Des pensions d’invalidité injustifiées et de nombreux certificats médicaux de complaisance ont été délivrés par quelques médecins peu scrupuleux de l’hôpital militaire LAVEYRAN à Marseille en contrepartie d’avantages en nature.
Au sommaire de ce dossier :
– Article du Canard enchaîné du 1er novembre 1995,
– Article du Canard enchaîné du 27 juin 2001,
– Communiqué de Presse de l’ADEFDROMIL du 29 juin 2001,
– Article du Point du 13 juillet 2001,
– Communiqué de Presse de l’ADEFDROMIL du 14 juillet 2001,
– Article du Populaire du jeudi 19 juillet 2001.
Les très chers pensionnés de l’armée française
par Hervé MARTIN
n° 3914
du mercredi 1er novembre 1995
De la transpiration des pieds aux hémorroïdes, les invalides se ramassent à la pelle. Résultat : l’état débourse 20 milliards par an.
Se faire reconnaître invalide – et toucher une pension de 3 654 F par mois – pour quelques caries dentaires, c’est possible. Tout comme être déclaré invalide à 10 % parce que l’on transpire des pieds, ou que l’on souffre d’hémorroïdes. Suffit d’être militaire de carrière, de préférence d’un grade élevé et de savoir profiter de l’extraordinaire réglementation des pensions d’invalidité de l’armée.
Au total, plus de 500 000 pensionnés militaires coûtent 20 milliards au budget de l’Etat. Pour plus du tiers d’entre eux, l’invalidité n’a rien à voir, ni de près ni de loin, avec une quelconque guerre. Et tous ne sont pas dans un état de décrépitude tel que le laissent penser les taux faramineux de leurs pensions.
Pour les civils, l’invalidité ne peut, fort logiquement, dépasser 100 %. Pour les militaires, aucun plafond n’est prévu. Des invalides à 200 %, 500 %, voire 1 000 % ou 2 000 % ne sont pas rares. Le record en la matière est une pension de 1,9 million de francs par an, versée à un invalide à 2 500 %. A comparer avec le maximum accordé par la Sécu, en cas d’incapacité à 100 % : 6 300 F par mois.
Antiquités médicales
Pour fixer le degré d’invalidité d’un postulant, l’armée se réfère à trois barèmes, datant de 1887, 1915 et 1919. Epoque où les estropiés de la guerre se comptaient par centaines de milliers et où antibiotiques et médicaments modernes n’existaient pas. L’usage veut qu’on retienne le barème le plus favorable au malade. Pas étonnant si un militaire qui perd un rein est déclaré invalide à 50 %, alors qu’un civil ne bénéficiera que d’un petit 5 %.
Les médecins de l’armée sont en outre appelés à faire preuve de » bienveillance » dans l’examen des invalides en puissance. Ainsi en 1992, un militaire, brusquement frappé d’anxiété, a fait admettre qu’il s’agissait de la conséquence d’un bombardement survenu en 1944, quarante-huit ans auparavant. La » présomption d’imputabilité » permet, elle, à un ancien combattant ou à un déporté de se faire pensionner pour n’importe quelle affection. Y compris celles dues à l’âge, tels la diminution de la vue, de l’audition ou les troubles circulatoires.
Une jambe de prix
L’invalide militaire bénéficie en outre de la règle dite des » suffixes « . En gros, il s’agit d’un bonus de 5 % qui s’ajoute à l’indemnisation de toute nouvelle infirmité pour un pensionné à plus de 100 %. Ainsi un banal bourdonnement d’oreille, qui ne vaudrait à lui tout seul que 10 %, a rapporté 110 % d’invalidité à un malheureux qui souffrait déjà d’une vingtaine d’infirmités.
Enfin, la règle de l' » immutabilité » permet au pensionné, passé un court délai, de conserver éternellement sa pension, même si l’affection qui l’a motivée a disparu. Comme ce militaire qui touche à la fois pour des diarrhées contractées en Afrique et pour une constipation chronique survenue plus tard. Le taux de la pension, enfin, dépend du grade. Une jambe de général de division valant trois fois plus cher que celle du simple soldat.
Friandises pour invalides
Pour les militaires en activité – la plupart du temps, ces grands » invalides » continuent à porter l’uniforme -, la pension s’ajoute à la solde. Ce n’est pas le seul avantage. Elle est totalement exonérée d’impôt et de CSG. Elle donne droit à de multiples petites gâteries : exonération de la vignette auto, de la redevance télé, demi-part supplémentaire de quotient familial sur la déclaration de revenus, emplois réservés dans l’administration, etc.
L’Inspection générale des Finances s’était penchée, en 1978, .sur le sujet. Mais son étude, classée » confidentielle » n’a jamais été publiée et dort depuis dans les tiroirs.
Cela dit, un rapport médical remis récemment à Matignon donne quelques exemples révélateurs. Cicatrice au front (270 % d’invalidité) : 6 900 F par mois ; troubles digestifs (670 % d’invalidité) : 18 136 F par mois ; troubles oto-rhinolaryngologiques (1 040 % d’invalidité) : 26 237 F par mois. Au total, 1 920 pensions dépassent 360 000 F par an, soit près de cinq fois le maximum accordé par la Sécu pour les invalidités à 100 %.
Les civils n’ont qu’à s’engager.
Pension en famille
» Si on commence à parler de ça, c’est tout le système qui saute. » Le médecin général Pierre Metges, le patron du service de santé des armées, a eu un petit moment d’affolement, en juin dernier. Il venait d’apprendre qu’un capitaine partait en croisade contre le climat de complaisance régnant à l’hôpital militaire Laveyran de Marseille dans l’attribution des pensions d’invalidité.
Les » invalides » ayant souvent une santé de fer, l’incorruptible toubib s’est mis en tête de supprimer des pensions fantaisistes dont une à 75 %. Son heureux bénéficiaire a aussitôt attaqué. cette décision impitoyable devant les tribunaux. La contre-expertise l’a achevé. Ne lui demandait-on pas de rembourser 600 000 F ?
Le capitaine a fini par rédiger un rapport de sept pages pour ses chefs du service de santé des armées. Il a été convoqué à Paris et prié de la fermer.
Agacé, l’entêté s’est fendu au début de l’été d’une belle lettre à Juppé, dans laquelle il expliquait qu’avec les sommes distribuées à ces malades imaginaires on pourrait créer trente emplois à l’hôpital.
A la mi-septembre, le capitaine est reconvoqué, et cette fois à Matignon. II raconte l’ambiance de franche camaraderie qui règne à Laveyran. Dernier exemple en date : au retour des vacances, un photographe de l’hosto se fait une entorse bénigne. Le patron du service d’orthopédie lui attribue aussi sec une pension de 10 %.
Chez Juppé, on aimerait crever l’abcès et on a interrogé les militaires. Mais le service de santé des armées, invalide lui aussi, fait de la résistance.
Quant au jeune capitaine, il a été muté, mais il va passer commandant dans des délais record. Une promotion, bien sûr.
Balladur aux petits soins
DEPUIS les années 20, des hommes politiques ont périodiquement – et sans succès – tenté de remettre un peu d’ordre dans le système des pensions militaires.
Dernier en date, Charasse avait fait voter, en 1990, le principe de la révision du montant des pensions en fonction de l’évolution de la maladie, voire de sa disparition. De même, les » suffixes « , ces bonus qui tombent en cascade au fil des années à chaque nouvelle infirmité déclarée, étaient fortement limités.
Devant la levée de boucliers de nos glorieux soldats, efficacement relayés par certains parlementaires, Balladur a fait machine arrière en 1994, annulant purement et simplement les réformes de Charasse.
Pas question de porter atteinte au moral de l’armée.
En Italie, selon le quotidien » La Stampa » (cité par » Courrier international » du 26/10), on compte 3 millions de faux invalides (civils et militaires) pensionnés : aveugles chauffeurs de taxi, paralytiques culturistes, etc. Ces Italiens n’ont pas le sens de la mesure.
L’hôpital militaire malade de la Justice
par Brigitte ROSSIGNEUX
n° 4209
du mercredi 27 juin 2001
HUIT CENTS séances de kiné pour une légère malformation de la rotule, 144 infiltrations pour une douleur à l’épaule, une invalidité à 60 % en rhumatologie consentie à une habituée des courts de tennis !
Déjà repéré pour des détournements en tout genre, l’hôpital militaire Laveyran de Marseille aura beaucoup contribué à enrichir les annales médicales en matière de pathologies imaginaires. Des dizaines de salariés de l’établissement ont bénéficié, des années durant, d’arrêts maladie bidons et de fausses pensions. Comme ce responsable du matériel qui a perçu, pendant vingt et un ans, 3 000 F par mois pour une paralysie du bras plutôt virtuelle.
C’est une longue histoire. De 1980 à 1995, la vie coule douce pour les malades imaginaires et leurs médecins, puis la belle mécanique se grippe. Le grain de sable s’appelle Stéphane Lewden. Médecin capitaine chargé du personnel, ce toubib découvre l’ampleur de l’épidémie. Et il estime le préjudice pour la Sécurité sociale et le Service de santé des armées à 30 millions de francs. En bon officier, il alerte sa hiérarchie, et une inspection confirme son diagnostic. Mais dans la foulée, par une lettre en date du 3 mai 1996, le cabinet de Charles Millon, ministre de tutelle à l’époque, lui ordonne de la boucler. Dans son » intérêt » et celui du » ministère de la Défense « .
Trop tard, le coup est parti. Le médecin général de l’hôpital est contraint de porter plainte. En 1996, une instruction est ouverte pour » trafic d’influence, corruption active et corruption passive « . A la lecture de certains dossiers, les experts s’étranglent. Pourtant, l’affaire traîne. En 2000, devant l’ampleur des dérapages et la lenteur de la justice, un député UDF, Dominique Paillé, demande l’ouverture d’une commission d’enquête. Aucun succès.
Mais récemment un nouveau magistrat est désigné et il enquête sérieusement. Plusieurs médecins généraux, dont un quatre-étoiles, pourraient passer un sale quart d’heure dans son bureau. Car certains toubibs qui attribuaient à tout va pensions et congés maladie bénéficiaient en contrepartie de matériel dévolu en principe à l’hôpital : équipements pour salle de bains en granit, coûteux matériaux de construction.
Le jeune médecin, lui, a été moins gâté. Muté à Limoge, et toujours capitaine, il y végète sans la moindre promotion.
Et il ne comprend pas vraiment pourquoi ?
Pont, le 29 juin 2001
COMMUNIQUE de PRESSE de l’ADEFDROMIL
Des pensions d’invalidité injustifiées et de nombreux certificats médicaux de complaisance ont été délivrés par quelques médecins peu scrupuleux de l’hôpital militaire LAVEYRAN à Marseille en contrepartie d’avantages en nature.
Selon le Canard enchaîné du 27 juin 2001, des médecins généraux seraient susceptibles d’être entendus par le juge d’instruction marseillais qui a ouvert une information pour trafic d’influence, corruption active et passive de médecins.
L’Association de défense des droits des militaires condamne très sévèrement le comportement irresponsable des personnes impliquées qui porte atteinte à l’image du service de santé des armées et à l’honneur de toute une profession. Elle apporte son soutien au médecin capitaine LEWDEN qui a eu le courage de dénoncer ces faits délictueux et attire l’attention du ministre de la Défense sur la répression exercée à l’encontre de cet officier notamment dans son déroulement de carrière.
Michel BAVOIL
Président de l’Association de défense des droits des militaires
Quand le gouvernement ne défend plus ses soldats
par Jean Guisnel
n° 1504
du vendredi 13 juillet 2001
Scandale Les militaires sont indignés : les pensions attribuées pour accident ou décès sont systématiquement remises en cause. Le général Ubu serait-il de retour ?
Le 10 mars 1996, le transport de chaland de débarquement » Foudre » fait escale dans le port marocain de Casablanca. Au cours d’une longue croisière, les marins vivant à bord de leur navire de guerre dans la promiscuité, la chaleur, le bruit, les journées rythmées par les quarts et les intenses manoeuvres d’entraînement apprécient particulièrement les escales, qui leur permettent de souffler un peu. Lorsque l’équipage met pied à terre, deux solutions s’offrent à lui : soit les marins prennent des quartiers libres, et s’en vont traîner ici ou là, vivre les traditions de l’escale. Soit ils participent aux activités prévues par le bord. Ce jour-là, le quartier-maître principal Manoni choisit de partir, en bus, en excursion pour Marrakech. Le navire a organisé ce voyage avec l’ambassade de France, la gendarmerie marocaine escorte le véhicule, le programme est fixé par un » ordre de circonstance « , signé par le commandant, prévoyant l’organisation de la journée au titre des échanges avec la marine marocaine, et indiquant le nom de chaque participant. Une feuille de service réglementaire porte la mention » mouvement militaire « . Et le commissaire du bord a très officiellement alloué un petit crédit aux voyageurs, pour offrir un verre à leurs camarades marocains. Rien que de très normal, banal et traditionnel, s’agissant de militaires auxquels on répète, avant qu’ils mettent pied à terre, qu’ils » représentent la France « . On peut trouver la tradition désuète, mais elle est aussi vieille que la marine française. C’est sous la pluie, quelques heures après le départ de Casablanca, que l’accident se produit : le car se renverse, le quartier-maître principal Manoni est éjecté, et décédera quelques heures plus tard.
Sa veuve, Carole, est atterrée. Mais elle sait que l’armée a une règle d’or : les familles de ceux qui meurent ou sont blessés à son service sont convenablement traitées. Elle entame donc la procédure légale, afin d’obtenir une pension d’invalidité : 3 700 francs mensuels pour elle, jusqu’à sa mort, et 1 000 francs pour chacun de ses deux enfants, jusqu’à leur majorité. Le système est complexe et passe par un tribunal des pensions. Qui lui donne satisfaction. A ce jour, les versements mensuels cumulés qu’elle a reçus se montent à 309 963 francs. Mais …
Les ministères des Finances et de la Défense ont décidé depuis quelque temps d’interjeter systématiquement appel de toutes les décisions rendues par le tribunal des pensions, si elles sont favorables aux militaires. Et dans l’affaire Manoni, qui fait hurler toute la marine, l’état s’est emballé. Il prétend que la présence dans le bus du marin décédé n’est pas » imputable au service « , qu’il faisait du tourisme, et que ni sa veuve ni ses enfants n’ont droit à la moindre bienveillance. L’état perd en appel, mais se pourvoit en cassation et gagne.
Une fleur à la veuve …
Carole Manoni et ses enfants perdent leurs pensions. Victoire ! La marine, scandalisée, se démène, son chef d’état-major monte au créneau auprès du ministre Alain Richard, qui promet de faire tout son possible auprès de Laurent Fabius. De fait, Carole Manoni a reçu en juin une lettre manuscrite de la trésorerie générale des Alpes-Maritimes, qui paraît avoir été signée par Ubu : sans doute l’administration interrompt-elle le versement des pensions. Mais elle fait une fleur à la veuve au lieu de lui réclamer les 300 000 et quelques francs de » trop-perçu » depuis la mort de son mari, elle n’en exige » que » 108 946,92. Et, pour être sûre d’être payée, lui annonce qu’elle ponctionnera chaque mois 20 % sa demi-retraite de réversion.
» Je ne sais rien, je ne comprends rien à cet acharnement, dit Carole Manoni au Point. Au début, je croyais que c’était la marine qui avait monté tout cela. Je vois maintenant que c’est le ministère ! » A la Défense, on s’attache à dédramatiser, en indiquant que la » dette » de Mme Manoni sera prise en charge par le budget d’action sociale. Et pourquoi pas par les fonds secrets ? Mais de reprise du versement des pensions il n’en est plus question : » C’est l’autorité de la chose jugée « , dit-on chez Alain Richard. Un cadeau du prince, oui. Un peu d’humanité, non.
L’affaire Manoni est à l’image d’une douzaine d’affaires qui ébranlent en ce moment les armées. C’est peu sans doute, en termes de statistiques. C’est énorme, insupportable, révoltant, pour les personnes concernées ; à force de tractations, de coups de gueule de chefs d’état-major et de » grands commandeurs » militaires qui sentent les hommes de base révulsés, certains dossiers ont pu trouver une solution partielle : tout juste de quoi permettre à de grands invalides de ne pas être clochardisés.
Tétraplégique après un stage-commando, sa maladie est
déclarée » non imputable au service « .
Que penser du dossier du caporal-chef Laurent B., de l’armée de terre, cervicales brisées et tétraplégique après être tombé d’un pont lors d’un stage-commando, dont l’administration disait que son affection serait » non incurable « , et » non imputable au service « , avant d’admettre, après une bataille juridique indigne, que ses droits à pension sont fondés ? Que dire du brigadier-chef Reynald P., blessé le 11 mai 1997 à Rajlovac (ex-Yougoslavie) ? L’affaire est insensée : après avoir » monté une garde « , il rentre dans sa chambrée vers 23 heures, fatigué. Il décide de se faire chauffer un café sur un petit réchaud à gaz qui lui explose au visage. Il est définitivement défiguré, gravement invalide. » Ce n’est pas imputable au service, dit le ministère, il devait prendre son café à la cantine ! » Elle fermait à 20 heures ? Et alors … L’heure, c’est l’heure ! Après des années de guérilla, et par crainte d’un scandale majeur, le cas vient de se solder in extremis par un accord.
Le capitaine de vaisseau B. était épuisé par une charge de travail écrasante à l’état-major de la marine. Le 24 septembre 1994, à 8 heures, il doit prendre son poste de commandant du centre d’instruction navale de Saint-Mandrier, qui forme les commandos. La veille au soir, jusqu’à la dernière seconde – bien obligé -, il travaille à son bureau, à Paris. I1 s’époumone en courant sur le quai pour sauter dans le dernier train pour Toulon, est terrassé par une crise cardiaque en grimpant dans le wagon, et meurt. » Non imputable au service. » Sa veuve et ses trois enfants n’ont pas de pension …
La faute aux rapports
Les associations qui défendent les victimes, notamment Solidarité défense et les Gueules cassées, auxquelles la Cabat (Cellule d’assistance aux blessés de l’armée de terre) apporte un appui décisif, ne sentent pas la tension baisser : » On se trouve dans une situation complètement folle, s’indigne Jacques Moreau, des Gueules cassées, association née en 1920. On nous met l’armée française cul par-dessus tête. Si l’on veut que personne ne s’engage, c’est exactement ce qu’il faut faire ! «
Au ministère de la Défense, on jure ses grands dieux que l’on fait tout pour arranger les litiges, auxquels Alain Richard porterait » une attention d’une sensibilité extrême « . Le Conseil supérieur de la fonction militaire, dont la nature se rapproche de celle d’un comité central d’entreprise, a consacré fin mai une journée entière de travaux au problème. De ce branle-bas de combat il ressort que l’on admet une » nécessaire clarification « . Et que beaucoup de choses se joueront sur un document, le » rapport circonstancié d’accident » que le supérieur de la personne accidentée doit rédiger. Selon le ministère, la plupart des litiges viennent du fait que ces rapports sont parfois rédigés de telle sorte que l' » imputabilité au service » n’est pas démontrée. Et l’on invite désormais les militaires à souscrire une assurance personnelle pour couvrir ces difficultés.
les troublantes faveurs de l’hôpital de Marseille
S’il est un lieu dans l’armée française où les pensions d’invalidité ont été dispensées avec générosité, c’est bien l’hôpital militaire Laveyran de Marseille ; et si quelqu’un connaît bien le problème, c’est le médecin-capitaine Stéphane Lewden, 38 ans. Chargé justement du contrôle et de la validité des pensions, il a mis le doigt sur des situations invraisemblables. Certains de ses confrères médecins se seraient montrés d’une générosité répétitive dans l’attribution de pensions d’invalidité à des militaires et à des employés civils de l’hôpital qui n’étaient pas fondés à les recevoir. La générosité atteignait des sommets avec des responsables syndicaux du personnel civil, éventuellement détenteurs de mandats fédéraux. Dans de très nombreux cas, Stéphane Lewden a entrepris de supprimer des pensions indues, par exempte à de prétendus grands invalides qui occupaient leur temps libre sur des courts de tennis …
Le soupçon est lourd : les pensions attribuées frauduleusement auraient été » échangées » contre des faveurs financées par les fonds de l’hôpital, notamment sous forme de travaux gratuits effectués par le personnel civil avec du matériel financé par l’Etat : piscines, arrosage automatique, toitures, chauffage. Quant aux pensions, qui peuvent atteindre plusieurs milliers de francs par mois, elles ne sont pas soumises à déclaration fiscale et permettent, entre autres, de faire prendre en charge des crédits par des sociétés d’assurance. Le système était établi, jusqu’à ce que Stéphane Lewden vienne y fourrer le nez. Malheur à celui par qui le scandale arrive ! Depuis le milieu des années 90, le médecin a expérimenté des désagréments discrets, que la justice examine aujourd’hui : certificats médicaux signés de sa main et modifiés à son insu par des supérieurs. Transmission de décisions de modification de dossiers médicaux à une organisation syndicale sans qu’il soit prévenu. Demandes de la direction parisienne du service de santé visant à faire coïncider des certificats d’arrêt de travail de complaisance avec des plannings préparés à l’avance. Jusqu’à des menaces de mort devant témoin, et à une bizarre mutation sanction à Limoges, où il exerce aujourd’hui la médecine dans la gendarmerie. Pourquoi son avancement est-il bloqué depuis tant d’années ? Le médecin a protesté contre sa hiérarchie, a averti les ministres de la Défense Charles Millon et Alain Richard, s’est indigné d’être en butte à un » système » qui vise à le briser. Sans succès … Depuis des années, il se trouvé confronté à la vindicte discrète et efficace de ses supérieurs, mais se dit » combatif « . D’autant plus que l’affaire commence à agiter les esprits. Une lettre anonyme, transmise récemment à la justice, détaille les noms de cadres hospitaliers qui auraient bénéficié de faveurs illégales.
Soupçonnant des traficotages dans son dossier personnel, le médecin en a demandé communication. On lui a laissé lire des documents tronqués, raturés, modifiés. Une intervention en sa faveur de la commission d’accès aux documents administratifs (Coda) lui a permis de consulter les documents originaux. Mais il manque des éléments. Où est passé le vrai dossier personnel du docteur Lewden ? Tenu à l’obligation de réserve, il ne peut s’exprimer sur son propre cas, et a donc demandé à être libéré de cette contrainte. En essuyant des refus répétés du ministre de la Défense. Au service de santé des armées, à Paris, on assure qu’il n’est victime d’aucune vindicte. Et que ses alertes ont été suivies de mesures de remise en ordre ; ce qui n’est pas exact. Quant à sa carrière bloquée, on explique candidement : » Vous savez, un avancement est lié à des éléments variés. Tout le monde ne passe pas au grade supérieur en même temps. » Une plainte du médecin avec constitution de partie civile, pour falsification de documents médicaux, disparition de dossiers d’archives, escroquerie, faux et usage de faux pour l’obtention indue de pensions, etc., est désormais instruite à Marseille par le juge Franck Landou qui a commencé ses auditions. Au service de santé des armées, on ne » commente pas une affaire faisant l’objet d’une instruction judiciaire « . En fait, on rentre la tête dans les épaules en se préparant à la tempête.
Pont, le 14 juillet 2001
COMMUNIQUE de PRESSE de l’ADEFDROMIL
Selon l’hebdomadaire « Le POINT » du 13 juillet 2001, les pensions militaires d’invalidité sont systématiquement contestées par les Ministères des finances et de la défense lorsque les décisions prises par les Tribunaux des pensions sont favorables aux militaires. Les arrêts pris par le Conseil d’état, juge de cassation, conduisent à des situations juridiquement valables mais humainement très contestables.
Paradoxalement, des pensions d’invalidité injustifiées et injustifiables sont accordées à certains personnels civils ou militaires sans pour autant inquiéter ces deux ministères.
L’Association de défense des droits des militaires (ADEFDROMIL) a déjà condamné le 29 juin 2001 le comportement irresponsable des personnes impliquées, dans ces affaires de pensions frauduleuses. Elle s’étonne de la répression persistante exercée à l’encontre d’un officier qui a eu le courage de dénoncer ces faits délictueux, du peu de fiabilité des justifications données par la Direction du Service de Santé des Armées et de l’absence de réaction du ministre de la défense pourtant mis au courant de ces graves dysfonctionnements dès le 1er février 2001.
L’ADEFDROMIL condamne à nouveau très sévèrement ce type de comportement et ces dérives. Elle s’inquiète de la remise en cause de l’imputabilité des accidents survenus à l’occasion et par le fait du service, notamment pour les personnels envoyés en opérations extérieures alors que ceux-ci représentent ou défendent les intérêts de la France.
Michel BAVOIL
Président de l’Association de défense des droits des militaires
Un médecin marseillais » limogé «
par Franck LAGIER
n° 165
du jeudi 19 juillet 2001
Médecin dans un hôpital militaire à Marseille, Stéphane Lewden a dénoncé les pratiques frauduleuses de certains de ses confrères. On l’a envoyé à Limoges, à l’Etat-major de la Légion de gendarmerie.
L’AMPLEUR des fraudes n’est, à l’heure actuelle, pas connue avec exactitude. Ce qui est certain en revanche, c’est que l’hôpital militaire Laveyran, à Marseille, fait l’objet d’une instruction judiciaire pour » trafic d’influence, corruption active et corruption passive « .
Depuis plusieurs années, certaines pratiques ont eu lieu dans cet établissement hospitalier du sud de la France. Des pratiques qu’un docteur, Stéphane Lewden, 38 ans, n’a pas hésité à dénoncer. Il a, depuis, été muté … à Limoges où il est médecin capitaine à l’Etat-major de la Légion de gendarmerie départementale du Limousin.
Selon un article du « Canard Enchaîné » de 1995 [cliquer ici pour lire plus haut] et un autre, plus récent, du 27 juin 2001 [cliquer ici pour lire plus haut], des dizaines de salariés de l’établissement auraient bénéficié, des années durant, d’arrêts maladie bidons et de fausses pensions. Comme cette personne transpirant des pieds ou souffrant d’hémorroïdes, déclarée invalide à 10 %. Comme celle, habituée des courts de tennis à qui aurait été consentie une invalidité à 60 % en rhumatologie. Certains médecins se seraient montrés particulièrement généreux dans l’attribution de ces pensions à des personnels civils et militaires non fondés à les recevoir.
En échange de quoi, ils auraient bénéficié de faveurs, financées par les fonds de l’hôpital sous forme de travaux gratuitement effectués par le personnel civil.
Le soutien d’un député
Devant l’ampleur du préjudice pour la Sécurité sociale et le service des armées, qu’il estime à 30 millions de francs, Stéphane Lewden décide, à l’époque, d’alerter sa hiérarchie II rédige également un rapport de sept pages pour le directeur central du service de santé des armées en avril 1995. C’est en 1996 qu’une information judiciaire est ouverte. Un député UDF, Dominique Paillé, se saisit du dossier. Au regard de l’importance des faits qui lui sont rapportés, pièces à l’appui, il demande l’ouverture d’une commission d’enquête. Dénonçant » des dérives […] favorisant les certificats de complaisance et l’exploitation de certaines lacunes administratives « , le député UDF des Deux-Sèvres note que » ces dysfonctionnements engendrent des dépenses budgétaires injustifiées de plusieurs dizaines de milliers de francs chaque année « .
L’ouverture de la commission sera refusée. L’attachée parlementaire de Dominique Paillé ne mâche pas ses mots. Il s’agit là d’un » problème de corruption généralisée, d’un vaste scandale qui coûte particulièrement cher à la sécurité sociale « . Un scandale que dénonce également l’association de défense des droits des militaires, l’ADEFDROMIL [cliquer ici pour lire plus bas]. Celle-ci s’étonne de la » répression persistante exercée à l’encontre d’un officier qui a eu le courage de dénoncer ces faits délictueux. «
Saisie du tribunal administratif
S’étonnant de l’absence d’évolution dans sa carrière, Stéphane Lewden a demandé récemment à avoir accès à son dossier personnel ce qui a été accepté. Mais des ratures et des modifications l’ont amené à saisir la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA [cliquer ici pour lire plus bas], afin d’obtenir les originaux. Malgré un avis favorable de la CADA, Stéphane Lewden estime ne pas avoir eu accès à la totalité de son dossier. Il a donc saisi le tribunal administratif de Limoges, le 11 mai dernier pour obtenir communication du dossier. Le tribunal a renvoyé l’affaire devant le Conseil d’Etat par ordonnance du 14 mai.
Depuis 12 ans maintenant, Stéphane Lewden est capitaine et ne voit pas évoluer sa carrière professionnelle. A la direction centrale du service de santé des armées, on indique qu’ » aucune sanction n’a été prise à l’encontre du capitaine. La mobilité caractérisant le métier, il a fait l’objet d’une mutation, comme tout autre militaire. En moyenne est-il ajouté un médecin capitaine des armées reste à ce grade onze ans et neuf mois. » Reste qu’au regard des autres médecins de sa promotion, Stéphane Lewden est dans les derniers à ne pas être passé au grade supérieur.
Lié par l’obligation de réserve, Stéphane Lewden a demandé à être libéré de cette contrainte pour enfin pouvoir s’exprimer; il a récemment déposé une plainte avec constitution de partie civile pour faux et usages de faux, dissimulation et destruction de documents administratifs. S’estimant victime d’une vindicte aussi discrète qu’efficace, il attend patiemment à Limoges, que le voile soit enfin levé sur cette affaire.
Au service de santé des armées, on indique que » Stéphane Lewden a fait son travail en dénonçant certaines pratiques. Mais maintenant qu’une instruction est ouverte, il appartient à la justice de se prononcer. «
L’accès aux documents administratifs
Afin d’assurer la transparence de l’action administrative et l’information des citoyens, la loi du 17 juillet 1978 reconnaît à toute personne un droit très large d’obtenir communication des documents détenus par une administration, quels que soient leur forme ou leur support. Ce droit s’exerce à l’égard de toutes les administrations publiques ainsi qu’à l’égard des organismes privés chargés d’une mission de service public. La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) est une instance consultative et indépendante qui aide à obtenir un document administratif lorsque celui-ci vous est refusé. La CADA doit être obligatoirement saisie avant tout recours devant le juge administratif. Elle intervient gratuitement.
Le soutien d’une association de militaires
E docteur Stéphane Lewden est soutenu par l’association de défense des droits des militaires, l’ADEFDROMIL qui » condamne très sévèrement le comportement irresponsable des personnes impliquées » dans cette affaire. La création de cette association, qui remonte à mai 2001, constitue une première pour l’armée française. Les militaires en effet ne peuvent se syndiquer pour faire valoir leurs droits. Or l’association a pour objet » l’étude et la défense des droits, des intérêts matériels, professionnels et moraux, collectifs et individuels des militaires « .
Les deux personnes à l’origine de l’ADEFDROMIL ont en fait attendu d’être à la retraite pour faire connaître leur association. Il s’agit d’un ancien sous-officier, Joseph Radajewski et du capitaine Michel Bavoil. Ce dernier, par le biais de l’association apporte tout son soutien au docteur Lewden » qui a eu le courage de dénoncer ces faits délictueux « . Il attire en outre » l’attention du ministre de la Défense sur la répression exercée à l’encontre de cet officier, notamment dans le déroulement de sa carrière. «
Lire également :
Pensions militaires (octobre 2001)
L’affaire au parlement