Le refus de cure médicale : un enrichissement sans cause pour l’Etat ? (Par Maître Jasna STARK, avocate au Barreau de Paris)

La gestion des dossiers de cure des pensionnés militaires d’invalidité, parla Caissede TOULON, est une conséquence parmi d’autres des réformes structurelles entreprises au sein du Ministère dela Défense, ces dernières années. L’analyse de certaines décisions prises par cette administration conduit à s’interroger sur les stratégies financières dont pâtissent parfois ceux qui ont versé leur sang pourla Nation. Ainsien est-il des pensionnés militaires d’invalidité auxquels le bénéfice de l’article L115 du Code des pensions militaires d’invalidité (disposition permettant d’obtenir la prise en charge des cures aux frais de l’Etat) est refusé.

Alors que pendant plusieurs années consécutives, certains pensionnés ont pu soigner leur(s) infirmité(s), il arrive que la cure soit refusée moyennant la formule type « les soins des affections pensionnées ne sont pas une indication médicale suffisante de crénothérapie ». Pour peu que les intéressés contestent ces refus devant la juridiction compétente (le Tribunal des pensions militaires d’invalidité), l’administration accorde, selon les cas, la cure l’année d’après. Il est important de savoir qu’un tribunal des pensions n’est plus en mesure, aujourd’hui, de statuer à bref délai. En effet, compte tenu d’une réforme ayant supprimé bon nombre de ces juridictions, le temps des procédures s’est allongé. Il est donc quasiment impossible de bénéficier de la cure l’année au cours de laquelle la demande a été adressée à la Caisse de TOULON. Au moment où le Tribunal statue, il est trop tard.

Par ailleurs, les pensionnés bénéficient de l’aide juridictionnelle devant les juridictions des pensions militaires d’invalidité. Celui qui sollicite une cure peut donc contester le refus de l’administration sans s’exposer au paiement des honoraires d’un avocat. Or, si le refus de l’administration est déclaré illégal par la juridiction, cette dernière n’est pas compétente pour accorder des dommages-intérêts au pensionné, faute pour le Code des pensions militaires d’invalidité d’avoir prévu un tel droit. Seul le Tribunal administratif peut le faire, le concours d’un avocat sera alors payant, l’aide juridictionnelle n’étant accordée aux pensionnés que devant la juridiction des pensions militaires. En définitive, le requérant qui n’a pas pu bénéficier de sa cure a permis à l’Etat de réaliser une économie sur son dos.

Face à l’impossibilité de réclamer, devant le Tribunal des pensions militaires, des dommages-intérêts en réparation de la décision illégale prise par l’administration, il est possible de contourner cet obstacle judiciaire, en faisant valoir qu’une pension militaire relève d’un droit statutaire. Elle est considérée, au sens de l’article L1 du Code des pensions militaires d’invalidité, comme une dette de reconnaissance de la Nationenvers ceux qui ont lutté pour la défense de la patrie et ont été victimes de cette lutte. Il s’agit d’un « droit à réparation » expressément mentionné dans la Loi. Il a notamment été jugé que « les pensions militaires d’invalidité constituent donc des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

Partant de là, il faut avancer l’argument selon lequel le pensionné a droit à une indemnisation équivalente au montant des frais que l’Etat aurait versé s’il avait accordé la cure. La logique financière du Ministère de la Défenseet le caractère obsolète des dispositions du Code des pensions militaires d’invalidité doivent conduire les justiciables à se défendre au moyen du principe de l’enrichissement sans cause, principe général relevant tant du droit administratif que du droit civil.

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