Extrait de l’intervention du Général Paul STHELIN

(groupe Progrès et Démocratie Moderne)

(…)

Qu’il me soit tout d’abord permis de dire quelques mots – nullement dans un sens polémique – sur ce que je sais des conditions dans lesquelles a été élaboré le texte qui est soumis à notre vote.

Comme on l’a rappelé, l’ordonnance du 7 janvier 1959 faisait obligation au Gouvernement de préparer une loi spéciale sur les garanties fondamentales des militaires de carrière et sur les principes de leur statut.

Il se trouve que peu de temps après je prenais les fonctions de major général des armées et que l’année suivante j’étais nommé chef d’état-major général de l’armée de l’air. Je n’ai pas souvenir qu’au cours de cette période de près de cinq ans, quoi que ce soit ait été entrepris dans le sens des prescriptions de l’ordonnance en cause.

Je crois savoir qu’il y a trois ans, le chef d’état-major des armées et les chefs d’état-major de chacune des armées de terre, de l’air, de mer ont été informés – plutôt que consulté – sur la préparation d’un texte relatif au statut général des militaires. Depuis, apparemment, ils n’en avaient plus entendu parler, du moins dans l’exercice de leurs fonctions. Ils n’ont eu connaissance du texte définitif que très récemment, pratiquement en même temps que nous.

Il n’est donc pas juste de dire, dans l’exposé des motifs, que ce travail se fait « après consultation des personnels intéressés », il est vrai que nous lisons aussi, deux lignes plus loin : « L’étude de ce statut aura, en effet, été la première grande tâche du conseil supérieur de la fonction militaire ».

S’il en est ainsi, il serait intéressant, monsieur le ministre d’Etat, que vous nous fassiez connaître l’avis de ce conseil sur le projet du Gouvernement.

Par ailleurs, je crois savoir qu’à aucun moment les chefs d’état-major, par exemple, n’ont été entendus par la commission de la défense nationale sur ce même projet. Or je pense que, lorsque les discussions de cet ordre ont lieu aux Etats-Unis, en Grande Bretagne ou en Allemagne, les intéressés, c’est à dire les chefs militaires responsables, sont convoqués et qu’ils donnent leur avis sur des textes aussi importants.

(…)

Les premières remarques – et peut être, là encore, serez-vous surpris – portent sur l’exercice des droits civils et politiques.

Nous constatons que le droit d’expression continue d’être strictement réglementé. Il suffisait, me semble-t-il, de rappeler que le militaire est tenu au secret professionnel et à la discrétion, et de préciser qu’il pourrait donner son avis sur les questions de défense qui ne sont pas couvertes par le secret.

Le maintien de la réglementation actuelle – je vous demande monsieur le ministre d’Etat, de le bien comprendre – laissera la pensée militaire officielle, en France, dans un état de conformisme – je n’exagérerais pas en disant de stérilité – contre lequel s’élèvent tant d’officiers qui, à ma connaissance, n’ont jamais été d’une si haute valeur intellectuelle et morale qu’aujourd’hui.

En revanche, que d’articles et de livres écrits par des civils qui se découvrent une vocation de stratège et de tacticien surtout pour nous entretenir de l’arme nucléaire et de la dissuasion !

Il faudrait alors donner la possibilité aux officiers de répondre dans un sens qui d’ailleurs converge souvent avec des opinions que j’ai exprimées à cette tribune. Je demande donc – ce n’est pas beaucoup – que les militaires puissent exposer librement leurs conceptions en matière de défense, dans les limites, je le répète, imposées par le secret.

Ma seconde remarque concerne le droit de vote et l’éligibilité heureusement rétablis en 1945. Je comprends fort bien qu’un militaire ne puisse pas participer activement aux manifestations publiques d’une formation politique, point sur lequel nous sommes tous bien d’accord. Mais dès lors qu’il est électeur, le droit d’exprimer ses opinions pourrait lui être explicitement reconnu.

Ma troisième remarque a trait au droit d’association. Le projet de loi le soumet – vous l’avez répété – comme dans le passé à un contrôle très strict. Or, je sais que bon nombre de mes jeunes camarades souhaitent bénéficier de la loi du 1er juillet 1901 pour former des associations composées exclusivement de militaires en vue de la défense de leurs intérêts professionnels. A la rigueur, ce contrôle – vous venez de le répéter – pourrait être délégué au conseil supérieur de la fonction militaire, mais la manière dont celui-ci a, jusqu’à présent, pu exercer ses attributions ne me permet pas d’augurer favorablement de son efficacité pour la défense des intérêts professionnels des militaires. Si en effet, le Gouvernement continue à refuser le droit d’association aux militaires, du moins devrait-il alors renforcer les attributions du conseil supérieur de la fonction militaire, lui assurer plus d’indépendance qu’il n’en a présentement dans l’exercice de la mission pour laquelle il a été créé.

(…)

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