Discours du Président de la République à l’occasion de la commémoration de la libération de la Ville de Paris
Messieurs les ministres,
Monsieur le maire, cher Bertrand DELANOE,
Messieurs les maires des villes compagnons,
Monsieur le chancelier de l’ordre de la Libération,
Messieurs les compagnons,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs
Mesdames et Messieurs les Elus
Mesdames, Messieurs,
Il y a soixante-huit ans, jour pour jour, Paris redevenait Paris.
Au printemps 1940, la nuit était, en effet, tombée sur la ville lumière. Cinquante mois de colère, de larmes et parfois de honte. Cinquante mois de souffrance, d’humiliation, de privation. Cinquante mois d’impatience, d’insupportable attente et de colère.
Et enfin, au bout de cette interminable épreuve, Paris est libéré par son peuple.
Le 18 août la grève générale éclate, le 19 août 1944, le colonel ROL-TANGUY, chef des Forces françaises de l’Intérieur, adresse un ordre de mobilisation générale à tous les Parisiens de 18 à 50 ans, c’est de toutes parts, de tous les quartiers de la capitale, de Montmartre à Montparnasse, de la colline de Chaillot aux hauteurs de Ménilmontant, que les volontaires ont afflué. Ils élevèrent près de 600 barricades pour ressusciter l’idée, la belle idée qu’ils se faisaient de la patrie, pour venger l’affront fait à la France, pour respirer enfin l’air de la liberté.
Ils furent seuls pendant cinq jours, avant d’être rejoints, le jeudi 24 août, par les premiers éléments de la deuxième division blindée. Les hommes de LECLERC, unis par le serment de Koufra, qui voulaient que Paris soit libéré par la France. Ils entraient dans Paris par la porte d’Orléans. Le lendemain, après des combats acharnés et de lourdes pertes, ils recevaient l’acte de capitulation des forces occupantes. C’était donc la France qui avait libéré Paris.
Au soir du 25 août, le Général de GAULLE, ici, à l’Hôtel de Ville, avec des mots qui sont restés dans toutes les mémoires, dans la conscience nationale, annonçait le retour de la Nation dans sa capitale : « La France, rentre à Paris, chez elle, disait-il. Elle y rentre sanglante, mais bien résolue. Elle y rentre plus certaine que jamais de ses devoirs et de ses droits. »
Paris retrouvait la France, mais plus que la France, la fraternité des partisans venus de partout, de toute l’Europe, des troupes coloniales, des républicains espagnols, des Allemands et des Italiens antifascistes, et des armées de nos alliés américains et britanniques.
Mais rien n’aurait été possible sans la Résistance, sans l’Armée des ombres, sans l’avant-garde des grandes figures et le sacrifice des anonymes.
Je rappelle, une fois encore, à notre mémoire ces Français qui veillèrent sur la France. En célébrant la Libération de Paris, je salue tous ceux qui en ont rêvé, qui se sont sacrifiés et qui ne l’ont pas connue ; tous ceux qui sont tombés pour qu’un jour, après eux, notre pays puisse être ce qu’il est aujourd’hui. Jacques BONSERGENT, exécuté au fort de Vincennes à 28 ans le 23 décembre 1940, Danielle CASANOVA, morte à Auschwitz en 1943, Missak MANOUCHIAN et tous les fusillés du Mont Valérien, les 35 garçons tués à la Cascade du Bois de Boulogne, Jean MOULIN et son « terrible cortège » de suppliciés, tous ceux dont les noms figurent sur des plaques dans les rues de Paris. Des plaques que nous devons regarder autant qu’il est possible pour ne pas oublier, car la République ne les oubliera pas.
La République exprime sa reconnaissance aux armées qui ont libéré la France. La France également exprime son hommage parmi tous ceux-là, aux 1.038 femmes et hommes que le Général de GAULLE a reconnus comme ses compagnons pour la libération du pays. Réunis dans un ordre prestigieux, ils ont rappelé pendant 68 ans aux nouvelles générations ce que furent la force de leur engagement, leur volonté de servir la France, l’honneur de leur combat. Ils ne sont plus qu’une poignée, 25 à représenter la grandeur de l’Histoire, la gloire de ce compagnonnage prestigieux, la fierté d’avoir été les premiers. Ils sont aujourd’hui les derniers à pouvoir témoigner.
C’est pourquoi, le 16 novembre prochain, la direction de l’Ordre de la Libération sera transférée au Conseil des cinq villes compagnons, pour que l’Ordre, dure toujours au-delà de la vie même de ceux qui en ont été membres. Le témoin sera ainsi transmis entre les hommes qui passent et les lieux qui durent.
La flamme de la Résistance, cette flamme « ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas » ; elle sera donc désormais entretenue par ces villes historiques et martyres.
Par l’île de Sein, en souvenir de ses 124 pêcheurs partis dès juin 40 pour rejoindre le Général de GAULLE ;
Par Nantes, qui mérita de recevoir le titre de Compagnon dès novembre 1941 après le massacre des martyres de Châteaubriant ;
Par Grenoble, dont la population n’accepta jamais le fait accompli de la soumission ;
Par Vassieux-en-Vercors, terre des maquisards qui se sont battus jusqu’au bout, pour ne pas dire jusqu’au dernier ;
Enfin, par Paris, comme l’a rappelé son maire, « capitale fidèle à elle-même et à la France ».
La libération de Paris, le 25 août 1944, n’était pas simplement une formidable nouvelle pour la capitale, un évènement considérable pour le peuple ; c’était aussi un signal d’émancipation pour l’Europe qui restait occupée ; c’était l’annonce, c’était le présage de la victoire finale. Vous aimez, Monsieur le maire de Paris, citer Victor HUGO : « Le genre humain a des droits sur Paris ». Oui, le soir du 25 août 1944, c’est sur tous les continents, de Mexico à Santiago du Chili et de Londres à Brazzaville, que les cloches ont carillonné.
Voilà la première leçon de la libération de Paris. C’est d’abord le regard que les nations portent et continuent de porter sur la France et sur Paris. Je recevais, ce matin, le Premier ministre grec pour des raisons que chacun, ici, a à l’esprit ; et il me disait sa fierté d’être reçu en France le jour de la commémoration de la libération de Paris. Parce que le combat pour la liberté que la France a engagé ici à Paris — 1789, 1830, 1848 et tant de soulèvements ! — ce combat a toujours servi de référence au monde. Et encore aujourd’hui, c’est vers Paris que des résistants, des opprimés, des rebelles se tournent quand ils se lèvent pour renverser un tyran.
Je pense en cet instant au peuple syrien, opprimé par un régime qui n’est plus animé que par la peur de disparaître. Ce régime disparaîtra parce que — et c’est la leçon que nous pouvons livrer au monde — quand la liberté est en marche, rien ni personne ne peut l’arrêter. La France a pris et prendra les initiatives nécessaires en soutien de la révolution syrienne, sur le plan politique, sur le plan diplomatique, sur le plan humanitaire pour aider au soulèvement.
La leçon de la Libération aujourd’hui, c’est aussi le refus de toute négligence, de toute complaisance, dans la lutte contre l’antisémitisme — nous n’en avons pas fini –, contre le racisme, contre la xénophobie, contre toutes les formes de haine. Le souvenir de 1944 nous ramène à l’impératif absolu de la transmission ce qui suppose l’enseignement de l’Histoire, dont la place, dans l’école de la République, doit être confortée.
La leçon de la Libération, c’est celle d’un peuple capable de se relever, d’une Nation qui sait affronter l’avenir avec lucidité, cohérence et courage.
Face à toutes les incertitudes — elles sont nombreuses aujourd’hui — et à toutes les inquiétudes — il y en a beaucoup en cette rentrée — que peuvent inspirer l’état du monde, mais aussi de nos économies, nous devons nous inspirer de l’immense effort de reconstruction de la France au lendemain de la seconde guerre mondiale. Comment sommes-nous parvenus à ce redressement ? Comment pouvons-nous faire, aujourd’hui, face à la crise ? Nous rassembler sur l’essentiel, être audacieux sur le plan technologique et industriel, mobiliser tous les acteurs, aller chercher les financements indispensables à notre économie, cultiver l’esprit de réforme… C’est toujours ainsi que la France a su repartir après les épreuves.
La leçon de la Libération, c’est qu’on ne peut concevoir le redressement sans la justice. Au lendemain de la seconde guerre, mondiale l’effort fut d’autant plus librement consenti qu’il fut justement partagé, c’était l’esprit du Conseil national de la Résistance. C’est encore là ce que nous avons à faire : conjuguer l’exigence de production avec le souci du partage.
La leçon de la Libération, c’est de ne rien céder sur la souveraineté nationale. C’était le grand enjeu. En 1944, la France devait retrouver son rang dans le concert des Nations. Soixante-huit ans après, notre souveraineté reste un bien qu’il nous faut préserver face à toutes les formes de menaces ; elles n’ont plus évidemment le même visage qu’il y a plus de soixante ans, mais aujourd’hui ces menaces sont économiques, financières, commerciales, parfois elles sont plus sournoises encore, plus sombres, plus violentes. Nous devons préserver notre indépendance et en même temps faire le choix de l’Europe. Je demande aux générations qui n’ont rien connu d’autre que la paix de mesurer combien cet héritage est précieux : celui de la réconciliation entre des ennemis dont le sang s’est déversé hier, ici, sur les pierres de Paris. Travaillons à construire cette paix sans victoire qui est la plus belle image d’un projet politique et face aux doutes, ils existent, bâtissons une Europe fondée sur une intégration solidaire, faisons en sorte d’être à la fois performant, compétitif et en même temps solidaire avec des peuples qui nous demandent leur soutien.
Ici, sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris, l’Histoire commande et en même temps elle éclaire l’avenir.
Les exemples du passé donnent à nos défis d’aujourd’hui, une valeur et un sens.
La liberté, le progrès, l’indépendance, la souveraineté, la République, l’Europe sont des conquêtes de chaque génération. Le rêve français, il devait bien mobiliser tous ceux qui se sont battus pour la libération de Paris dans les armées de LECLERC, comme chez les résistants, comme chez les partisans, le rêve, il est encore vivant aujourd’hui à condition de nous rassembler sur un enjeu plus haut que nous-mêmes, c’est-à-dire : la place de notre jeunesse. J’exprime en ce 25 août 2012, la gratitude de la Nation, de la République, à ces héros anonymes, à ces résistants obscurs, à ces militaires courageux, au peuple de Paris, c’est grâce, à tous ceux-là, morts pour le plus grand nombre, vivants encore que nous pouvons être aujourd’hui éclairés par la lueur de l’espérance.
Vive la République !
Vive la France !
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