Si vous avez la curiosité de consulter un dictionnaire français à la rubrique « Guenilles » vous apprenez (Quillet en 6 volumes) qu’une guenille désigne « un lambeau d’étoffe, de vêtement, un haillon… » et que ce terme est aussi utilisé pour désigner « toutes sortes de hardes, vieillies et usées..».
Je trouve que cette définition est tout à fait applicable à la situation faite à l’armée et aux personnels militaires des armées ; faute de place, nous n’évoquerons que quelques domaines.
L’armée, vous le savez mieux que moi, est devenue une armée de « professionnels », mais il y a tant de professions dans cette armée qu’il est devenu plus facile que jamais de diviser pour régner. Le plus bel exemple est celui de la gendarmerie : va-t-elle être rattachée au ministère de l’Intérieur comme certain candidat en a exprimé le souhait ou bien restera-t-elle sous le statut de perpétuel trublion insatisfait au sein des armées ? Les gendarmes, surtout les jeunes, ont-ils pris conscience que depuis tant d’années où ils sont incités à manger à deux râteliers, ils ne sont en fait que des citoyens comme les autres, chargés d’une mission dans la société en évolution permanente ? Ce n’est pas sûr, mais le miroir aux alouettes dépasse à coup sûr pour beaucoup les grandes et belles idées républicaines des temps anciens.
Les programmes sont-ils réalisés ? grave question s’il en fut, mais tout le monde le clame : personne n’arrive à lire les si denses, si doctes et si nombreux rapports parlementaires sur les questions touchant à l’armée , c’est presque indigeste ; pour la suite ou la survie des programmes, que faire si ce n’est continuer à s’adresser aux fabricants de prototypes si difficiles à maintenir si l’on en croit tout ce qui est écrit sur le sujet ; mais tant que les Européens seront aussi durablement divisés ils ne pourront qu’alourdir la facture : après tout, on n’est pas en Chine où la rentabilité de toutes les fabrications est assurée tant le volume des fabrications civiles et militaires réduit presque à néant les frais de premier investissement.
Quant aux personnels militaires, ils sont heureux : ils sont représentés par un Conseil supérieur de la fonction militaire qui entérine les chefs d’oeuvre de la littérature pour anorexiques militaires ! Eh oui, le rapport de la commission chargée de la réforme des statuts a révélé un tel consensus qu’il n’y a absolument rien à changer sauf à le mettre à la corbeille à papier.
Le rapport du Haut Comité d’Evaluation de la Condition Militaire est, en son genre, un autre chef d’oeuvre du parler Faux pour dire le Vrai : car « le VRAI » est que les militaires, tout professionnels qu’ils sont devenus, voudraient bien connaître comment leur sort a évolué depuis le fameux classement hiérarchique du 10 juillet 1948 [1], mais surtout qu’ils ne comptent pas trouver dans ce grand oeuvre illustré de graphiques aux rutilantes couleurs une source d’information comparative d’ensemble sur la situation de tous ceux qui travaillent dans tant de secteurs de la vie de tous les jours comme agents de l’Etat. Les militaires ne veulent pas croire qu’ils sont devenus, au moins depuis la professionnalisation, des agents salariés de l’Etat, comme les autres. C’est dommage et c’est pourquoi ni la Ministre, ni le Chef d’état-major des armées n’ont daigné répondre à la suggestion de l’Adefdromil dans son article « Retour en arrière » ; mais il est vrai que qui ne dit mot consent et reconnaît donc le bien fondé de ces demandes réitérées, tout au moins par l’association de défense des droits des militaires.
Quant aux sujets plus philosophiques tels que le droit d’expression, le droit d’association, la place dans la fonction publique etc. ce sont peut-être des sujets si tabous qu’on n’ose pas y toucher à une époque où l’on hésite encore pour quelque temps à recouvrir ou à effacer la trilogie gravée au fronton de certains édifices publics anciens !
Eh oui, faute de courage politique quelque part, l’armée et les militaires sont bien devenus les « guenilles de l’histoire », et ceci dit sans aucune nostalgie sur le retrait de nombreux territoires où nos aïeux avaient, avec une extraordinaire générosité et une volonté à toutes épreuves, à grands frais parfois, tenté d’implanter durablement les trois couleurs nationales ; l’histoire a montré que le qualificatif « durable » n’était dans les faits que synonyme de « provisoire ». Le professionnel militaire, dans cette cascade d’avatars, sans fin (car il n’y a pas de fin de l’histoire), est demeuré un quasi sans droit, tout en étant un devenu un « professionnel » comme les autres, très compétent mais qui ne peut et ne doit recevoir qu’un seul ordre : marche et tais-toi, mais un tel ordre permanent est-il encore au goût du jour en dehors des situations de combat ? la question mérite d’être posée ; le militaire n’est-il donc pas un citoyen comme les autres dont il ne diffère plus que par les missions confiées aux unités dont il fait partie ? A chacun sa réponse.
Jean Kerdréan : un ancien de la « vieille époque ou de la vieille école» qui continue à s’intéresser au sort des hommes et des armes.
[1] Auquel l’administration militaire se réfère toujours alors que la police, depuis la loi Pasqua de 1995, joue la spécificité.