- Question orale sans débat n° 1407S de M. Jean-Jacques Mirassou (Haute-Garonne – SOC) publiée dans le JO Sénat du 29/09/2011 – page 2474
M. Jean-Jacques Mirassou attire l’attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur l’impunité des attaques diffamatoires qui s’exercent sur les réseaux sociaux.
À l’heure où ces réseaux sociaux connaissent leur apogée et deviennent un instrument de communication pour nombre d’entre nous, les insultes et les diffamations formulées sur ces réseaux se sont multipliées.
Parmi les premières victimes de ce fléau, on retrouve un public fragile tel qu’un enfant handicapé victime d’un lynchage en ligne et une jeune fille rouée de coups par le frère d’une amie pour avoir insulté celle-ci en toute impunité. Les élus sont, eux aussi, trop souvent les victimes de ces agissements, il est devenu si simple de déverser son lot d’accusations en quelques mots sur un écran.
L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse réprime les délits d’injures et de diffamations publiques. Ce texte s’applique aux crimes et délits commis par voie de presse ou tout autre moyen de communication, entendu au sens large.
Les réseaux sociaux constituent un moyen de communication et peuvent être soumis à la répression. Or ces agissements sont passibles, au nom de la liberté de poursuite du ministère public, d’une quasi totale impunité. Les auteurs d’attaques diffamantes sont nullement intimidés par une loi non appliquée et ils osent, de plus en plus, braver les interdits en insultant et calomniant.
Par le jeu du classement sans suite, les réseaux sociaux deviennent une zone de non-droit comme il en existe tant sur internet et bien que les victimes aient le droit d’engager les poursuites et de passer outre un classement sans suite, elles réclament le plus souvent un simple rappel à la loi plutôt qu’un procès long et coûteux.
Que faire quand l’État ne protège plus les citoyens contre les excès récurrents de la liberté d’expression commis sur les réseaux sociaux ?
À l’ère d’internet et de la e-démocratie, l’État se doit de faire respecter une loi qui a fait ses preuves puisqu’elle régit la liberté de la presse depuis 1881 pour que les victimes ne se sentent plus les oubliées de la justice.
Réponse du Ministère chargé de l’outre-mer publiée dans le JO Sénat du 23/11/2011 – page 8206
M. Jean-Jacques Mirassou. Par cette question, j’entendais attirer l’attention de M. le garde des sceaux sur l’impunité des attaques diffamatoires qui s’exercent sur les réseaux sociaux.
À l’heure où ces réseaux sociaux connaissent leur apogée et deviennent un instrument de communication pour nombre d’entre nous, les insultes et les diffamations formulées sur ces réseaux se sont multipliées d’une manière que je qualifierai d’« exponentielle ».
Parmi les premières victimes de ce fléau, on retrouve un public fragile tel qu’un enfant handicapé victime d’un lynchage en ligne ou une jeune fille rouée de coups par le frère d’une amie pour avoir insulté celle-ci en toute impunité. Les élus sont, eux aussi, malheureusement trop souvent les victimes de ces agissements : il est devenu en effet extrêmement simple de déverser en ligne, en quelques mots, son lot d’accusations, singulièrement à l’occasion des campagnes électorales. Je pense ici tout particulièrement à un élu que je connais bien, qui a subi de tels débordements lors des dernières élections cantonales.
L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse réprime les délits d’injures et de diffamations publiques. Ce texte, qui est appliqué dans la majeure partie des cas, concerne les crimes et délits commis par voie de presse ou tout autre moyen de communication, entendu au sens large du terme.
Les réseaux sociaux constituent un moyen de communication et peuvent donc être soumis à la répression. Or ces agissements bénéficient, au nom de la liberté de poursuite du ministère public, d’une quasi-impunité. Les auteurs d’attaques diffamantes ne sont nullement intimidés par une loi, qui, en l’espèce, n’est le plus souvent pas appliquée. De ce fait, ils osent de plus en plus braver les interdits en insultant et en calomniant.
Le parquet argue du fait qu’il est impuissant eu égard au nombre d’insultes et de diffamations formulées. Pour ma part, je prétends que c’est précisément parce qu’il est impuissant que de tels débordements se sont multipliés de manière exponentielle.
Par le jeu du classement sans suite, les réseaux sociaux deviennent une zone de non-droit, comme il en existe tant sur Internet. Bien que les victimes aient le droit d’engager des poursuites et de passer outre un classement sans suite, elles réclament le plus souvent un simple rappel à la loi plutôt qu’un procès qui serait long et coûteux.
Dès lors, que faire quand l’État ne protège plus les citoyens contre les excès récurrents de la liberté d’expression commis sur les réseaux sociaux ? À l’ère d’Internet et de la e-démocratie, l’État se doit de faire respecter une loi qui a fait ses preuves puisqu’elle régit la liberté de la presse depuis, je le répète, 1881. En effet, les victimes ne doivent plus se sentir en quelque sorte les oubliés de la justice. (Mme Odette Herviaux et M. Yannick Botrel applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, chargée de l’outre-mer. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser M. le garde des sceaux, qui, ne pouvant être présent ce matin, m’a chargée de vous répondre.
La liberté d’expression est une liberté fondamentale reconnue par l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, par l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ou encore par l’article 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Cette liberté est toutefois relative puisque ses abus peuvent être sanctionnés.
En droit français, la liberté d’expression se trouve notamment limitée par la loi du 29 juillet 1881, qui reconnaît comme mode de publication, au sens de son article 23, la diffusion via Internet au même titre que la publication par écrit ou par un moyen audiovisuel. Dès lors, les propos diffusés via Internet sont susceptibles d’être incriminés pour diffamation ou injure publiques, qualifications pénales définies à l’article 29 de la loi précitée.
S’agissant de la poursuite des infractions commises par voie de presse, l’article 47 de la loi de 1881 dispose que « la poursuite des délits et contraventions de police commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication aura lieu d’office et à la requête du ministère public ».
Si le ministère public conserve, en vertu de cet article, la maîtrise de l’action publique en matière de presse, la portée de cette règle est néanmoins atténuée par l’exigence, dans la plupart des cas, d’une plainte préalable de la victime. Le législateur a en effet laissé à la victime le soin d’apprécier la gravité de l’atteinte subie et l’opportunité de mettre en mouvement l’action publique. Elle a la possibilité de porter plainte avec constitution de partie civile auprès d’un juge d’instruction ou bien de citer directement l’auteur des propos devant le tribunal correctionnel.
Il est par conséquent inexact de parler d’impunité en matière de diffamation ou d’injure sur Internet, et ce d’autant que les moyens de lutte contre de tels comportements ont été renforcés.
Il faut ainsi rappeler que le juge des référés peut être saisi, en application de l’article 50-1 de la loi de 1881, pour que soit ordonné l’arrêt du service de communication au public en ligne, dès lors qu’il contient des messages appelant à la commission de crimes ou de délits ou provoquant à la haine, à la violence ou à la discrimination et qu’il constitue un trouble à l’ordre public.
De manière plus générale, la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique dispose que « L’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête […] toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne. »
En outre, ce même texte retient la responsabilité pénale des hébergeurs s’ils n’agissent pas rapidement pour rendre impossible l’accès à un contenu illicite ou le retirer dès lors qu’ils ont effectivement eu connaissance, par tout moyen, du caractère illicite d’une activité ou d’une information dont ils assurent le stockage.
Enfin, en vue de lutter contre ces dérives sur Internet, un système de signalement des sites à contenus illicites a été mis en place en 2008 au sein de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication, ou OCLCTIC, de la police judiciaire.
La plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements, ou PHAROS, est composée de manière paritaire de policiers et de gendarmes. Elle est accessible au public, via un portail qui autorise les internautes, les fournisseurs d’accès et les services de veille étatique à signaler en ligne les sites ou les contenus potentiellement contraires aux lois ou aux règlements diffusés sur Internet.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. J’aurais souhaité avoir un dialogue singulier avec le ministre concerné. En effet, madame la ministre, vous m’avez apporté une réponse que je qualifierai d’ampoulée, d’exhaustive et de convenue.
En effet, dans le cas précis que j’évoquais, à savoir des insultes proférées à l’égard d’un élu, la marche à suivre que vous préconisez a été respectée. L’élu concerné a bien porté plainte. Mais, quelque temps après, il a reçu du parquet une lettre plutôt lapidaire lui expliquant que ce dernier, en matière d’injure et de diffamation, ne prenait pas l’initiative de poursuites.
L’élu concerné demandait simplement – c’est le moins qu’il pouvait faire, du reste ! – qu’il y ait un rappel à la loi, ce que j’évoquais dans ma question initiale. Vous comprenez bien que, pour une injure et un propos diffamatoire sur Internet, il n’allait pas faire citer l’auteur de la diffamation devant le tribunal correctionnel, avec, à la clé, un procès long, coûteux et parfaitement décalé par rapport à la réalité de la situation !
Par conséquent, je ne peux considérer votre réponse comme satisfaisante, d’autant que, en l’occurrence, le droit n’est pas appliqué, et singulièrement à l’égard d’un élu. Ce dernier étant du Sud-Ouest, cela me ramène à la problématique du rugby, sport que j’ai moi-même pratiqué à quelques reprises. Quand, au cours d’un match, l’arbitre ne fait pas son boulot, on sait comment cela finit ! Par conséquent, madame la ministre, votre réponse n’est pas satisfaisante, loin s’en faut ! (M. Jean Besson applaudit.)