« Lorsqu’on ne trouve pas de complots, il suffit d’en inventer un. »
Manuel du Comité de la Sûreté de l’Etat (KGB) de l’Union Soviétique.
A en croire l’interview du Général d’armée Guy PARAYRE publié dans l’Essor de mars 2007, les interventions sur le forum des gendarmes en colère – forum innomé et innommable – seraient le résultat d’une « machination », tandis que la prise de position du conseil de la fonction militaire de la gendarmerie rejetant le projet de grille indiciaire proposé par la ministre serait l’expression d’une saine concertation et non celle d’une grogne qu’on essaye d’étouffer !
Un complot militaire ?
Ces propos nous ont paru suffisamment graves pour que nous y réfléchissions. Car une machination, c’est un véritable complot avec des comploteurs qui agissent dans un but précis. Et le complot est défini (Hachette Livre 1998) comme « la machination concertée secrètement entre plusieurs personnes dans le dessein de porter atteinte à la vie, à la sûreté d’une personne, ou à une institution ».
Dans le domaine militaire, le complot est puni sévèrement, puisque l’article L322-3 dispose que « le fait pour toute personne d’être coupable de complot ayant pour but de porter atteinte à l’autorité du commandant d’une formation militaire, d’un bâtiment ou d’un aéronef militaire, ou à la discipline ou à la sécurité de la formation, du bâtiment ou de l’aéronef, est puni de dix ans d’emprisonnement. Il y a complot dès que la résolution d’agir est concertée et arrêtée entre deux ou plusieurs personnes. »
On peut dès lors se demander si une enquête n’a pas été ouverte sur la base de cet article, qui permettrait ainsi des investigations légales et notamment des écoutes et interceptions pour identifier les contestataires à défaut de trouver des comploteurs.
Et la suite logique consiste à examiner les hypothèses correspondant à une telle analyse et à rechercher selon l’adage latin « Is fecit cui prodest », celui auquel le crime profite (rait).
Deux séries d’hypothèses viennent à l’esprit : il pourrait s’agir soit d’une vengeance personnelle contre le Général Parayre, soit d’un attentat contre l’institution elle-même.
La vengeance personnelle.
Cette hypothèse s’appuierait sur la rancoeur soit d’officiers généraux concurrents ou prétendants à son poste ou d’anciens subordonnés qui imputeraient leurs déboires professionnels à l’actuel directeur général. Nous laissons à chacun le soin de mesurer l’improbabilité d’une telle origine du complot.
L’attentat contre l’institution.
En période électorale, on peut imaginer qu’un parti politique ait organisé indirectement la fronde pour discréditer le ministre candidat. Si tel était le cas, l’information serait déjà sur la place publique, compte tenu de ses conséquences électorales.
On peut aussi penser que certains corps de hauts fonctionnaires ont vu d’un mauvais oeil la nomination d’un général de gendarmerie à la tête de l’institution et qu’ils chercheraient alors à discréditer l’origine professionnelle du directeur général en espérant ainsi que le pouvoir politique se tournerait vers leur propre corps pour trouver un successeur. Il faut ainsi soupçonner des magistrats, des préfets et pourquoi pas des contrôleurs généraux qui occupent de plus en plus de postes en vue au sein du ministère de la défense. On voit immédiatement les limites d’une telle hypothèse.
On ne peut négliger également l’idée que des fonctionnaires de la police nationale aimeraient favoriser une absorption pure et simple de la gendarmerie par la police. Ainsi, l’UNSA, syndicat de police, dont on dit qu’il est proche de la gauche a organisé des manifestations de policiers fin mars, c’est-à-dire quasi simultanément avec l’annonce de l’action des gendarmes en colère. Est-ce une coïncidence ? Cette hypothèse rejoindrait celle du complot politique. Elle est difficile à croire.
Envisageons aussi, dans un accès de paranoïa, l’hypothèse où le lobby gendarmique aurait lui-même organisé la fronde pour contraindre les candidats à la présidentielle à prendre position sur le devenir de la gendarmerie. Tout est possible !
Enfin, allons jusqu’au bout par honnêteté intellectuelle, et soupçonnons l’Adefdromil elle-même (d’autres l’ont sûrement fait à notre place), qui aurait voulu démontrer ainsi la nécessité d’améliorer le système de concertation dans les armées et aurait comploté avec les « gendarmes en colère ». Comme nous ne doutons pas une minute que le service de sécurité du ministère, c’est-à-dire la DPSD, s’intéresse au sujet depuis que nous avons donné l’alerte sur le mécontentement des gendarmes –c’est-à-dire depuis plusieurs mois-, nous demandons à nos lecteurs de constater que l’Adefdromil n’a pas été dissoute et que ses dirigeants ne sont pas au goulag (enfin pas encore). Nous les prions instamment de retenir ce fait comme une preuve de notre innocence ou de notre extrême habileté à échapper aux investigations !
Et si c’était plus simple?
Un thermomètre social déficient.
Le problème majeur du ministère de la Défense, c’est que le thermomètre social fonctionne mal et qu’on ne veut pas l’améliorer par pure idéologie : le risque « syndical » !
En 1989, la première crise de la gendarmerie avait débouché sur une refonte du système de concertation avec la création des conseils de la fonction militaire de chaque armée qui s’étaient substitués à des commissions interarmées régionales inefficientes.
En 2001, on a conservé le même thermomètre et on a négligé de sauter le pas en passant du tirage au sort à l’élection pure et simple et en accordant une disponibilité particulière aux représentants des personnels. Nous espérons ne pas être les seuls à le regretter.
Une grande difficulté à admettre les poussées de fièvre.
Comme toujours depuis des temps immémoriaux, on confond le fauteur de troubles avec l’annonciateur de mauvaises nouvelles, qui était parfois exécuté.
Durant tout le premier semestre de 1989, le directeur général et ses grands subordonnés avaient fait la sourde oreille au mécontentement qui se manifestait depuis l’automne 1988. Le conseiller technique auprès du ministre – M. Chevènement- avait minimisé le mouvement et n’en avait pas informé son ministre contraint à rentrer précipitamment de congés au début de la fronde..On connaît la suite.
En 2001, c’est un scénario comparable qui s’est joué. Rappelons les déclarations lénifiantes du directeur général de la gendarmerie de l’époque devant la commission de la défense nationale alors que des signes tangibles de grogne étaient perceptibles. Et citons sans arrière pensée politique, M. Eric BESSON, élu local, qui vient de publier en mars 2007« Mais qui connaît Madame Royal » : J’ai des copains gendarmes dans ma circonscription et dans ma commune, qui m’ont dit, pendant des mois: « Attention, on va se mettre en grève ! C’est illégal, mais on va le faire. »J’en ai parlé à Alain Richard, ministre de la Défense. Sa réponse? « Je t’entends, mais c’est en décalage complet avec les rapports sur l’état d’esprit des gendarmes et la direction de la gendarmerie nationale. » En quelques lignes, tout y est : des rapports sur le moral peu conformes à la réalité mais qui satisfont la hiérarchie, et le refus de l’autorité politique de prendre en compte une alerte contredite par les rapports de l’appareil bureaucratique. L’histoire militaire fourmille d’exemples de décideurs, qui ont refusé de prendre en considération des informations fiables mais dérangeantes et de les exploiter.
Cette année, en 2007, la direction de la gendarmerie ne peut prétendre qu’elle n’a pas été informée, notamment par les articles de l’Adefdromil. Elle a également sous évalué le mécontentement né de la chape de plomb posée sur l’institution depuis 2004 et d’un management des personnels sans états d’âme. Elle a mal mesuré l’impact de la réorganisation du service résultant de la création des communautés de brigades. Elle a aussi surestimé son influence sur le système de concertation, dont elle espérait qu’elle lui permettrait de tenir ses troupes.
On comprend que la hiérarchie soit excédée par l’expression anarchique de gendarmes mécontents qu’elle s’efforce de la minimiser. A sa décharge, l’outil de concertation inadapté et peu représentatif, dont elle dispose lui permet difficilement de réagir face à la montée d’un tel péril. Le Général Parayre croit il lui-même au complot ? Rien n’est moins sûr puisqu’il reconnaît dans l’interview donné à l’Essor de la gendarmerie que le système de concertation peut être amélioré et qu’il souhaite associé des membres du CFMG en amont des projets touchant à la condition militaire des gendarmes. C’est déjà ce que proposait en mars 1993, le Colonel BESSY, Vice Président de l’Adefdromil dans un article intitulé « L’amélioration de la condition militaire » paru dans la revue de la Défense Nationale. Mais, depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts des insuffisances de la concertation et 2001 est passé par là.
Aujourd’hui, il faut aller beaucoup plus loin pour répondre aux attentes de tous les militaires et pas seulement à celles des gendarmes.
Nous ne pouvons que renvoyer à notre programme d’action 2007 – 2012.