Le malaise des militaires non officiers

Loin des débats géostratégiques, de l’Europe de la défense, des lois de programmation militaire, du prochain livre blanc ou d’un Pentagone à la française prévu du côté de Balard, je trouve, comme quelques autres d’ailleurs, que l’on parle peu de la condition réservée aux militaires non officiers. Je sais, ce n’est pas très intéressant comme sujet, mais je vais quand même m’y atteler quelques instants et éclairer leur lassitude en espérant que mon propos volontairement synthétisé pour ne pas lasser, retiendra l’attention d’un cénacle de penseurs toujours sensibles aux entrefilets.

Avec un Président aux fourneaux, nos huiles sont en ébullition. Elles ont retrouvé la frite certes, mais elles demeurent sensibles à la goutte d’eau, d’ou la nécessité de garder en état de fonctionnement un parapluie. Pour ceci je ne me fais pas de souci. L’ustensile paramilitaire est bien soigné dans les états majors et un corps d’experts y veille avec la plus grande attention : tout peut tomber en panne dans la boutique SAUF le parapluie. Alors voici, en périphérie de cet ustensile ruisselant toujours à portée de main, le coeur du propos portant sur un malaise allant crescendo.

Lorsque par exemple à la radio, sur des affiches publicitaires ou à la télévision on nous montre des reportages publicitaires sur l’armée de terre notamment, c’est toujours renversant. Nonobstant le fait que cette pub cache d’importantes difficultés de fidélisation des personnels dont 70% sont contractuels, la pub nous conte un nirvana de bonheur facilement accessible. C’est beau, c’est dynamique, c’est paradisiaque. Les couleurs chatoyantes sont aguichantes, les ralentis de nature guerrière (sans doute inspirés de la pub sur les croquettes pour chiens) y sont sympathiques et c’est sans même parler de la musicalité entraînante pour séduire les d’jeuns : A côté de ça, le « Chant du départ » de Méhul et Chénier fait franchement pâle figure… on connaît la musique.

L’armée se targue d’être le premier employeur de France ? Bravo ! Alors avec l’artisanat, ça nous en fait deux à présent. Ceci dit, la COM officielle omet de vous dire qu’on vire les soldats au bout de 9 à 11 ans (pour ne jamais leur payer de pension proportionnelle aux annuités acquises dévolues à partir de quinze ans) des hommes jeunes, dynamiques, compétents et dans leur immense majorité formidables en mission ; que leurs conditions réelles de vie consécutives à un statut militaire de nature féodale y sont celles du 18e siècle (le début du 18e…) : ce statut pourtant récent, est celui pour lequel le courage politique a manqué lors de sa dernière séance de « dépoussiérage » ; séance ayant abouti à l’adoption d’une nouvelle loi portant statut général des militaires, votée de nuit, à main levée, par une poignée de députés sans doute dépités par tant d’irrégularités au regard de la constitution qu’ils maîtrisent, des droits de l’homme et des recommandations européennes. Au pays des aveugles les borgnes sont rois : à l’exception de quelques courageux, nos élus n’ont pas bronché sur ce texte.

Il résulte de ce manque de considération à l’égard des Soldats de France, l’absence de droit d’expression dans toutes les armées ; une cohésion interne en net recul ; des soldes de smicards pour tous (sauf celles des officiers généraux confortablement revalorisées pour garantir leur asservissement au pouvoir politique) ; des qualifications stagnantes pour la troupe ; le service pénible et parfois dangereux d’un matériel obsolète et souvent indisponible faute de pièces de rechange ; un équipement de l’homme inadapté aux missions, en quantité et qualité insuffisantes faute de stocks ; peu ou pas d’avancement chez les militaires du rang ; une alimentation restant à la charge des personnels lors des missions sur le territoire ; des logement collectifs en caserne pour les MDR sans le moindre coin personnel attribué, là encore faute de moyens alloués aux chefs de corps ; des horaires, des journées, des semaines et des mois à rallonge (que d’ailleurs les militaires de la gendarmerie refuseraient d’exécuter en manifestant bruyamment dans la rue ) et sans compensations financières durant toute la « carrière » ; une absence de représentants de catégories élus, formés, compétents et disponibles (situation totalement irrégulière au regard du code du travail ) ; interdiction de solliciter des moyens de défense juridiques légaux (avocats) en cas de contentieux ; un décalage grandissant et sans précédent avec la fonction publique ; peu ou pas d’écoute des élus et responsables politiques. Le marasme complet, lequel va sans doute de paire avec « un Etat en situation de faillite » observé par le 1er Ministre lui même.

Ce sont donc les Soldats qui payent aujourd’hui l’addition. Demain sans doute aussi. Le livre blanc ne sera que l’un des moyens pour y parvenir en se donnant bonne conscience. C’est facile, les militaires ont juste à se taire. C’est statutaire.

Voilà. Ca c’est dit et j’espère que ce sera lu et bien compris par les politiques en situation de responsabilité. Nos camarades de la Gendarmerie Nationale ont ouvert le chemin des revendications avec un certain succès depuis 2001. Les armées ne vont pas rester à la traîne sous prétexte qu’un statut de nature féodale le prévoit. Après tout, les gendarmes sont militaires eux aussi et ne se privent d’aucun moyens que la citoyenneté pleine et entière accorde à tous les français. Même si ces problèmes récurrents échappent encore à bon nombre de politiques le plus souvent distraits lorsqu’il s’agit des questions de défense, la problématique de l’équité dans le traitement des uns et des autres finira par revenir à la Une, au moment le moins opportun, et sous la forme d’un boomerang que l’on commence à apercevoir sur les écrans radars : j’espère qu’ils sauront en faire la lecture et s’en saisir. Sinon, avec l’élan, le pire est à craindre. L’exaspération est toujours mauvaise conseillère.

A bon entendeur.

Renaud Marie de Brassac.

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