Le testament du Général Bertrand Cavallier : un acte de foi, démenti par la réalité du terrain !

A l’occasion de son départ du service actif à 52 ans, le Général Bertrand Cavallier a produit le 26 septembre 2011à Maisons Alfort un discours en forme de testament sur l’avenir incertain de la Gendarmerie.

Trois principes, trois données essentielles conditionnent, selon lui, l’avenir de la Gendarmerie :

La militarité, le rôle de la hiérarchie, et enfin l’immersion de la gendarmerie dans la population.

LA MILITARITE.

Il définit la militarité  « comme une culture de valeurs de dévouement, de disponibilité, de discipline, de robustesse…C’est une posture morale qui fait que l’individu va plus loin dans le service de la patrie et des personnes »

Qui prétendra que dans notre période de crise sociale, les jeunes viennent aujourd’hui en Gendarmerie pour « aller plus loin dans le service dans le service de la patrie et des personnes » ? L’institution a été intégrée au ministère de l’Intérieur dans lequel de nombreux fonctionnaires usent de grades militaires sans en avoir le statut contraignant. Faut-il rappeler que les CRS sont parvenus à faire annuler deux dissolutions d’unité, tandis que plusieurs escadrons de gendarmerie étaient fermés. Et ce sont ces mêmes CRS qui ont assuré la sécurité du chef de l’Etat en Libye pour bien montrer aux militaires que des fonctionnaires de police peuvent aussi être projetés dans un pays étranger encore en crise. Qui niera que la militarité de la gendarmerie ne se justifie désormais que par le seul gain de disponibilité de ses personnels par rapport à ceux de la police nationale et que par l’avantage pour le pouvoir de disposer d’une force non syndiquée ?

Que l’officier formé à Saint-Cyr ou à Melun ait cette « posture morale », peut-être et pourquoi pas. Il reste qu’il n’est pas sûr que cette militarité puisse à terme être imposée aux simples gendarmes sans contrepartie touchant leur disponibilité, leur représentativité ou leur droit d’expression collective. La militarité aura-t-elle alors un sens ?

Logique que les officiers s’y accrochent, car elle justifie leur recrutement, le mode management et en définitive leur carrière.

LA HIERARCHIE.

« Colonne vertébrale de la gendarmerie. Elle doit être rayonnante, engagée, volontaire, mature, militante…Seule une hiérarchie qui s’assume, peut d’ailleurs donner un sens au dialogue interne. Dialogue nécessaire, mais qui ne doit pas constituer le nouveau viatique d’éventuels démagogues. A chaque niveau, depuis l’unité élémentaire, le chef s’impose. Un chef qui écoute, qui parle, qui décide, qui agit devant. Un chef, qui en définitive, est seul, responsable. »

Voici une magnifique description de la hiérarchie « à l’ancienne » que n’aurait pas démenti le Général de Gaulle.

Mais, hélas, trois fois hélas ! Cette hiérarchie n’existe plus. Seule perdure celle qui se couvre, qui évite les responsabilités, qui cherche dans les compromis à la limite de la compromission les solutions aux conflits notamment lorsqu’ils impliquent des autorités extérieures à l’institution. La vraie devise de la maison, c’est « pas de vagues ».

Certes le métier de gendarme a toujours été exigeant, prenant, voire envahissant et presque asservissant. Le problème de la hiérarchie, c’est qu’elle exerce son autorité principalement dans le contrôle et non dans l’action. L’exercice de la police judiciaire s’effectue sous la direction des parquets, et celui de la police administrative sous l’impulsion des préfets. Alors, il reste aux officiers le respect des instructions, celui du formalisme militaire. Et on ne peut soutenir que ce rôle est épanouissant.

Y aurait-il autant de dépressions et parfois de suicides, si cette hiérarchie savait anticiper, déceler ceux de ses personnels qui sont en souffrance, qui sont sur le point de craquer ?

Bref, la hiérarchie gendarmique n’a jamais été aussi présente. Il n’y a plus guère d’unités commandées par des sous-officiers. Les capitaines commandent des PSIG ou des communautés de brigade. Ont-ils apporté une réelle valeur ajoutée dans l’exécution du service, dans l’efficacité sur le terrain ? La mexicanisation de la gendarmerie révèle une fuite en avant, une sorte d’angoisse hiérarchique face à la police nationale qui s’est appropriée les titres et les grades militaires avec la bénédiction des politiques.

La hiérarchie omnipotente, omniprésente n’est pas un atout. C’est devenu un handicap pour la Gendarmerie.

L’IMMERSION.

« …L’immersion qui va beaucoup plus loin que la proximité. L’immersion, c’est vivre là où l’on travaille, avec sa famille. Il en découle à la fois une connaissance de la population, qui est l’enjeu principal, dégagée de préjugés et recentrée sur des individualités. »

Il serait faux de dire qu’il n’y a plus aucune unité de gendarmerie, qui ait une bonne connaissance de son territoire et de sa population. Mais cela reste l’exception.. Le Général semble avoir oublié qu’en 20 ans, on est passé de 3700 brigades à 1752 unités de base (1055 communautés de brigade ou COB et 697 brigades autonomes –chiffres 2006). Selon, l’encyclopédie de la gendarmerie, cette «  mutualisation des moyens humains et matériels est censée accentuer à effectifs constants, la présence de jour comme de nuit de 10 à 20% selon les lieux ».

La réalité est tout autre. La petite brigade dite de « proximité » est souvent fermée. Les gendarmes y habitent toujours et on les voit de temps en temps, eux ou leurs collègues de la COB sur la route ou en patrouille. Mais on perçoit combien ce système est artificiel. L’Etat n’a plus les moyens de renforcer les effectifs. Une  fois de plus, on tente de faire faire le grand écart aux gendarmes.

Le maire d’une petite commune de 700 habitants dans la Sarthe, major de gendarmerie en retraite (Essor de la gendarmerie- mai 2004) décrit la situation : « ..l’unité de proximité n’est plus aussi disponible que nous pourrions le souhaiter pour la surveillance de sa propre circonscription… Aujourd’hui, le commandant d’unité de proximité ne dispose plus de réelles prérogatives de commandement, du fait que cette mission incombe au commandant de la communauté de brigades…L’implication de l’unité dans cette nouvelle structure oriente de facto son action vers l’espace où se concentre l’activité industrielle et commerciale, mais aussi la population, d’où une activité plus importante à l’extérieur de la circonscription des personnels de la brigade de proximité. .L’un des éléments qui ne fut jamais pris en compte concerne la réduction progressive mais constante de l’effectif quotidien disponible. »

Alors, il faut bien admettre qu’il n’y a plus d’immersion dans la population depuis longtemps. Déjà en 1987, après l’arrestation par les policiers du Raid des principaux leaders du groupe terroriste « action directe ».. en pleine zone gendarmerie dans le Loiret, un officier général avait déclaré au journal Le Monde : « la connaissance profonde des habitants par la brigade locale de gendarmerie est un dogme périmé... Depuis une quarantaine d’années les idées, les mœurs et les règles, la géographie humaine, la gendarmerie elle-même ont changé. »

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Oui, le discours du Général Cavallier est beau. Il fait passer un souffle d’espoir sur l’avenir de l’institution. Même si je sais qu’il était profondément sincère et qu’il y croit, pouvait-il dire autre chose devant un parterre de généraux qui constituait une véritable voie lactée ?

Il me pardonnera, j’espère, au nom de notre amitié ancienne, au nom d’une estime  réciproque, de tempérer quelque peu ses propos.

Son testament est un acte de foi et comme tout acte de foi, il ne se démontre pas.

Jacques BESSY

Président de l’Adefdromil

02/10/2011

Cette publication a un commentaire

  1. Filou

    Une fois encore, le Général Cavallier a mille fois raison. Nos jeunes Gendarmes s’engagent pour les mêmes raisons qu’avant. Celle qui furent nôtres. Ces choses là sont des invariants, n’en déplaise à quiconque. Le colonel Bessy a également raison, mais dans sa conclusion seulement. Mon Colonel, « La victoire est comme Dieu, on y croit ou on y croit pas! » (« L’honneur d’un capitaine »). La Gendarmerie survivra si elle conserve foi dans le caractère singulier et sacré de sa mission. C’est là son âme et sa grandeur. Le testament du Général Cavallier n’a rien d’incantatoire. Il résulte d’une expérience professionnelle longue et avérée, d’une profonde connaissance des hommes, et d’une fraternité d’Arme vécue dans la fidélité.

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