Des gros bataillons aux grandes oreilles

 Le Figaro du 19 juin 2008 (pages 1 et 14)  nous informe qu’ « un groupe d’officiers généraux et supérieurs des trois armées – terre, air, mer-, tenu à l’anonymat, commente le livre blanc sur la défense ».

 Le premier constat vient de l’anonymat, il n’y a, parmi eux, ni un amiral Patou, ni un général de Launay.

Les deux intertitres et le texte nous apprennent  que « la sous-représentation des militaires compétents dans la mission conceptuelle du livre blanc n’a pas permis d’en effectuer un travail réaliste, ce que ses conclusions montrent à l’évidence » et que « une grande dépense d’énergie intellectuelle a simplement abouti à une réduction homothétique du format des armées. Au mieux, nous serons mieux renseignés, mais nous pourrons au moins agir ».

 Tout dans cet article laborieux montre que derrière Surcouf se cache un groupuscule d’officiers généraux ou supérieurs ayant tâté (ou trempé, comme vous voulez)  de loin ou de près à la rédaction de ce livre blanc supposé paru le 17 juin : voilà au moins des officiers rapides faisant partie des militaires compétents ! Ils ont le mérite de courir vite, après tout ils se préparent peut-être à être de bons fantassins ou de bons coureurs à pied !

 Autre constat, nul ne saura qui sont les militaires compétents, veulent-ils laisser entendre qu’ils sont encore sous le régime d’un précédent statut ; ignorent-ils que les militaires jouissent de la liberté d’expression (article 4 du statut de mars 2005) ; tout ce qu’ils démontrent c’est qu’ils ne sont ni des Patou, ni des Delaunay, c’est-à-dire des officiers sachant jeter la casquette ou le képi quand ils ne sont pas d’accord !

 Quant à la mission conceptuelle du livre blanc, nous sommes mal placés pour dire si elle est réaliste ou non. Mais ce que ces « courageux officiers » doivent savoir :

 1 – c’est qu’il y a un principe fondamental : « cedant arma togae », en clair cela signifie que les militaires s’effacent devant les politiques, devant les chefs et surtout devant le Chef des Armées.

Il appartenait à ces officiers de montrer et de faire valoir leur compétence quand il le fallait. Or la lecture des comptes rendus des CSFM ne peut que laisser des doutes.

 2 – Ces officiers oublient que la société suit le rythme du rouleau compresseur de l’évolution : il y a, heureusement, quelque temps que les centres mobilisateurs trop nombreux de l’armée de terre ont fermé leurs portes, ont bazardé le fouillis de vieux et démodés matériels qu’ils entretenaient pour le cas où la guerre future ressemblerait à la dernière. Or le chef des Armées, à tort ou à raison, a dit grosso modo qu’il ne croyait guère dans cette version.

Contrairement à ce que disait le brillant général Desportes lors d’un colloque dans les locaux de la CGT à Montreuil (93) le « retour à la normale » est une illusion en histoire et l’on pourrait même ajouter le pire des dangers.

 3 – Ces brillants officiers qui ruent dans les brancards, après coup, doivent savoir que, désormais, les gros bataillons (ou si vous le voulez les nombreux bataillons qui jadis étaient supposés décider du sort de nos armes) ont disparu au profit des grandes oreilles. Pour les rassurer et peut-être émuler leur compétence, qu’ils sachent qu’en Indochine, ou en Algérie quand on pouvait en avoir en état de marche, les crachotants SCR 300 portaient souvent bien plus loin que théoriquement et permettaient ainsi aux « oreilles » de l’adversaire d’être bien renseignés.

 4 – Les allers et retours en Afrique, selon le Chef des armées dans son discours au Cap, relèvent, il faut l’espérer d’accords de défense qui vont devenir caducs et dont des clauses étaient secrètes, automatiques en quelque sorte pour le plus grand bonheur de l’armée de terre en particulier. Elle avait encore des bataillons à entraîner physiquement !

 5 – Ce brillant groupe Surcouf doit savoir que demain on aura besoin d’effectifs pour des missions de sécurité, avec des personnels bien entraînés dans le maniement des « grandes oreilles » et qu’il y a tout lieu de penser que « oreilles » et « bataillons » continueront à faire bon ménage mais à une autre échelle et selon une autre technique.

 

                                                                                                            Jean Kerdréan

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