Le stress au travail ( par Géry Waxin)

Le 2 juillet dernier, au terme de quatre séances de négociation, un accord national interprofessionnel a été trouvé, qui permet de transposer en France l’accord cadre européen du 8 octobre 2004.

Le 11 septembre 2008, l’ensemble des organisations syndicales et patronales ont validé la signature de cet accord.

Selon une enquête de la Fédération européenne pour l’amélioration des conditions de travail, environ 20 % des salariés européens estiment que leur santé est affectée par des problèmes de stress au travail, ce qui en fait l’un des principaux problèmes de santé au travail déclaré, après les maux de dos, les troubles musculosquelettiques et la fatigue.

Comment définir le stress ?

Au sens strict du terme, le mot stress désigne l’agent perturbateur, les contraintes et agressions subies par un organisme.

Historiquement, le stress recouvrait une notion mécanique. La loi de Hooke (1678) stipule qu’une force extérieure (load) agissant sur un corps, provoque une tension du corps (stress) qui peut se transformer en déformation (strain).

Puis, à compter des années 1950, la définition physiologique du stress est apparue. Le stress est assimilé à l’ensemble des réactions dues à un changement de situation difficile, voire paraissant impossible à gérer par un individu et qui vont engendrer une réponse de l’organisme afin de rétablir ses conditions de vie équilibrée.

Une définition psychologique est apparue ensuite : le stress est un état psychologique issu de la perception d’un déséquilibre entre les attentes perçues et l’autoévaluation de ses propres capacités à rencontrer les exigences de la tâche. En clair, le stress est mental. Il est ressenti lorsque l’individu ne se « sent pas à la hauteur » de ce qu’il pense devoir faire pour la demande qu’il perçoit.

Enfin, est apparue une définition cognitivoénergétique. Le stress correspond alors à une sensation subjective désagréable au niveau de l’évaluateur lorsqu’un déséquilibre énergétique ne peut être compensé par un effort.

Ainsi, le stress, longtemps considéré comme le révélateur de fragilités individuelles est devenu une préoccupation pour l’entreprise. Les plaintes de « mal être » au travail se sont, au fil des ans, multipliées. Plaintes dues à l’intensification du travail, aux pressions multiples, aux exigences de la hiérarchie, de la clientèle…

Des cas « imprévisibles » de suicide ont été observés récemment : à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Toulouse, chez Renault, PSA, HSBC ou Barclays. On estime qu’il y a, en France, une tentative de suicide « professionnel » par jour.

Dans ces conditions, salariés et organisations syndicales revendiquent de « travailler sans dérouiller ». Du côté des directions, la prévention du stress s’inscrit dans le cadre général de la prévention des risques professionnels.

A la suite de plusieurs études effectuées par des médecins du travail qui ont sensibilisé les entreprises, le risque psychosocial est désormais pris au sérieux. En effet, selon l’Institut National de Recherche et de Santé (INRS) 50 à 60 % des journées de travail perdues en Union européenne proviendraient du stress au bureau ou à l’usine. En France, 220 000 à 335 000 salariés souffriraient de pathologies directement liées au stress. Le phénomène toucherait le plus les cadres et les salariés les plus âgés (+ de 45 ans).

Le stress qui se distingue d’autres situations telles que le conflit relationnel, l’agression ou le harcèlement dispose t-il d’un cadre juridique adapté ?

Y a t-il aujourd’hui une réponse juridique face à l’un des phénomènes majeurs de ces dernières années ?

Pour l’heure, non. Le droit du travail, qui sait répondre aux transformations économiques et sociales de la société, a beaucoup de difficultés à appréhender les risques psychosociaux. Si quelques prémices concernant directement le stress sont apparus ces dernières années, l’essentiel de l’approche juridique repose sur des principes généraux.

L’accord européen du 8 octobre 2004

En 2004, les partenaires sociaux qui avaient déjà conclu quatre accords européens sur le congé parental, le travail à temps partiel, les contrats à durée déterminée et le télétravail, se sont réunis sur le sujet du stress, sujet considéré sur le plan international, européen et national comme une préoccupation à la fois des employeurs et des travailleurs.

Selon le préambule de l’accord signé le 8 octobre 2004, « la lutte contre le stress au travail peut entraîner une plus grande efficacité et une amélioration de la santé et de la sécurité au travail, avec les bénéfices économiques et sociaux qui en découlent pour les entreprises, les travailleurs et la société dans son ensemble ».

La question du stress a été isolée de celles du harcèlement et de la violence au travail, même si ces sujets sont des facteurs de stress potentiel.

L’objet de l’accord est d’augmenter la prise de conscience et la compréhension du stress au travail, par les employeurs, les travailleurs et leurs représentants. Il est aussi d’attirer leur attention sur les signes susceptibles d’indiquer les problèmes de stress au travail.

L’accord donne une description du stress : « Le stress est un état accompagné de plaintes ou dysfonctionnements physiques, psychologiques ou sociaux, et qui résulte du fait que les individus se sentent inaptes à combler un écart entre les exigences ou les attentes les concernant. L’individu est capable de gérer la pression à court terme qui peut être considérée comme positive mais il éprouve de grandes difficultés face à une exposition prolongée à des pressions intenses. En outre, différents individus peuvent réagir de manière différente à des situations similaires et un même individu peut, à différents moments de sa vie, réagir différemment à des situations similaires. Le stress n’est pas une maladie ; mais une exposition prolongée au stress peut réduire l’efficacité du travail et peut causer des problèmes de santé ».

L’accord tente ensuite d’identifier les problèmes de stress au travail : un niveau élevé d’absentéisme ou de rotation du personnel, des conflits personnels, des facteurs tels que l’organisation et les processus de travail les conditions et l’environnement de travail…

Cette lutte contre les problèmes de stress au travail peut, selon l’accord, être menée dans le cadre d’une procédure globale d’évaluation des risques, par une politique distincte en matière de stress et/ou par des mesures spécifiques visant les facteurs de stress identifiés.

A la suite de cet accord d’octobre 2004, la France, contrairement à d’autres pays d’Union européenne (en Belgique, une loi de 1996 intitulée « loi du bien être » a fait l’objet d’un amendement en 1999 concernant explicitement le stress) n’a pas réagi immédiatement.

L’accord français du 2 juillet 2008

Il a fallu que les médias se fassent l’écho de quelques cas dramatiques, que le ministre du travail Xavier Bertrand confie une mission à Philippe Nasse et Patrick Legeron sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail pour que l’on décide de mener une action.

C’est ainsi qu’une négociation s’est ouverte le 7 avril 2008 pour s’achever par l’accord du 2 juillet 2008.

Cette négociation transcrit dans le droit français un accord européen que les Etats membres devaient ratifier dans les trois ans.

Comme le souligne Danielle Karniewicz de la CFE-CGC, « certains ont beaucoup de mal à prendre le stress au sérieux, notamment comme facteur de pénibilité au travail ».

L’accord français ne reprend pas la définition du stress figurant dans l’accord européen mais celle de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail : « un état de stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face ».

Le texte propose ensuite des indicateurs fiables du stress et engage l’employeur à être responsable des mesures à entreprendre. Les entreprises vont désormais avoir à gérer le sujet. Cependant, il est à noter que certains, avant même, cet accord européen, avaient anticipé ce problème.

Le groupe CEGETEL par accord du 1er octobre 2003 sur les conditions de vie du personnel, accord traitant des accidents, de la maladie, de la maternité, des conditions de travail, avait évoqué le stress. Cet accord précurseur met en exergue le rôle du CHSCT et des services médicaux. Il prévoit la mise en place d’actions de prévention et de gestion du stress comme les démarches d’accompagnement du changement, l’appréhension de ce problème au cours des entretiens annuels, l’apprentissage des techniques de relaxation…

D’autres textes existent

Mais, indépendamment du dispositif normatif assez pauvre en la matière, d’autres textes plus généraux permettent d’assurer la santé mentale des salariés même s’ils ne traitent pas spécifiquement du stress.

Les articles L 4121-1 et 4121-2 du code du travail définissent une obligation générale de sécurité qui incombe au chef d’établissement.

Il revient à l’employeur d’évaluer les risques, y compris psychosociaux et de prendre les mesures nécessaires pour assurer et protéger la santé physique et mentale ainsi que la sécurité de ses salariés. Cette obligation générale repose sur une approche globale de la prévention des risques professionnels et le stress en fait partie. En effet, même s’il n’existe pas – aujourd’hui – de réglementation particulière à la prévention du stress au travail, cette absence n’induit pas un droit à l’inaction. Selon la jurisprudence, il existe en matière de sécurité au travail une obligation contractuelle de résultat.

L’article L 4121-2 du Code du travail implique plus particulièrement :

  • d’adapter le travail à l’homme (conception de postes de travail, choix des méthodes de travail et de production),
  • de planifier la prévention (conditions de travail, influence des facteurs ambiants).

En conséquence, on peut aussi penser que le risque du stress doit être intégré dans le document unique du CHSCT.

De même, la prévention du stress au travail s’appuie sur des réglementations particulières visant la prévention de certains risques susceptibles de constituer des sources de stress.

A titre d’exemple non exhaustif :

  • la prévention des risques dus au bruit ( R 4432-1 et s),
  • la prévention des risques liés au travail sur écran (Décret 91-451),
  • les textes relatifs au mode d’organisation de travail (travail de nuit, travail en équipe de suppléance, travail posté),
  • les textes relatifs aux relations de travail (non discrimination, bénévolat)

En conséquence, et en l’état actuel des textes, la responsabilité de l’employeur peut être mise en cause en cas de non respect d’obligations particulières de prévention (ex : non respect de prescriptions relatives au bruit, au travail sur écran) ou sur la caractérisation d’infractions précises (harcèlement moral).

En outre, sa responsabilité civile peut être engagée en cas de faute inexcusable.

De même, outre la responsabilité pénale prévue en cas d’infractions aux articles du Code du travail que nous avons énoncés, signalons que dans les cas de tentative de suicide que nous avons cités, des plaintes basées sur l’article 223-1 du Code pénal ont été déposées (non assistance à personne en danger).

Source : Reproduit sur le site de l’Adefdromil avec l’autorisation de l’ Institut Supérieur du travail (IST)

Site internet : http://istravail.com/   

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