Armée de terre et harcèlement moral :

Le rêve brisé

Recrutée en qualité d’officier communication d’une unité parachutiste dans le cadre d’un contrat OSC/S (soit officier sous contrat spécialiste) pour une durée de deux ans, j’ai pris mes fonctions dans mon unité le 4 janvier 2001.

Première femme officier de ce régiment, je croyais fermement du haut de mes 21 ans que mes seules compétences, ma volonté et mon acharnement à apprendre suffiraient à me faire accepter. Mais mes espoirs et mes attentes se sont vite heurtés à la haine et au mépris d’un bon nombre d’officiers parce que je n’étais pas « pareils qu’eux », pas dans « le moule », trop « naturelle ». Actes vexatoires et discriminatoires répétés… la violence morale au quotidien ! Mes torts : être une femme et ne pas avoir obtenu mon brevet parachutiste suite à un accident de saut. J’accuse, je dénonce, l’attitude de ces officiers, qui pour de fallacieux prétextes, m’ont refusé le respect et la dignité dus à tout être humain !

Je pensais qu’un chef se doit de montrer l’exemple, d’être à l’écoute, rigoureux, sévère parfois mais toujours juste. Justice, franchise… des valeurs qui semblent avoir perdu tout leur sens dans cette unité qui se dit d’élite !

Quel est le temps réglementaire d’une mise à l’épreuve ? Que faut-il faire pour se faire accepter, pour ne pas être condamnée au premier regard ?

Aujourd’hui, une plainte pour harcèlement moral, visant plusieurs officiers de ce régiment est en cours… pour briser la loi du silence et de l’impunité ! Témoignage…

Choc des cultures

Mon arrivée en janvier 2001 restera marquée par ce que les officiers appellent la « pression positive », expression pour le moins énigmatique qui signifie en fait « rentrer dans le moule » et rapidement !

Prise en charge le jeudi 4 janvier, ont suivi : quatre jours d’entraînement sportif intensif pour passer les tests TAP (troupes aéroportées), le tour de présentation réglementaire, les formalités administratives et un largage à l’école des troupes aéroportées (ETAP) à Pau le lundi 15, pour deux semaines de stage !

Le retour fut tout aussi rapide et c’est sans les honneurs qu’on me ramenait dans mon unité le mercredi 24 janvier puisque le quatrième saut de la journée du 23 me fut fatal ! Six mois de rééducation et une reconnaissance d’inaptitude TAP définitive en décembre 2001 : pour deux sauts manquants je devenais le contre-exemple, la méchante officier du régiment.

Suite à cet accident, j’ai vite compris en voyant les portes se fermer devant moi et en subissant les plaisanteries douteuses de mes camarades lieutenants toute la signification du brevet parachutiste et l’enjeu qu’il représentait. Un peu comme si la valeur d’une personne se mesurait à une broche épinglée sur un treillis. Les relations se sont donc rapidement dégradées avec le corps des officiers, si jamais il y eut bonnes relations, et l’on m’a clairement fait comprendre que je ne faisais pas partie de la famille !

Dossiers retirés, humiliations verbales, réprimandes sur mon comportement pas assez « carré »… ils ont été jusqu’à me déconseiller de sortir dans le centre de la ville et ont poussé le manque de respect jusqu’à me reprocher de ne pas être catholique ! Tout y est passé : de ma coupe de cheveux à ma façon de marcher ! Ils s’intéressaient aussi de près à ma vie privée, certaines personnes estimant de leur devoir de compter le nombre d’allers-retours que je pouvais faire en une journée du quartier vers l’extérieur. Ils me disaient qu’il y avait des rumeurs qui circulaient sur moi (il faut dire que quelques personnels passent le plus clair de leur temps à alimenter les bruits de couloirs, ce qui leur donne l’impression d’avoir une vie bien remplie !) et qu’elles étaient oh combien choquantes ! A noter qu’ils n’ont jamais eu le courage de me préciser le sujet de ces rumeurs et qui les alimentaient ! Le courage n’étant pas l’apanage de la majorité des officiers !

J’ai donc appris avec le temps à avancer faisant fi de l’hostilité ambiante. Il y avait bien ces mesquineries de comportements traduisant la bassesse d’un état d’esprit : les repas lieutenants où personne ne m’adressait la parole excepté pour me demander à quoi je pouvais bien servir dans ce régiment, le fameux repas officiers où personne n’a osé s’asseoir à mes côtés, laissant deux sièges lamentablement vides à ma gauche et à ma droite, ce capitaine, ce commandant me reprochant d’être trop souriante, d’être trop proche des sous-officiers et de discuter un peu trop souvent avec les militaires du rang. Mais peut-être me disaient-ils cela pour mon bien, investis d’un secret pouvoir, gardiens des convenances et des apparences…

Pourquoi suis-je restée dans ces conditions ? La rage… la rage, oui, qui m’a poussée à me battre jour après jour. C’est que j’y croyais, moi, en cette belle famille, en ces hommes nourris de foi et de courage, à la recherche de l’aventure, de sensations fortes, prêts à se dépasser, à repousser toujours plus loin leurs limites pour défendre une cause, un idéal.

J’en ai rencontré des hommes de cette trempe, qui, quand ils vous parlent de leur expérience vous transmettent cette foi qui les porte : projections extérieures, cohésion dans l’effort, entraide… des valeurs, des vraies, la pureté des émotions partagées… Oui, j’en ai rencontré beaucoup, qui m’ont donné la force de continuer au fil de leurs témoignages, passionnés… Par ces mots qui traduisent plus qu’un engagement : une vocation.

C’est pour eux que je suis restée, parce que ces hommes méritent d’être connus, d’être reconnus : ce sont des majors, des adjudants, des sergents, des brigadiers chefs… Ils m’ont montré ce qu’est l’Armée, ils m’ont appris la fierté d’appartenir à un groupe et ont donné tout leur sens aux mots « béret rouge » !

Bien sûr, il y a aussi des officiers de cette trempe-là dans ce régiment, heureusement ! Mais la noblesse de leurs valeurs est sacrifiée par ceux qui vivent dans la haine, la frustration la jalousie. Par ceux qui agissent d’abord pour eux-même, dans l’espoir de rajouter une barrette à leur galon…

Mais tout cela ne me dérangeait pas. Passionnée par ma fonction, je me suis attachée avec acharnement à faire évoluer mon poste, soirées et week-ends compris, en allant au contact des hommes qui font la vie du régiment. Mes détracteurs, ne pouvant m’attaquer sur la qualité de mon travail, je pouvais bien leur laisser le petit plaisir de me reprocher ma façon d’être.

Et puis, sur décision du chef de corps j’ai été désignée contre toute attente pour un départ en opération extérieure au Kosovo. Le 19 juin 2001, j’embarquais à Istres direction Mitrovica pour y servir pendant quatre mois en tant qu’officier de presse de la brigade multinationale nord. Une chance pour moi qui m’a malheureusement attiré la jalousie et renforcé la haine de certains officiers mettant définitivement fin à l’espoir de voir un jour nos relations se détendre. Pour eux, il était inconcevable, inadmissible, qu’un officier du régiment non breveté puisse se voir attribuer l’honneur d’un départ en opération extérieure. Le chef de la direction des ressources humaines refusa même de me recevoir lors de mon tour réglementaire la veille de mon départ.

Lors de mon retour en octobre 2001, je pensais naïvement qu’après quatre mois d’absence les tensions connues précédemment seraient effacées. Une sorte de nouveau départ. J’étais encore trop idéaliste !

L’insoluble différence

L’accueil se fit dans la plus totale indifférence, le chef de corps ne daignant même pas me recevoir officiellement dans son bureau pour lui faire un compte rendu de fin de mission. Je suis alors partie en permission, un mois.

Comment expliquer l’engrenage de la violence qui a suivi le 23 novembre, date à laquelle je repris mon service au régiment ?

A ce moment de l’histoire, permettez-moi de vous présenter deux personnages clés de mon affaire. L’un est petit de taille mais grand par le galon, lieutenant-colonel de son état, il tient un poste de première importance dans le régiment. Adepte du « caporalisme » sans vergogne, il aime : le pouvoir, la reconnaissance, asseoir son autorité ! Il déteste : avoir tort, sa taille, passer inaperçu ! L’autre est très grand, il a un grade presque tout aussi important que son complice, commandant, et sa fonction est, elle aussi, vitale pour une unité. Il aime : la rigueur, la discipline et surtout faire appliquer le règlement ! Il déteste : les noeuds de cravate mal faits, les mèches rebelles, les treillis mal repassés. Tous deux, bien que différents physiquement, se rejoignent curieusement dans l’attitude : dépourvus du moindre humanisme, ils combinent une froide rationalité à une incapacité à considérer les autres comme des individus à part entière. Gare à ceux qui ne sont pas conformes à l’image que ces deux gradés se font du militaire ! Evidemment, je n’entrais pas dans le cadre et je cumulais, bien malgré moi, les tares : femme, qui plus est jeune (l’âge de leurs filles), n’allant pas à la messe le dimanche, pas mariée, pas brevetée, cherche à se disculper pour intégration immédiate ! Cela n’a pas marché, les différences étant trop flagrantes, j’ai du faire face à un manque de respect quotidien et subir, jour après jour, leurs infantilisantes remarques. Les attaques se faisant de préférence sans témoins, dans l’espace confiné d’un bureau aux portes fermées. Non contents de me menacer de revoir les termes de mon contrat si je ne me pliais pas à leur volonté, ils ont fait preuve d’un acharnement calculé à me tourmenter : « ce n’est pas normal que vous ayez été envoyée en mission », « vous êtes redevable », « vous ne méritez pas de travailler dans ce régiment », « vous n’y avez pas votre place »… pas intégrée, pas représentative… et j’en passe !

Alors là, je dis stop ! Il y a des moments où vous ne pouvez plus supporter, plus vous défendre ! J’accepte la critique et je veux bien reconnaître mes erreurs ! Encore faut-il me dire quelle faute (rationnellement parlant) j’ai bien pu commettre pour mériter un tel traitement !

L’acharnement était tel que j’ai craqué. Le 10 décembre au soir, je consultais un médecin civil. Bilan : deux semaines d’arrêt maladie à avaler des anxiolytiques et des somnifères. Moralement épuisée, les pressions ne cessèrent pas pour autant. Le jour même où je rendais compte de mon congé de maladie, ils envoyèrent à mon domicile un médecin du régiment, le président des lieutenants et pensèrent même forcer ma porte par l’intermédiaire d’un serrurier ! J’ai appris plus tard que le commandement avait peur d’être « allé trop loin » et pensait que j’avais « fait une bêtise ». L’éclair de conscience ne dura pas… A mon retour le 24 décembre, je demandais au chef de corps une mutation au vu de mon inaptitude TAP définitive et de la dégradation de mes conditions de travail. Il m’informa qu’il en était hors de question, me demanda de me reprendre rapidement en main et me notifia mon départ en permission d’office le jour même.

Le 7 janvier, je retournais donc vaillamment au régiment espérant que les choses iraient mieux et pensant que de toutes les façons cela ne pourrait pas être pire. Grave erreur, les hauts gradés sont toujours plein de ressources et ne tarissent pas en surprise ! A peine arrivée, me revoilà dans le bureau de mon commandant, même pas le temps de terminer mon joyeux « bonne année ! », que je me retrouvais terrassée par une avalanche de remontrances ! Il me reprocha violemment de le provoquer, lui et le lieutenant-colonel, de ne pas être professionnelle parce que j’étais partie en arrêt maladie et qualifia d’inadmissible le fait que je sois maintenue en poste au régiment avec une inaptitude TAP définitive. Rien de nouveau donc… excepté le ton… agressif, violent, rempli de haine, sur lequel les mots ont été prononcés.

Par la suite, entre deux périodes de tensions extrêmes, où les portes de son bureau m’étaient fermées (nos deux bureaux communiquent) et où il ne m’adressait pas la parole, il y eut d’autres violentes confrontations du même type. Je pourrais tenter de donner une explication rationnelle à cette situation mais je pense qu’en réalité il n’y a rien de rationnel dans tout ceci. Je pourrais vous parler de ces phrases assassines (ex : « je vous casserai dans votre notation et votre manque de professionnalisme sera noté », « vous n’avez pas d’amis au régiment, vous n’êtes soutenue pas personne, vous n’avez aucun soutien dans la catégorie officier », « vous n’êtes pas intégrée ! ») qui à force d’être répétées commencent insidieusement à vous faire douter de vous-même.

Etait-il justifié que ce commandant me reproche ma coupe de cheveux (en rentrant du Kosovo, mes cheveux étaient encore trop courts pour être attachés) en disant que je faisais preuve de mauvaise volonté en service ? Ou encore, avait-il le droit de m’avouer que le service d’information et de relations publiques de l’armée de terre m’avait proposé pour un départ en opération extérieure mais « qu’il est hors de question que vous repartiez où que ce soit, que moi et le lieutenant-colonel y veillerons même si nous sommes bien obligés de faire avec votre présence au régiment, vous avez assez profité du système » ?

Ais-je vraiment « trahi mes chefs » en partant en arrêt maladie ? Si je manquais à ce point de « culture militaire », pourquoi ne se sont-ils pas donnés la peine de me l’inculquer ? Pourquoi m’ont-ils dit que finalement ce qui les énervaient le plus c’était de ne pas pouvoir me « dominer » ? Je cherche encore des réponses ! Toujours est-il, qu’effet de meute oblige, ceux qui ne m’appréciaient déjà pas se sont vite rangés du côté des « chefs » et à l’imitation de ces derniers ont poussé la discrimination un peu plus loin ! Actes de méchanceté gratuits, mise à l’écart de la vie régimentaire (notes express et notes de service non transmises, aucune coopération dans le travail, etc.), coups bas en tout genre : interdite de grand rapport mensuel (réunion qui réunit en présence du chef de corps, du commandant en second et de l’officier supérieur adjoint, les commandants d’unités et les chefs de service pour définir les problèmes rencontrés au régiment, les activités à venir, etc.) depuis que j’ai été déclarée inapte TAP définitive en décembre 2001, retrait de dossiers qui entrent directement dans le domaine de la communication, plus de départ en reportage parce que selon le lieutenant-colonel cela « coûte trop cher à la France »… à bien y réfléchir, je crois que le plus dérangeant dans tout ceci est ce climat d’hypocrisie ambiante, cette lâcheté, dans lesquelles se déroulent les choses ! Car tout est fait de manière insidieuse, pour ne pas avoir à s’expliquer trop franchement, à justifier l’inqualifiable !

Dernier acte

Le décor : jeudi 27 juin, 17h45, le bureau du commandant, portes fermées. L’ambiance ? assez tendue ! Motif de la convocation : un message de la délégation à l’information et à la communication de la défense (DICoD) me désignant en vue d’un départ en opération extérieure et demandant l’avis du corps. Réaction : le commandant me demande de lire le message et attend une explication.

Je l’informe alors que, dans le cadre de mes permissions, je suis allée à Paris pour mes recherches d’emploi (mon contrat se terminant le 31 décembre de cette année). Désireuse de rester dans l’institution par le biais de la réserve, je me suis rendue à la DICOD pour me renseigner sur les modalités d’engagement à ce titre. Au cours d’une conversation avec un lieutenant-colonel que je connaissais pour avoir déjà travaillé avec lui, ce dernier me demande si je suis volontaire pour repartir en mission extérieure. Je lui réponds qu’évidemment oui, mais qu’il faut qu’il voit cela avec mon commandement pour savoir si c’est possible. Il me dit alors qu’il contactera le chef de corps par suppléance du régiment, le lieutenant-colonel cité plus haut, pour avoir son avis.

Bilan de cette affaire : le commandant s’énerve, s’emporte, crie ! Il ne croit pas en ma version des faits. Il m’accuse, me condamne : selon lui, j’ai fait exprès de poser mes permissions pour aller « réclamer » une « opex » à la DICoD. Il tient le discours suivant :

« vous n’êtes pas nette, je n’ai aucune raison de vous croire, ne me dites pas que ce colonel vous a proposé comme ça de partir en mission. C’est vous qui êtes allée le voir pour pouvoir partir »

« c’est inadmissible qu’un officier se permettent ce type d’attitude. Vous pensiez attendre que les choses se fassent toutes seules et partir ? Mais soyez certaine que vous n’êtes pas encore dans l’avion ! Même si vous magouillez, on fera tout pour que cela ne se passe pas comme cela !! »

« je veux bien admettre que vous n’avez eu qu’une formation courte avant d’arriver au régiment, mais vous ne comprenez rien au système ! Vous ne savez pas comment ça fonctionne ! Vous n’êtes pas venu me voir, ni le lieutenant-colonel… D’ailleurs, le fonctionnement du régiment, vous vous en foutez ! »

« Vous avez largement dépassé vos prérogatives, vous nous avez trahi, comme en décembre (affaire de mon arrêt maladie), vous avez trahi notre confiance !! »

Il pousse la mauvaise fois jusqu’à me soupçonner d’avoir « calculé mon coup dans cette affaire » car deux mois plus tôt, en allant le voir pour lui parler de mes permissions, je l’informais que cela ne m’arrangeait pas de partir en vacances en août étant donné que je souhaitais réserver les jours de permissions qu’il me restait pour préparer mon départ sur Paris (déménagement, entretiens d’embauche, etc.). Selon lui, quand je lui ai parlé de cela, je savais déjà que je partirais en mission en août !!

Toutes mes tentatives d’explications sont restées vaines. Il m’a annoncé qu’ « ils » allaient creuser l’affaire et que je serais punie.

Conclusion : désavouée, laminée, déchue, je déposais une plainte pour harcèlement moral auprès du Procureur de la République la semaine suivante, au vue de tous les événements pré-cités.

A ce jour, je n’ai pas encore été punie, je ne suis pas non plus partie en mission extérieure…une nouvelle officier communication m’a remplacé le 1er août dernier, la plainte suit son cours… je suis en arrêt maladie pour dépression depuis le 2 juillet dernier et je dois reprendre mon service dans mon unité le 19 août.

Tara

L’exemple d’un vrai « chef »

On pourrait me reprocher d’avoir utilisé un moyen de dernier recours en portant plainte directement auprès du Procureur de la République. J’aurais dû rendre compte de la situation au chef de corps et faire en sorte que le « problème » se règle en interne. Je l’ai fait ! Oui, j’ai prévenu, oralement, le chef de corps de la dégradation de mes conditions de travail et dans une fiche à son attention en janvier 2002, je concluais ainsi : «Il est évident que la réalisation de ces deux actions communication demande un travail en collaboration des parties concernées. Etant donné les circonstances actuelles, il serait souhaitable que chacun laisse de côté ses divergences relationnelles pour arriver à travailler en coopération et dans les conditions optimales qui nous mèneront au succès. ». Le chef de corps, après lui avoir apporté quelques précisions, me conseilla tout simplement de régler le problème en allant parler avec le commandant. Chose qu’il m’a été impossible de faire étant donné l’hostilité violente de ce dernier à mon encontre. Et puis, en février, il est parti en mission…

Deux évidences me sont alors apparues dans cette affaire : la première, le manque d’information. Il reste en effet très difficile d’obtenir des renseignements clairs quant aux moyens, aux recours, auxquels le militaire peut prétendre pour défendre ses droits en cas de harcèlement ! J’ai remarqué que contester des irrégularités est vécu par le commandement comme une manifestation d’indiscipline, et donc le faire est hautement répréhensible ! La deuxième évidence porte sur la désagréable impression que les problèmes doivent se régler au niveau du corps et surtout ne pas en sortir. Tout est donc mis en oeuvre pour que la victime ne puisse trouver aucun soutien dans son unité, quitte à l’exclure du groupe si elle fait mine de se rebiffer !

Mais revenons-en au chef de corps. Lorsque le mardi 2 juillet au matin, à son retour de mission, je lui demandais un entretien pour l’informer de ma déposition de plainte et lui expliquer les raisons qui m’avaient poussé à le faire, je n’attendais pas qu’il approuve mon geste, je souhaitais simplement qu’il m’écoute. Parmi ses plus belles phrases, je ne peux m’empêcher de citer celles-ci :

– « Je ne comprends pas très bien ce que vous cherchez en faisant cela. Je connais très bien le procureur et je verrai cela avec lui. Mais si vous voulez aller jusqu’au bout de la procédure, et bien nous irons. Mais c’est une longue procédure, vous devrez passer devant des médecins militaires, des psychiatres, et ils verront bien que vous êtes fragile, que vous n’êtes pas faite pour ce régiment. »

– « J’ai eu à traiter des affaires bien plus croustillantes que la votre, de réels cas de harcèlement moral et même de harcèlement sexuel ! Vous, vous n’avez rien… allez citez-moi 10 faits qui relèveraient d’un harcèlement moral vous concernant ! »

– « C’est curieux mais partout où vous allez vous créez des foyers de tensions ! Je pense que vous avez monté tout cela en épingle et que vous faites des histoires pour rien, vous avez mal interprété ce que l’on vous a dit. »

La tentative de culpabilisation et d’intimidation n’en resta pas là. Il me convoqua de nouveau le mercredi 17 juillet au matin. A 12h10, il me recevait dans son bureau en présence de son successeur. Un grand moment :

– « Il y a certes des relations difficiles, des caractères abrupts, mais rien ne laisse penser que vous avez été victime de harcèlement moral. Votre affaire ne tient pas la route. Vous n’avez rien de solide, vous avez monté tout cela en épingle parce que vous êtes fragile psychologiquement. Je ne sens pas la vérité dans ce que vous dites ».

– « Vous avez provoqué cette situation conflictuelle. Vous n’avez pas respecté les règles du jeu et je comprends que certaines personnes puissent être agacées par votre attitude ».

– « A qui il faut que je mette 40 jours d’arrêts, qui dois-je punir ? Donnez moi des noms, des faits, vous voyez, vous n’avez rien de concret ! Donnez-moi des faits concrets et précis »

– « Il y a des gens qui vous soutiennent ici, qui sont d’accord avec vous ? Totalement d’accord ? Des gens prêts à témoigner pour vous ? ». A ma réponse affirmative, il m’a demandé de quelle catégorie de personnel il s’agissait, si c’étaient des officiers, des sous-officiers ou des militaires du rang. Je lui ai répondu que cela couvrait toutes les catégories et qu’il n’avait pas à savoir qui exactement. J’ai précisé que je ne voulais pas mettre ces personnes dans une situation délicate en leur demandant de prendre mon parti ouvertement à cause des conséquences que cela pourrait avoir pour elles dans le régiment. Le chef de corps m’a répondu qu’on n’était pas dans un état totalitaire ici, que le régiment respectait les lois, que les gens, s’ils disaient la vérité, ne devaient pas se sentir menacés de parler.

Le chef de corps m’a alors affirmé : « ce n’est pas bon pour vous de vous lancer dans une telle procédure, cela ne vous permettra pas d’en ressortir grandi mais au contraire vous en ressortirez minée et affaiblie, vous savez on est pas en train de jouer ! ».

L’entretien s’est conclu par une proposition : le chef de corps m’a annoncé qu’il pourrait me détacher dans une autre unité jusqu’à la fin de mon contrat à condition que je « dégonfle » cette affaire, me faisant comprendre que je devais pour cela retirer ma plainte. Dans le cas contraire, je serais maintenue au régiment.

Je n’ai pas revu le chef de corps depuis… il a rendu son commandement le 19 juillet dernier.

Tara

Vous pouvez nous adresser vos observations sur ce dossier par courrier électronique à contact@Adefdromil.org ou en nous écrivant à ADEFDROMIL 14, rue Fould Stern 60700 PONT SAINTE MAXENCE.

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