Pour comprendre le bourbier Afghan, il faut lire « Les brouillards de la guerre » d’Anne Nivat.

Anne Nivat est un grand reporter indépendant, qui mène des enquêtes de terrain, seule, grâce aux réseaux qu’elle a su se constituer dans la population de pays en guerre. A la ville, elle est l’épouse de Jean Jacques Bourdin.

Sa méthode, sa démarche intellectuelle rappelle beaucoup celle de Gérard Chaliand, qui a séjourné à partir des années soixante dans divers mouvements de guérilla et est devenu un spécialiste reconnu de géopolitique.

Elle a ainsi parcouru la Tchétchénie, l’Irak et enfin l’Afghanistan. Elle en rapporte chaque fois des livres qui rendent compte de la réalité de la guerre dans les sociétés des pays en conflit.

Après avoir publié « Lendemains de guerre en  Afghanistan et en Irak » en 2004 chez Fayard  (édité en 2007 en livre de poche), elle publie aujourd’hui chez le même éditeur « Les brouillards de la guerre – Dernière mission en Afghanistan ».

L’originalité de l’expérience étalée sur quatre années de 2008 à 2011, dont elle rend compte dans son ouvrage, c’est qu’elle a séjourné aussi bien avec une unité de paras canadiens (québécois), commandée par le « major » (commandant) Pruneau dans la région de Kandahar que de l’autre côté du miroir, c’est-à-dire dans des familles afghanes.

Comment fait-elle ?

Elle ne cache pas qui elle est. Elle loge chez des particuliers. Elle s’adapte à leurs us et coutumes. Par respect pour ses hôtes et par sécurité, elle circule voilée comme une afghane. Elle a même rencontré des « néo-talibans ».

Qui sont-ils ?

« Ce sont des gens désabusés, sans travail ou percevant un salaire de misère, convaincus que les étrangers et les représentants du gouvernement profitent de la situation et ne se préoccupent que de leurs intérêts…Ils déclarent vouloir se faire justice…Ici, c’est le fait d’avoir de nombreux fils qui assure une belle situation aux gens. La plupart des zones de combat coïncident avec des zones d’habitation de gens qui n’ont rien reçu du gouvernement central ou local : aucune subvention ou poste. »

En fait, ce clientélisme traduit la structure quasi féodale et tribale de la société afghane. La situation des femmes reste précaire et très discriminatoire, même s’il existe des raisons d’espérer ou des exemples qui contredisent la sous condition des femmes, généralement peu éduquées et soumises à l’autorité absolue des hommes de la famille et du clan.

Que sont venues faire les nations occidentales conduites par les Américains dans ce bourbier inextricable ?

Les opérations militaires apportent parfois un peu de soulagement à la population de telle ou telle région. Mais le résultat n’est que temporaire, et le coût humain est trop élevé pour l’opinion publique des pays de la coalition.

Quant aux actions de développement, elles débouchent souvent sur de la corruption et rarement sur une amélioration concrète des conditions de vie de la population.

Il faut donc partir et répondre aux deux questions qui découle du constat : Quand et Comment ?

Comme en Irak, il est probable que le départ de l’ISAF débouchera sur une guerre civile féroce accentuée par la composition tribale éclatée de la société afghane : pachtounes, tadjiks, hazaras, ouzbeks, turkmens, etc…

Depuis le voyage d’Ibn Batouta au 14ème siècle, qui décrit Kaboul comme « un village habité par une tribu de Persans appelés Afghans qui sont pour la plupart des brigands et occupent des montagnes et des défilés », les choses ont évidemment changé.

Il reste qu’aujourd’hui, on ne voit pas l’intérêt des puissances occidentales d’avoir envahi l’Afghanistan depuis dix ans, hormis la traque contre Ben Laden et son organisation de l’époque, aujourd’hui démantelée.

Une guerre inutile et couteuse qui laissera un goût amer aussi bien chez les Occidentaux que chez les Afghans.

Jacques BESSY

07/10/2011

Quatrième de couverture

Interrogée lors d’une émission de télévision québécoise sur ses reportages hors normes dans des guerres où il ne fait pas bon être journaliste, Anne Nivat séduit si bien son auditoire que, le lendemain, elle est invitée par un officier canadien, sur le point de partir en mission de combat en Afghanistan, à venir parler à ses hommes. Non seulement elle accepte, mais elle obtient de le rejoindre sur le théâtre d’opérations dans la très hostile zone de Kandahar, excapitale mythique des taliban, qu’elle connaît bien pour l’avoir sillonnée à sa façon depuis dix ans, intégrée dans la population locale et protégée par celle-ci. Sur place, Anne Nivat troque avec courage et discrétion le gilet pare-balles contre un châdri qui la soustrait aux regards sans l’empêcher d’observer, et multiplie les allers-retours entre les acteurs de cette «drôle de guerre» : militaires alliés, armée locale à l’incertaine loyauté, administration hypercorrompue du président Hamid Karzai, sympathisants taliban, ex-moudjahidine, profiteurs de guerre en tous genres, candidats à l’exil, qui lui font partager leur vision du conflit. Grâce à elle, nous nous glissons dans l’envers du décor, loin des images officielles ou convenues. À travers ce double regard unique et troublant – côté militaire et côté population – qui aide enfin à en saisir les rouages et les enjeux, Anne Nivat, encore sur le terrain en mai 2011, livre ici un grand document sur l’interminable guerre d’Afghanistan.

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