On ne peut s’empêcher d’être saisi d’une sourde inquiétude au suivi de l’actualité militaire, aussi bien qu’à la lecture des différents forums et « libres propos » que nous transmet internet. Leur contenu vient s’ajouter aux commentaires entendus de-ci de-là. Beaucoup de cadres viennent s’y répandre en réclamations de toutes sortes qui laissent apparaître aigreurs, frustrations, dépit et, d’une manière quasi générale, un désenchantement de plus en plus prononcé que le Commandement ne parvient plus à occulter. Ce phénomène touche toutes les catégories de personnels et démontre à l’évidence que l’aspect matériel et les notions d’intérêt égoïste prennent le dessus sur toute autre considération. Il n’est question que d’indice, primes, indemnité, récupération … les soucis apparaissent de plus en plus catégoriels.
Décidément, la « vocation militaire » ne semble plus avoir le vent en poupe et la grisaille du moral risque de déboucher … sur le calme plat des énergies.
Mais plus récemment encore, l’Adefdromil faisait état d’un document dont l’aspect insolite n’a pu échapper : il s’agit d’une « lettre ouverte » adressée par les sous-officiers de 31 Régiments (je ne savais même pas qu’il en restait autant …) adressée au Ministre de la Défense avec copie au Chef de l’Etat : Ils « en ont marre » de passer pour les « dindons de la farce », d’être disponibles 24 heures sur 24, de « galérer » pour payer leurs loyers et leurs cautions, d’être absents de leurs foyers 200 jours par an. Ils font le bilan des injustices dont ils ont conscience d’être l’objet. Ils demandent au CEMAT de prendre exemple sur le général PARAYRE et de se faire le porte parole de leurs revendications. Car la situation dans l’Armée de terre est selon eux … à la limite de l’explosion. Où allons-nous ?
Après 10 ans de « professionnalisation » et de bilans qualifiés officiellement de « globalement positif » par une demi douzaine de CEMAT à l’optimisme inébranlable, notre « Armée d’excellence » semble ainsi traverser une période difficile à un moment où les menaces extérieures se font de plus en plus précises et où on nous annonce une fois encore des restrictions budgétaires de grande ampleur.
Les jeunes cadres de notre Armée, officiers aussi bien que sous officiers, dont les qualités tout comme les mérites ne font aucun doute, devront-ils bientôt regretter l’ambiance de notre « époque d’amateurs » et ces instants privilégiés que nous avons pu connaître au sein de nos « gros bataillons » : les manoeuvres «terrain libre » ou les périodes en camp dans le cadre régimentaire, les chahuts de lieutenants, l’accueil « des Aspis », la cohésion des unités élémentaires, les repas de cohésion … et d’une façon générale la « solidarité de terrain » entre militaires de tous grades, qui n’était pas à l’époque un slogan mais une réalité vécue . Le Commandement, non seulement n’y faisait pas obstacle mais encourageait les manifestations de l’entrain et de la bonne humeur des cadres subalternes. J’ai le souvenir d’un Général d’artillerie (s’il se reconnaît, je le salue respectueusement …) qui avait coutume de dire : « rigolez … et méfiez-vous des gueules chromées et des braguettes tristes ! » Un langage certes imagé, mais si expressif .Que des « Professionnels » en viennent à évoquer ces années avec nostalgie … avouez que ce serait un comble!
Que garderont-ils comme souvenirs et comme motivations à l’instant où comme tout le monde ils se retrouveront à la soixantaine avec l’impérieux besoin d’« évoquer » … et de se retrouver. Et ils n’ont pas encore reçu cette lettre si pleine de tact de la DPMAT qui viendra leur annoncer le passage à l’honorariat de leur grade et sans plus de ménagement … que leur dossier est désormais au BCAM de Pau. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui « les relations humaines » … !
Pour eux, il n’est sans doute pas trop tard de prendre conscience qu’une carrière qui ne laisserait ni amis ni souvenirs serait passée à côté de l’essentiel.
C’est la raison pour laquelle, à l’aube de l’an 2008, à quelques semaines de la parution du « livre blanc » qui viendra définir de « nouvelles capacités », il est moins nécessaire de « punir le soldat Matelly » qu’il n’est devenu impérieux et urgent … de « sauver le soldat Riant ».
Mustapha Bidochon