RAPPORT fait au nom DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 1258) de Mme Christiane TAUBIRA relative à la reconnaissance et à l‘indemnisation des victimes des essais ou accidents nucléaires, par Mme Christiane Taubira, Députée.
INTRODUCTION
Le 10 septembre 2008, le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de Bordeaux a reconnu que le cancer broncho-pulmonaire ayant entraîné le décès d’une personne ayant travaillé au Centre d’expérimentations du Pacifique (CEP) entre 1966 et 1969, lors des campagnes d’essais nucléaires menées par la France était dû à la faute inexcusable de son employeur, une société sous-traitante du Commissariat à l’énergie atomique (CEA).
Cette décision n’est pas isolée. Elle se situe dans la continuité d’une jurisprudence abondante au cours des dernières années, qui tend de plus en plus à reconnaître un lien de causalité entre l’exposition aux rayonnements ionisants lors des essais nucléaires et le développement de pathologies dites radio-induites. Plusieurs pays en ont déjà tiré toutes les conséquences. Tout récemment, le Canada a ainsi annoncé qu’il dédommagerait à hauteur de 22,4 millions de dollars les vétérans canadiens ayant servi lors des essais au Nevada, dans le Pacifique et en Australie.
La présente proposition de loi n’est en aucun cas destinée à discuter ou mettre en cause la politique stratégique de défense menée par la France, qui l’a conduite à effectuer 210 essais nucléaires entre le 13 février 1960 et le 27 janvier 1996. Elle vise avant tout à donner enfin aux victimes civiles et militaires une marque de reconnaissance et à les aider à entamer un processus de résilience.
Une telle démarche ne relève toutefois pas uniquement du symbole. Elle répond également à une double nécessité.
Nécessité, tout d’abord, de répondre à la situation de personnes subissant les répercussions sanitaires des essais nucléaires et dont les conditions d’indemnisation demeurent aujourd’hui insatisfaisantes. Il est en effet injuste de soumettre ces victimes à de lourdes procédures judiciaires, dont l’issue reste toujours incertaine, tout comme il est injuste que les différents systèmes d’indemnisation tracent aujourd’hui des lignes de fracture entre militaires et civils, entre français de métropole et population polynésienne, qui partagent pourtant la même souffrance.
Nécessité, ensuite, de trancher courageusement le débat opposant les parties sur les effets des rayonnements ionisants reçus à faible dose : car en même temps que les études rétrospectives s’avouent impuissantes à nous éclairer, un faisceau d’éléments objectifs semble renforcer toujours plus le sentiment que l’état de santé alarmant d’une large majorité de vétérans des essais n’est pas dû seulement au hasard.
Face à cette situation, le temps est venu d’une initiative législative forte, qui concrétise, par la mise en place d’un cadre juridique novateur, la reconnaissance de la Nation. Un tel cadre repose tout d’abord sur l’établissement d’une présomption de causalité entre les maladies radio-induites et les essais nucléaires. Il permet ensuite que cette causalité ouvre droit à une réparation intégrale, versée, à l’exemple du dispositif américain, par un fonds spécifique d’indemnisation ou par l’élargissement des compétences du FGAO (Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages) sous réserve de quelques modifications, notamment de ressources. Enfin, il est important qu’une telle mesure s’accompagne de la création d’une Commission nationale de suivi des essais nucléaires, qui, composée d’acteurs représentant l’ensemble des parties concernées, sera à même de créer les conditions d’un dialogue réconciliateur.
La présente proposition de loi choisit également d’étendre ce dispositif aux victimes des accidents nucléaires. La solidarité vis-à-vis des personnes concernées par de tels événements correspond en effet à cette même volonté d’assumer les possibles conséquences de nos choix collectifs et de nos décisions politiques, et ce d’autant plus que l’accident de Tchernobyl a montré que le territoire français n’échappait pas à un risque malheureusement inhérent à ce type d’activité.
Fort des dernières avancées jurisprudentielles et de la volonté politique animant de nombreux élus d’origines partisanes diverses, il n’est plus acceptable de différer plus longtemps la mise en place d’un dispositif législatif opérationnel destiné à assurer, sur l’ensemble du territoire de la République, un traitement égalitaire de toutes les victimes du nucléaire répondant enfin, sur le modèle de ce qui a d’ailleurs déjà été fait pour les victimes du sang contaminé ou de l’amiante, au sentiment d’injustice ou de relative indifférence des pouvoirs publics à leur égard que ressentent chaque jour dans leur chair les personnes ayant subi les conséquences des essais nucléaires ou de l’accident nucléaire de Tchernobyl. Le temps est désormais venu de répondre à la revendication légitime de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires.
Lire la suite du rapport n° 1264 de Mme TAUBIRA, Députée.
Source: Assemblée Nationale