La dernière session du CSFM de l’actuelle ministre montre, comme de coutume, que la « concertation » sur le social dans nos Armées procède davantage d’un « embrassons-nous folle ville, que la joie emplisse vos coeurs » que d’un sous-Grenelle au profit des militaires.
Du discours introductif du ministre, largement empreint d’autosatisfaction, il ressort que moins de deux ans après l’arrivée du « nouveau statut », on en est encore à prévoir…le plan d’amélioration de la condition militaire. Au terme de 5 ans de ministère, comme « tout ne peut pas se faire du jour au lendemain », ce plan sera donc urgemment remis à la prochaine loi de programmation.
Dans cette course de lenteur, on notera l’hommage très mérité rendu à ce barrage retardateur décrété fin 2005, cette nouvelle marche à gravir que constitue le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (6 civils non dérangés par leur connaissance de l’Armée, un Général de la 2 ème Section nommé par le Ministre, donc pas trop dérangeant lui non plus), dont on ne saurait contester, n’est-ce pas, ni la composition, ni les études, ni les avis. Ni l’indépendance.
Pour faire bonne mesure, il est bon de le rappeler, les sujets mis à l’ordre du jour sont désignés par le ministre, donc pas trop dérangeants eux non plus. Et last, but not the least, le CSFM, dont pour plus de sûreté les membres ne sont pas choisis pour leur compétence, mais par tirage au sort, ne donne qu’un avis consultatif.
Bref tous les ingrédients de la tarte à la crème sont réunis. Et ont fonctionné.
***
Le CSFM consacre la paupérisation…
Commandant et Adjudant-chef sont devenus les grades potentiellement terminaux des deux carrières. On voit le chemin parcouru, alors qu’il y a 30 ans le grade de major fut destiné à améliorer la condition du sous-officier.
Le grade de sergent-chef est qualifié de « grade de passage ». Il n’a donc plus à bénéficier de bonifications particulières, se suffisant par lui-même à faire le bonheur de ceux qu’il désigne comme ayant un destin.
Cette sélectivité au mérite dans la fonction militaire, exorbitante par rapport à ce qui se distribue dans le reste de la fonction publique (où l’on atteint en général son grade terminal potentiel à 10 ans de service, avec la rémunération y afférant jusqu’à la fin de la carrière, sans altération du revenu familial pour cause de mutation non souhaitée), est directement à l’origine du fossé entre les deux.
S’ensuivit la sempiternelle litanie sur les grandeurs et servitudes militaires : Annonce tardive des mutations, rythme de celles-ci, ICM et MICM non compensatrices du préjudice occasionné par le nomadisme, accession tardive à la propriété rendue très onéreuse par le manque de vision des mutables à merci, et par l’impuissance de la Défense devant la fiscalité punitive de Bercy. Avec cet aveu : si, sur ce plan, l’Education nationale se débrouille très bien, c’est qu’elle a les moyens syndicaux d’agir auprès de Bercy plus efficaces que ceux de la Défense non syndiquée.
Célibat géographique, taux d’emploi des conjoints inférieur à celui de la moyenne nationale, absence de crèches militaires pouvant se substituer à l’aide impossible d’une famille explosée aux 6 coins de l’hexagone ou à l’absence de relations de voisinage suivies, reconversion traitée en variable d’ajustement par les DRH, rémunération d’une deuxième carrière dans la fonction publique placée sous les fourches caudines de ses syndicats, temps de travail ou temps d’activité transformé en détail sémantique, à l’époque de la philosophie civile des 35 heures.
Toutes ces petites misères complétant le tableau d’une paupérisation que la cristallisation de la nouvelle grille indiciaire des sous-officiers n’améliore pas.
… Ainsi que la perversité du système de concertation.
Sans faire dans l’inné et l’acquis, force est de constater l’impuissance congénitale d’un système de concertation qui n’a aucun aiguillon pour contraindre. L’absence du stimulant syndical a du reste été la constante en filigrane de la parole ministérielle. Le « Chef » dit-on, en faisant fonction. On sait comment.
Par la suite, l’acquisition de certaines pratiques n’améliore pas les choses.
Le CSFM passe le plus clair de son temps à nettoyer les écuries d’Augias laissées par les insuffisances de la gestion interne. Ou le CSFM fait de la gestion et l’on fait l’économie des gestionnaires, ou les gestionnaires font leur travail, et le CSFM peut alors faire le sien, c’est-à-dire exprimer au ministre de la Défense l’avis des militaires sur les questions à caractère général relatives à leur condition et à leur statut.
Par exemple, quand le CSFM s’occupe de correctifs de gestion au profit de tels ou tels Corps particuliers au demeurant forts sympathiques, allant des Praticiens aux Greffiers, en passant par les Ecoles, la Musique ou les Professeurs de l’enseignement maritime, le temps ainsi perdu à rattraper les oublis du gestionnaire n’est pas du temps consacré à obtenir du ministre qu’il mette du beurre dans les épinards de l’ensemble de la communauté militaire. Or c’est là la mission du CSFM.
Cette dérive pernicieuse laisse la pénible impression qu’elle n’est pas le fruit du hasard.
Autre pratique de nature à phagocyter le débat, la reformulation ministérielle.
On ne peut pas dire que cette reformulation soit du grand art, puisque le béotien moyen l’apprend à son entrée dans nos Ecoles militaires, mais elle fonctionne à merveille.
Le jeu consiste pour le ministre à reformuler les demandes qui lui sont présentées pour être solutionnées, les reprendre ensuite à son compte, se féliciter de leur pertinence, et encourager les demandeurs à poursuivre leur réflexion sur le sujet vers une solution qu’ils ne manqueront pas de trouver eux-mêmes, grâce à la qualité de leur travaux et à leur opiniâtreté.
Et puis cette autre martingale, devant laquelle les talons claquent et les cerveaux se ferment.
Une inquiétude sur la disponibilité des matériels ? On peut toujours faire mieux, circulez il n’y a rien à voir. Un souci sur la confusion du fonds de prévoyance aéronautique avec ceux consacrés par la Défense à la construction de logements ? Pas de confusion possible vous explique-t-on sans rire, « les réserves des fonds de prévoyance sont bien complémentaires aux programmations budgétaires du ministère concernant le logement ». Là encore les talons claquent, sans se soucier de l’ambigüité du pluriel « complémentaires », alors que les cerveaux, s’ils ne s’étaient pas fermés, auraient exigé l’expression « sont exclusifs ».
Tout finissant par des chansons, la 75 ème session du CSFM se rendait ensuite au cocktail offert par le ministre à l’Hôtel de Brienne.
Pot de départ.
Après avoir savouré le sempiternel hymne à la crédibilité des instances de concertation entonné par le CSFM soi-même, le ministre revint sur le pouvoir d’achat et une reconnaissance indiciaire en parité avec …la police nationale, ceci dans la prochaine loi de programmation militaire. Il était urgent de le préciser.
Puis le ministre sortant se félicita de la qualité de son écoute durant 5 ans. Satisfaction qu’elle avait su joliment agrémenter auparavant par la formule « à quoi je sers si je ne m’oppose à rien ? ». Un peu comme si à la Défense, c’étaient ces petits garnements de militaires qui avaient des caprices de diva.
Vint enfin le testament : Les français ont besoin des militaires comme référence (et non l’inverse, comme ils le souhaitent), suivi de l’incontournable et peu onéreux « soyez toujours fiers d’être les soldats de la France ».
Tarte à la crème et champagne suivirent. Pas de la piquette 75e cuvée du CSFM. Non, du bon champagne.
Un grand cru, ça aide à croire…