Après l’abrogation du délit de harcèlement sexuel, Jacques BESSY, président de l’Association de Défense des Droits des Militaires (Adefdromil), nous fait part de son analyse.

Jacques BESSY, colonel de gendarmerie e.r. a été également avocat au Barreau de Nanterre. Il répond aux questions d’Armée Media.

 

Armée Media : Cette abrogation est un coup dur pour le dossier sur lequel vous avez travaillé avec un cabinet d’avocat parisien. Est-ce que le harceleur présumé de la jeune engagée dans la Marine peut dormir tranquille ?

JB : Je pense que le harceleur présumé peut légitimement être inquiet. En effet, le juge d’instruction qui va être désigné par le doyen des juges de Metz, après réquisitions du Parquet, est saisi « in rem », c’est-à-dire des faits et non d’une qualification. Je ne doute pas un instant que l’autorité judiciaire, soucieuse d’effacer l’impression d’inaction laissée depuis le dépôt de la plainte par la victime au mois de janvier 2012, ne trouve des qualifications adéquates pour poursuivre l’auteur présumé. Ainsi, les faits peuvent  probablement être qualifiés d’agression sexuelle et être constitutifs de harcèlement moral, car les conditions de travail et l’état de santé de la victime se sont manifestement dégradées. Moi-même, comme l’avocate de la plaignante, sommes confiants dans la solidité du dossier.

 

Armée Media : Cette abrogation laisse un vide juridique fâcheux. Elle donne une sorte de permis de harceler sexuellement tant qu’une nouvelle loi n’est pas intervenue. C’est choquant ?

JB : Pour les victimes, dont les procédures étaient sur le point d’aboutir, c’est particulièrement pénalisant et traumatisant. Tout le monde peut regretter cette impunité née de l’abrogation par le Conseil Constitutionnel. Toutefois, les harceleurs doivent se méfier, car leurs actes peuvent tomber sous le coup d’autres qualifications pénales.

En revanche, d’un point de vue juridique, on ne peut que donner raison au Conseil. En effet, le principe de la légalité des délits et des peines est un principe fondamental d’un État de droit. En France, c’est un héritage direct de la révolution de 1789. Une infraction doit être définie avec précision pour être susceptible d’être poursuivie. Or, l’article 222-33 du code pénal ne définissait pas en quoi peuvent consister des actes de harcèlement. Les rédactions antérieures à la loi de 2002 avaient le mérite d’être plus précises, mais avaient sans doute été jugées trop restrictives. Le problème est effectivement de savoir où se termine une tentative de séduction et où commence le harcèlement.

Ce qui est extrêmement choquant dans cette affaire, et significatif d’un dysfonctionnement de nos institutions, c’est qu’on s’aperçoive au bout de dix ans que la loi n’est pas conforme à la  Constitution. C’est une sorte de carton jaune donné au pouvoir législatif. On fait trop de lois en France et leur qualité en souffre.

 

Armée Media : Pour les militaires, et notamment pour les personnels féminins, ce n’est pas encourageant : pas d’interdiction formelle du harcèlement moral ou sexuel dans le code de la Défense, et vide juridique dans le code pénal pour le harcèlement sexuel. C’est presque un encouragement aux mauvaises conduites?

JB : A toute chose, malheur est bon. Cette affaire de harcèlement sexuel à Metz et l’abrogation simultanée du texte permettant de réprimer l’infraction soulignent le manque de protection légale accordée aux militaires. Cela devrait donner l’occasion aux états-majors, directions et services de réfléchir sur le sujet, afin de mettre en œuvre des mesures de prévention et de traitement de tels comportements. Il en est de même pour le harcèlement moral.

Je pense, enfin, que la réécriture de l’article 222-33 du code pénal dans les mois qui viennent, peut être l’occasion de légiférer simultanément pour les armées. C’est, en tout cas, une des propositions de l’ADEFDROMIL. J’espère que le nouveau ministre de la Défense, nommé par le futur Président de la République dans les jours à venir, profitera de l’occasion pour imprimer sa marque sur ce sujet, symbolique de la condition des femmes et des hommes dans les armées.

Source : Armée média

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