Question écrite n° 23822 de Mme Marie-France Beaufils (Indre-et-Loire – CRC) publiée dans le JO Sénat du 28/06/2012 – page 1397
Mme Marie-France Beaufils attire l’attention de M. le ministre de la défense sur les conséquences de la mise en œuvre de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français.
Elle constate que sur les 700 dossiers déposés et recevables, seuls quatre ont connu une issue positive. Elle demande que les personnels militaires et civils ainsi que les populations soient pris en charge par les dispositifs de la loi d’indemnisation. Elle demande que les Algériens et les Polynésiens qui n’ont pu constituer un dossier puissent être autorisés à le faire. Elle propose également qu’un suivi médical personnalisé soit effectué pour les personnels ayant participé aux essais nucléaires.
Elle estime que les zones de retombées contaminantes doivent être revues et les questions environnementales mieux prises en compte. En Polynésie, tous les archipels ont été touchés. Les risques d’effondrement des structures de l’atoll de Mururoa étant réels, elle lui demande de bien vouloir se prononcer sur cette situation et quelles mesures de précaution et de préservation sont prises face à cette catastrophe écologique prévisible. Pour le Sahara et l’Algérie, différents rapports attestent que la délimitation décrite dans le décret est restrictive. Elle espère que le rapport de la commission franco-algérienne en attente depuis cinq ans pourra paraître rapidement.
Elle pense que la méthodologie du traitement au cas par cas doit être revue. Elle constate que la quasi-totalité des dossiers est rejetée au motif que la preuve scientifique n’est pas apportée entre la présence sur les sites d’essais et la maladie qui peut survenir des dizaines d’années après. Elle suggère que cette question soit traitée comme une affaire sanitaire et qu’un fonds d’indemnisation de type « FIVA » ( Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante), indépendant du ministère de la défense, soit mis en place.
Réponse du Ministère de la défense publiée dans le JO Sénat du 09/08/2012 – page 1835
Le Gouvernement suit avec la plus grande attention le dossier relatif aux conséquences sanitaires des essais nucléaires français et a, notamment, décidé l’indemnisation des personnes atteintes de maladies radio-induites provoquées par les essais nucléaires réalisés par la France, entre 1960 et 1996, au Sahara et en Polynésie française.
La loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, et le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris pour son application ont ainsi créé un régime de réparation intégrale des préjudices subis par les victimes des essais nucléaires français, quel que soit leur statut (civils ou militaires, travailleurs sur les sites d’expérimentations et populations civiles, ressortissants français ou étrangers).
Ce cadre juridique permet à toute personne atteinte d’une pathologie radio-induite figurant parmi les dix-huit maladies listées en annexe du décret du 11 juin 2010, de constituer un dossier de demande d’indemnisation.
Ce dossier doit comporter les éléments attestant de la présence du requérant, au cours de périodes déterminées, dans l’une des zones géographiques de retombées contaminantes, conformément à l’article 2 de la loi du 5 janvier 2010.
Les délimitations précises de ces zones sont fixées par l’article 2 du décret du 11 juin 2010, sur la base de calculs scientifiques.
S’agissant plus particulièrement du Sahara, la délimitation géographique retenue englobe de façon large et complète les zones concernées par des retombées radioactives à la suite des 17 essais réalisés au centre saharien d’expérimentations militaires, près de Reggane, et au centre d’expérimentations militaires des oasis, à proximité d’In Ecker.
La liste des pathologies radio-induites ouvrant droit à indemnisation a été élaborée à l’aide des travaux les plus récents, menés par le Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR).
Les demandes individuelles d’indemnisation sont soumises à un comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), dont les membres ont été nommés par arrêtés du 3 août 2010 et du 21 mars 2011.
Présidé par une conseillère d’État honoraire et composé notamment d’experts médicaux nommés conjointement par les ministres chargés de la défense et de la santé sur proposition du Haut Conseil de la santé publique, ce comité instruit scrupuleusement chacun des dossiers de demande d’indemnisation qui lui est adressé.
Le dispositif en vigueur prévoyant l’examen des dossiers des demandeurs au cas par cas apparaît comme étant le plus pertinent.
En effet, toute autre méthode serait, d’une part, de nature à instaurer une automaticité de la réparation contraire au droit de la responsabilité, d’autre part, scientifiquement infondée.
Les ayants droit des victimes décédées avant la promulgation de la loi précitée, soit avant le 5 janvier 2010, peuvent également solliciter une indemnisation dans un délai de cinq ans à compter de cette promulgation.
Toutefois, leur demande ne peut être déposée qu’au nom de la victime décédée, pour ses propres préjudices, et non au titre des préjudices des ayants droit.
Ceux-ci ont néanmoins la possibilité de demander la réparation de leur propre préjudice selon les règles de droit commun.
Le comité détermine en fonction de données telles que la dosimétrie, le sexe, l’année de naissance, la nature de l’affection, l’âge au moment de l’exposition ou d’autres facteurs (tabagisme), si le risque attribuable aux essais nucléaires peut être regardé comme négligeable.
En se fondant sur les études épidémiologiques validées par la communauté internationale et les méthodes validées par l’AIEA, le comité estime que dès que la probabilité de causalité dépasse 1 %, la maladie est attribuable aux essais nucléaires.
Pour chacune des demandes individuelles d’indemnisation qui lui sont adressées, le CIVEN présente une recommandation au ministre de la défense, qui décide de la suite réservée à la requête et notifie à l’intéressé une offre d’indemnisation ou le rejet motivé de sa demande.
À la date du 29 juin 2012, le CIVEN a reçu 739 demandes d’indemnisation, émanant de personnes malades (433) ou d’ayants droit de personnes décédées (306), et examiné 549 dossiers complets.
395 décisions ont été rendues par le ministre, 4 d’entre elles ayant été favorables à l’indemnisation du demandeur.
Associée à cette démarche, la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires, prévue par l’article 7 de la loi du 5 janvier 2010, s’est réunie pour la première fois le 20 octobre 2011, à Paris, sous la présidence du ministre de la défense.
Cette commission est composée de dix-neuf membres reflétant la diversité des acteurs concernés : un représentant de chacun des ministres chargés de la défense, de la santé, de l’outre-mer et des affaires étrangères, le président du Gouvernement de la Polynésie française ou son représentant, le président de l’Assemblée de la Polynésie française ou son représentant, deux députés, deux sénateurs, cinq représentants des associations représentatives de victimes des essais nucléaires, ainsi que quatre personnalités scientifiques qualifiées.
Cette première réunion a été l’occasion, pour les membres de la commission, de prendre connaissance du bilan du dispositif de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, après une année de fonctionnement, et de formuler leurs observations visant à améliorer le dispositif.
C’est dans cet esprit que cette commission a été réunie pour la deuxième fois le 21 février 2012, afin d’examiner les mesures tendant à faire évoluer le processus d’indemnisation issu du décret du 11 juin 2010.
Les travaux de la commission, se fondant sur les données scientifiques les plus récentes et prenant en compte les remarques du CIVEN, se sont concrétisés par la parution au Journal officiel d’un nouveau décret, le 3 mai 2012.
Le décret n° 2012-604 du 30 avril 2012 élargit la liste des maladies radio-induites figurant en annexe du décret du 11 juin 2010.
Par ailleurs, il étend le périmètre géographique des zones de l’atoll de Hao et de celles de l’île de Tahiti, dans lesquelles le demandeur doit avoir résidé ou séjourné pour pouvoir bénéficier d’une indemnisation.
En outre, il simplifie les démarches administratives des demandeurs.
Enfin, il prévoit que toutes les demandes d’indemnisation, y compris celles qui ont fait l’objet d’un rejet par le CIVEN, seront réexaminées, sans que les demandeurs n’aient besoin de déposer un nouveau dossier.
Concernant le suivi médical individualisé des victimes des essais nucléaires, les anciens militaires et personnels civils de la défense ayant travaillé sur les sites ou à proximité des centres d’essais nucléaires français peuvent bénéficier, à leur demande, depuis le 25 janvier 2008, d’une consultation médicale gratuite au sein des centres médicaux des armées (CMA), structures locales de soins du service de santé des armées (SSA).
Depuis juillet 2009, cette consultation est également ouverte auprès des services de médecine du personnel des hôpitaux d’instruction des armées (HIA).
En outre, depuis 2003, les ouvriers de l’État et agents contractuels exposés à un agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction, à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions au sein du ministère de la défense, ont droit à un suivi médical post-professionnel ((Circulaire n° 300068/DEF/DFP/PER/3 du 14 janvier 2003 fixant les modalités de mise en œuvre du suivi post-professionnel des ouvriers de l’État et des agents contractuels ayant été exposés à un risque professionnel pendant l’exercice de leurs fonctions)), conformément aux dispositions du code de la sécurité sociale et du code du travail.
Ce suivi médical a été étendu, fin 2009, à tous les agents de la fonction publique d’État ((Décret n° 2009-1546 du 11 décembre 2009 relatif au suivi médical post-professionnel des agents de l’État exposés à un agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction.))
Un suivi médical post-professionnel devrait, en outre, être prochainement mis en place en faveur des militaires ayant été confrontés, au cours de leur carrière, à l’un ou à plusieurs de ces facteurs à risques.
De plus, dans le cadre d’une convention signée le 30 août 2007 entre l’État et la Polynésie française, un bilan médical initial et un suivi médical annuel sont proposés aux anciens travailleurs polynésiens des sites d’essais nucléaires français.
Les consultations sont assurées par un praticien du SSA au sein d’une structure médicale dédiée, dénommée centre médical de suivi, implantée à Papeete.
Par ailleurs, une déformation lente de la pente externe de l’atoll de Mururoa a été mise en évidence à la fin des années 1980.
Ce phénomène fait l’objet d’une surveillance depuis plus de 30 ans.
En effet, bien qu’un glissement d’une masse importante soit très peu probable, l’éventualité d’un tel événement ne peut être complètement écartée d’un point de vue scientifique.
Ce dispositif de surveillance est constitué de capteurs permettant de mesurer l’activité microsismique, ainsi que les déplacements des calcaires en surface et en profondeur.
Cette surveillance effectuée sous le contrôle du délégué à la sureté nucléaire de défense fait apparaître un ralentissement des mouvements coralliens depuis la fin des essais nucléaires souterrains.
L’activité géologique actuelle de la zone nord se situe ainsi au niveau 0 d’une échelle de risques qui en comprend 4, traduisant l’absence d’affaissement « programmé » de l’atoll de Mururoa.
Une évaluation des conséquences hydrauliques sur l’atoll de Tureia d’un hypothétique éboulement de grande ampleur d’une masse corallienne se produisant à Mururoa a également été effectuée.
Elle a pris en compte les hypothèses les plus pessimistes, afin d’anticiper les mesures de sécurité civile à mettre en œuvre en cas d’alerte et de définir l’organisation de crise la plus large et la plus efficace possible.
Les résultats de ces travaux se révèlent pleinement rassurants pour la population de Tureia.
En premier lieu, les systèmes permanents de surveillance géomécanique existants à Mururoa permettraient en effet de déclencher l’alerte plusieurs jours, voire plusieurs semaines à l’avance.
En outre, dans les conditions les plus défavorables, le train de houle en provenance de Mururoa se traduirait par la formation d’une vague provoquant une faible montée des eaux sur les parties sud et sud-est de l’atoll de Tureia, zones les plus basses, dépourvues d’habitations et d’activités.
Les principales mesures de précaution à mettre en œuvre tout au long de la période d’alerte concerneraient l’encadrement de la pratique de la pêche à pied sur le platier et en bordure du rivage, ainsi que la sécurisation des passages au niveau desquels s’effectuent les échanges marins entre le lagon et l’océan.
Aucune restriction à la circulation ou protection particulière ne serait en revanche nécessaire dans le village ou sur les principales zones d’activités (aéroport et cocoteraies), qui resteraient, en toute hypothèse, épargnés par les eaux.
Enfin, la création d’un fonds d’indemnisation intervient généralement lorsque l’auteur d’un dommage est insolvable, n’a pu être identifié ou lorsqu’une responsabilité n’a pu être clairement établie compte tenu d’un nombre élevé d’intervenants.
Le fonds procède alors à l’indemnisation des victimes et se substitue à celles-ci pour exercer une action récursoire à l’encontre du ou des auteurs du dommage.
Or, s’agissant des victimes des essais nucléaires, l’État prend à sa charge l’indemnisation du préjudice causé, sans exercer la moindre action récursoire.
Dans ce contexte, la constitution d’un tel fonds n’est pas envisagée.
Source: JO sénat du 9 août 2012 page 1835