Kaboul – Mercredi 20 août 2008
Messieurs les officiers généraux,
Mesdames et Messieurs,
Et si vous le permettez, chers amis,
Il était bien dans mes projets de venir à nouveau à Kaboul auprès des forces françaises qui sont engagées en Afghanistan depuis 2001. Je dois vous dire que je ne pensais pas malheureusement que des circonstances aussi dramatiques viendraient précipiter ma présence parmi vous aujourd’hui.
Chef des armées, je suis venu, accompagné de votre ministre, Hervé MORIN, du ministre des Affaires étrangères, Bernard KOUCHNER, du Chef d’État-major de nos armées et du Chef de mon État-major particulier. Je suis venu pour partager votre deuil, pour m’associer à la peine indicible qui est la vôtre et pour vous dire que ce sont tous les Français qui ont été bouleversés par le si lourd bilan de l’embuscade d’Uzbeen.
Je souhaite m’incliner au nom de la Nation devant la mémoire de vos dix camarades. Ils sont allés jusqu’au bout de leur engagement. Ils l’ont payé de leur vie et ils nous rappellent que le métier des armes qui est le vôtre n’est pas un métier comme les autres. Parce que chacun d’entre vous a consenti une part de sacrifice, cette part de sacrifice, vous l’avez consentie librement. Je voudrais vous dire que je mesure ma responsabilité. Les décisions, c’est à moi de les prendre. Les ordres qui vous sont donnés, c’est à moi de les assumer et de les prendre aussi. Que les choses soient claires, quand il vous arrive quelque chose, je m’en sens responsable. Même si vous êtes là depuis 2001, même si c’est une région où on est là depuis longtemps, je suis responsable. C’était donc normal que je vienne partager votre peine. Je le dirai, d’ailleurs, aux familles de vos camarades, demain à la cérémonie nationale que nous organiserons aux Invalides en leur honneur.
Ce n’est pas parce que vous êtes soldats que la mort d’un des vôtres a moins de prix. Bien sûr qu’il y a une part de sacrifice librement consentie, mais pour moi, les soldats doivent rentrer à la maison. Et pourtant, je suis venu vous dire que le travail que vous faites ici est indispensable. Je ne le dis pas simplement à vous, soldats français. Je le dis aussi à vos camarades, à toute l’Europe car ce sont des soldats de toute l’Europe qui sont ici. Pourquoi sont-ils ici ? Pourquoi toute l’Europe est ici et nos alliés, des grandes démocraties, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie et tant d’autres. Pourquoi sommes-nous ici ? Parce qu’ici se joue une part de la liberté du monde. Parce qu’ici se mène le combat contre le terrorisme, contre des gens pour qui la vie et la dignité n’ont aucun prix.
Nous ne sommes pas ici contre les Afghans, nous sommes ici aux côtés des Afghans, pour les aider et pour ne pas les laisser seuls face à la barbarie. Ce que les Talibans ont fait à vos camarades ils l’ont fait contre leurs propres frères Afghans avant, et c’est le choix politique de plusieurs dizaines de démocraties qui ont choisi d’être ici. C’est un travail très difficile, mais c’est un travail que l’on doit mener parce que nous n’avons pas le droit de perdre.
Parce que se battre ici, dans la vallée d’Uzbeen en Afghanistan, les Français doivent le savoir, c’est protéger nos démocraties contre le terrorisme. Vous défendez ici les droits de l’Homme, et plus particulièrement les droits de la femme. Grâce à vous des millions d’enfants Afghans sont scolarisés. Grâce à vous la mortalité infantile ici a été divisée par trois. C’est cela le travail que vous faites. Même si le bilan est très lourd, ce que vous faites ici, soyez-en fiers.
J’ajoute que vous avez fait votre devoir vis-à-vis de vos camarades. Je pense plus particulièrement à tous ceux qui ont été engagés directement. Vous ne pouviez pas faire mieux. J’ai dit à vos chefs que l’on va travailler sur ce qui s’est passé pour en tirer les conséquences. Une fois oui, pas deux. Il faut tirer les conséquences de ce qui s’est passé, il faut réfléchir, il faut adapter nos protocoles. C’est difficile, eh bien on va prendre les moyens pour que cela ne se reproduise pas. En tout cas, pas dans ces conditions là.
Des propositions très précises seront faites au ministre de la Défense. Je peux vous dire que je surveillerai de très près ce qui sera fait. Plus largement, soldats je veux vous dire une chose, la réforme des armées que j’ai engagée avec le ministre, je l’assume. Une armée de professionnels bien équipés, bien formés, bien encadrés, avec les moyens que la Nation engage au service de sa sécurité, doit penser aussi à la sécurité de ses soldats. Alors j’imagine que vous êtes tous avec le coeur lourd. Nous avons été dans la Chapelle ardente, j’ai vu ces 10 cercueils, sur chacun d’entre eux la photo de vos camarades, et puis l’âge, 20 ans, 21 ans, 22 ans. J’en ai vu parmi vous qui pleuraient, je les comprends. Je vous ai dit que je partage votre douleur, et ce ne sont pas des mots, sinon je ne serais pas là.
Mais en même temps, la meilleure façon d’être fidèles à vos camarades c’est de continuer le travail, c’est de redresser la tête et c’est d’agir en professionnels pour qu’ils soient fiers de vous. Que demain je puisse dire à leurs familles que les copains continuent. Cela ne veut pas dire que l’on oublie son chagrin, cela veut dire qu’on sait pourquoi on est là. Je n’ai pas de doute là-dessus, il faut être là. C’est difficile, si c’était facile, cela se saurait.
Mais en même temps, grâce à vous, on ne voit plus ces images de ces barbares rassemblés dans un stade pour lapider une femme prétendument adultère, pour couper la main d’une petite fille qui s’est mis du vernis à ongles, pour interdire la scolarisation de petites filles ou pour condamner les femmes à vivre derrière une prison qu’on appelle la burqa. C’est grâce à vous que des gens peuvent vivre normalement. Je pensais en venant dans l’avion que ce ne serait pas facile de partager ce moment avec vous. Mais en même temps, je veux vous dire que la Nation française est fière de vous. Qu’en France les gens sont tristes de ce qui s’est passé, mais qu’ils respectent l’armée française, qu’ils savent que vous êtes des femmes et des hommes courageux, que vous ne vous laisserez pas faire, que vous n’êtes pas abattus.
Puis je voudrais terminer en vous disant qu’on n’oubliera jamais vos camarades parce qu’on n’en a pas le droit. Et à ceux qui ont vécu ces longues heures sous le feu, je voudrais leur dire mon admiration. Je sais qu’ils n’oublieront pas ceux qui ont eu peur, je veux dire que c’est normal d’avoir peur. Si on n’a pas peur, on n’est pas courageux, parce que le courage c’est de surmonter sa peur, ce n’est pas de l’ignorer. Vous avez tout un pays derrière vous, soyez fiers de votre uniforme. Vous êtes respectés, vous êtes aimés, parce que les Français savent que vous êtes capables de surmonter l’épreuve que vous venez de vivre, alors surmontez-la. Il n’y a pas d’autre choix. Sachez que vos chefs sont derrière vous, que quand j’ai appris la mort de trois, puis de dix d’entre vous, moi aussi j’étais sous le choc. Parce
qu’au fond, la décision ultime c’est moi qui la prends. Mais je vous dis en conscience, que si c’était à refaire, je le referais. Pas la patrouille, pas le même enchaînement des événements, mais le choix qui m’a amené à confirmer la décision de mes prédécesseurs d’envoyer l’armée française ici. Je vous propose de faire une minute de silence à la mémoire de vos camarades.
Je vous remercie.
Aller, soyez courageux, soyez solidaires, soyez professionnels et soyez prudents.
Merci.
Source : site http://www.elysee.fr
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