitue une restriction légitime dans une société démocratique, fondée sur des raisons objectives et proportionnée au but recherché;
– l’article 13 qui garantit le droit à un recours effectif, dont est privée l’ADEFDROMIL, association pourtant régulièrement déclarée, qui n’a jamais appelé à des actes d’indiscipline et dont l’objet social n’a jamais été contesté devant le juge judiciaire, seul compétent selon la loide 1901 sur les associations;
– l’article14 qui prohibe la discrimination sous toutes ses formes, y compris celle, dont est victime l’ADEFDROMIL pour activités syndicales supposées; discrimination qui lui interdit désormais d’ester en justice, alors même que l’irrecevabilité ne figure pas au nombre des sanctions prévues par la loi. La Cour devra également dire si l’interdiction d’ester en justice est fondée sur des raisons objectives et si la mesure est proportionnée au but à atteindre, comme si l’exercice d’une voie de droit pouvait mettre en péril la discipline militaire.
Bien évidemment, il serait présomptueux de notre part de dire que nous serons entendus. Il reste que notre combat est digne et noble et qu’il doit être mené jusqu’au bout sur ce plan.
L’erreur de l’ADEFDROMIL c’est d’avoir cru qu’une solution juridique était possible dans la République Française. Il est clair que seule une solution politique permettra de mettre fin à l’état de sous-citoyen dans lequel les militaires sont maintenus par l’effet d’un statut voté à main levée par sept parlementaires en 2005. Cette solution qui autoriserait enfin les militaires professionnels à se réunir dans des associations professionnelles pour défendre leurs droits peut, au gré des aléas de la démocratie, voir le jour avant même que la CEDH reconnaisse notre bon droit et condamne une nouvelle fois la patrie des droits de l’homme.
[1] – Loi n°2004-1484 du 30 décembre 2004 portant loi de finances pour 2005
[2] – Décrets n° 2007-460 du 30 avril 2007, n° 2007-888 et 2007-889 du 15 mai 2007
Lire également:
Note en délibéré du 8 septembre 2008
Conclusions du commissaire du gouvernement du 3 décembre 2008
Note en délibéré du 4 décembre 2008
Arrêt du Conseil d’Etat n°307405
Arrêt du Conseil d’Etat n°307403