Aujourd’hui chargé des relations publiques de l’armée de terre, le colonel Benoît Royal – pour le petite histoire, cousin de l’ex-candidate à la présidentielle – est un officier qui réfléchit. Il y en a d’autres, évidemment. Mais lui, en plus, il écrit. Et ceux-là sont moins nombreux. Ce premier point suffirait presque à attirer le regard. Mais il faut aller au-delà de ce premier intérêt, et plonger dans les pages qu’il nous offre sur une thématique d’une brûlante actualité : l’éthique du soldat.
Les temps sont à la réflexion, à « l’usage maîtrisé de la force », à la conduite impeccable sur le terrain. Bien sûr, ces temps-ci, on peut entendre des membres du corps médical expliquer comment, sur le champ de bataille afghan, il peut leur arriver de tirer à la mitrailleuse de 12,7 mm « quand les insurgés choisissent de s’en prendre en premier aux VAB sanitaires « . Mais là n’est pas la question… Pour Benoît Royal, il convient de ne « jamais confondre action de combat et action violente (…) La frontière est mouvante, difficile à déterminer. C’est au chef de la trouver ». Comme on l’a vu dans l’affaire du coupeur de route ivoirien tué de sang-froid par des soldats français la conduite irréprochable des hommes auxquels la République a confié ses armes se doit d’être exempte de tout reproche : « Qu’il s’agisse d’un combat de haute intensité ou d’opérations de gestion des populations, qu’il s’agisse d’actions de renseignement ou d’opérations spéciales, le respect inconditionnel de la dignité humaine doit présider à tous les actes de combat. »
Dans ce petit ouvrage qui aurait pourtant vocation à être lu par tous les militaires, mais pas seulement par eux, l’auteur s’adresse clairement aux officiers, à ceux qu’il appelle dans un singulier générique « le chef ». Exemplaire dans la crise, psychologiquement stable, bien formé, doué de convictions solides, il est un môle auquel les subordonnés doivent se référer, « un recours permanent. Il représente la normalité face à l’absurdité des situations et à la perte de sens. Il est un point de repère intangible en cas d’isolement. Il explique avec obstination la finalité de la mission et redonne en permanence du sens à l’action ».
La tentation de rechercher inconsidérément l’ouverture du feu
Le chef militaire serait donc un surhomme ? Insensible aux affects, dégagé des passions humaines, corps critallin dans un univers troublé ? Ce n’est pas certain… D’ailleurs, l’auteur souligne que la sublimation très excessive de valeurs prêtées aux « anciens » peut conduire à des dérives opérationnelles graves : « Le désir inavoué de devenir soi-même un héros à l’image de ces grands anciens peut conduire à la tentation de rechercher inconsidérément l’ouverture du feu et l’engagement violent. » Benoît Royal se félicite que « le courage de ne pas ouvrir le feu » puisse désormais être récompensé par la médialle d’or de la Défense nationale, dès lors qu’ « il est aujourd’hui souvent plus difficile de ne pas ouvrir le feu que de le faire ».
Mais ce fameux chef saura-t-il vraiment reconnaître de tels mérites à l’un de ses subordonnés ? Il serait utile de savoir combien de ces gestes ont effectivement été honorés… La guerre n’est pas noire ou blanche. La paix non plus, d’ailleurs ! L’évolution de notre monde est toute de complexité, et l’ennemi d’hier devient souvent le partenaire de demain. L’auteur, dont l’ouvrage est parsemé de témoignages souvent éclairants à défaut, parfois, d’être suffisamment synthétiques, insiste : « Le champ d’action du militaire en condition opérationnelle est trouble et complexe, le conduisant à affronter des situations ambiguës face auxquelles il n’existe pas toujours de vérité unique, ni de situation idéale. »
Ces utiles réflexions sont complétées par une postface du général Jean-René Bachelet, qui a beaucoup fait pour que l’éthique du soldat soit désormais un sujet central dans toutes les formations de l’armée de terre. Il y écrit : « Et voilà notre soldat sur une crête étroite, entre usage de la force et ultime valeur de la civilisation. »
Benoît Royal, L’éthique du soldat français. La conviction d’humanité . Préface de Henri Jude. Postface de Jean-René Bachelet, Economica, 124 pages, 18 euros, ISBN: 9782717856224
Source : Le point