Jadis et Aujourd’hui – Automne 1944 – 6 février 2007 (1e partie)

« La revue de la défense nationale, interrogée dès la parution du rapport HCECM, n’ayant pu accepter pour des contraintes de temps ou de place dans sa livraison d’avril 2007, un article intitulé « Jadis et Aujourd’hui », le contrôleur général des armées Eugène-Jean Duval (c.r) a demandé à l’Adefdromil si son site pouvait accueillir cet article.

En donnant satisfaction à cette requête, l’Adefdromil attire l’attention des lecteurs sur le fait que l’auteur a, sans doute, le premier, dans un ouvrage intitulé « l’armée de terre et son corps d’officiers 1944-1994 » – éditions de l’ADDIM 1996, attiré l’attention sur la revalorisation de la condition militaire dans les pages 97 à 147 de cet ouvrage très dense et pourtant indispensable pour connaître l’évolution de la situation de l’armée de terre et incidemment en partie des autres armées de 1944 à 1994, soit un demi-siècle au cours duquel de grandes transformations sont intervenues.

L’Adefdromil remercie le contrôleur général des armées Eugène-Jean Duval (c.r.) pour lui avoir confié cet article n’abordant que le seul aspect historique de la rémunération des personnels militaires. L’Adefdromil regrette que le premier rapport de cette institution ne restitue pas toute l’histoire de cette époque.

L’Adefdromil signale, à l’intention des visiteurs du site, que le contrôleur général des armées Eugène-Jean Duval (c.r.) est aussi l’auteur de « La couverture du risque en milieu militaire » – éditions de l’ADDIM 1998 – ouvrage dans lequel il présente, semble-t-il, pour la première fois au public, la situation des fonds de prévoyance. Dans « Regards sur la conscription 1790-1997 » ouvrage publié par la Documentation française pour le compte de la FED, il présente une vue d’ensemble des lois de recrutement de la période. Dans un ouvrage, édité à compte d’auteur par la société des écrivains en 2000, il retrace les « Etapes de la citoyenneté des militaires – 1789-1999 ».

Trois ouvrages sont ensuite publiés chez l’Harmattan sous les titres de : « La révolte des sagaies – Madagascar 1947» en 2002 ; « Le sillage militaire de la France au Cameroun 1914-1964 » en 2004 – « L’épopée des tirailleurs sénégalais » en 2005.

A la fin du mois de mars 2007, sauf accident, l’auteur publie aux éditions Theles, le premier tome d’un ouvrage (qui en comportera trois) intitulé « Aux sources officielles de la colonisation française » ; (le 1er tome va jusqu’à 1870, les tomes 2 et 3 traiteront des périodes ultérieures). Ces trois tomes sont accompagnés de nombreuses annexes puisées aux sources officielles.

La Rédaction

Jadis et Aujourd’hui – Automne 1944 – 6 février 2007 (Première partie)

Le sous-titre de cet article fixe les bornes et suffirait amplement à développer un long article en s’appuyant en particulier sur les notions de mémoire.

Si nous avons choisi ce titre et ce créneau dans le temps ce n’est pas sans raison. Le 6 février 2007 [1] le Chef des armées, c’est-à-dire le Chef de l’Etat, en application de l’article 15 de la Constitution, a reçu le premier rapport du Haut Comité d’Evaluation de la Condition Militaire créé par l’article 1 de la loi n° 2005-270 en date du 24 mars 2005 portant statut général des militaires et abrogeant le statut antérieur, objet de la loi 72-662 du 13 juillet 1972.

Le premier rapport du HCECM est donc paru et, désormais, fait partie des documents de la République ; c’est un travail collectif, l’oeuvre d’hommes dont les mérites et qualités ont été rappelées par le ministre.

Disons que de façon générale, en France, les commissions ont presque toujours été tenues pour des paravents ou pour des pare-feux et les rapports pour des béquilles de secours sur lesquelles on s’appuie en cas de besoin, tant leur nombre des unes et des autres est imposant.

A première lecture, ce rapport dont le Ministre de la défense a souligné l’importance, est sans doute comme maints rapports voué à l’oubli rapide. Selon la présentation faite par la « documentation française » « pour son premier rapport le haut comité a retenu l’attractivité des carrières et les rémunérations », c’est la raison pour laquelle nous avons tenu, en ce qui concerne les rémunérations, à le replacer dans l’histoire, dans la lignée historique dans laquelle il s’inscrit et, partant de là, à procéder à quelques constations.

1 – Un peu d’histoire, tout d’abord :

La seconde guerre mondiale n’était pas encore terminée, loin de là, et, dès le 23 septembre 1944, une ordonnance porte amélioration de la situation des fonctionnaires, agents et ouvriers civils ou militaires de l’Etat. [2].

En cet automne 1944, l’armée française tente d’intégrer divers éléments venus sous des noms divers de la « Résistance ». Cette armée, en attendant le retour des prisonniers, s’efforce de recruter et former des cadres. A peu près à l’époque où les tirailleurs sénégalais sont retirés du front pour des raisons qui ne tiennent pas qu’au froid, le général de Lattre de Tassigny déploie son énergie pour réussir « l’amalgame ». En ce qui concerne les cadres, il essaie de faire rentrer dans un moule unique, à Rouffach, des officiers de diverses origines, parfois autopromus ou promus par des structures différentes dont la légalité n’est peut-être pas toujours évidente.

De son coté, le général de Gaulle dont les vues sont avant tout à long terme, pense lui aussi reconstruction de l’armée et intégration de celle-ci dans les structures de la société de demain : la preuve la plus concrète en sera l’octroi du droit de vote aux militaires au mois d’août 1945. Mais bien avant de réaliser ce grand oeuvre, dès le mois de janvier 1945, dans une ordonnance aujourd’hui oubliée, il ordonne « une révision générale de toutes les créations ou transformations d’emploi de fonctionnaires titulaires ou temporaires, d’agents contractuels ou d’auxiliaires réalisés depuis le 16 juin 1940… » [3]

La légalité républicaine ayant été rétablie, quelques semaines après la victoire du 8 mai 1945, le 23 juin, il franchit une nouvelle étape par l’ordonnance portant réforme générale du régime de soldes des militaires et assimilés des armées de terre, de mer et de l’air. L’exposé des motifs de ce texte souligne que les principes posés par l’ordonnance du 6 janvier 1945 « n’ont pu être appliqués à l’époque aux personnels militaires » et rappelle que la poursuite des opérations militaires a eu « pour conséquence une rupture des assimilations traditionnellement établies entre les fonctionnaires civils et militaires. La capitulation de l’ennemi et la cessation des hostilités en Europe permettent aujourd’hui de rétablir ces parités. A cet effet, la présente ordonnance intègre les militaires dans des échelles de solde analogues à celles prévues pour les fonctionnaires civils ». Pour l’armée de terre, un décret du même jour, fixe le régime de solde.

Ce qui frappe dans ces textes de 1945, c’est le souci d’Unité à l’intérieur de la Nation. Il faut, pour ceux qui le peuvent encore aujourd’hui ou qui connaissent l’histoire contemporaine, se souvenir de la situation dans laquelle se trouve notre pays, la France, au lendemain de la Libération : pour s’en convaincre, il suffit de constater les difficultés singulières rencontrées à partir de 2003 dans notre pays pour tenter de mettre fin aux régimes spéciaux de pension qui datent de cette époque, de cette époque glorieuse où la production minière, de l’électricité, du gaz et la conduite des trains étaient de véritables secteurs stratégiques.

C’est cela, très sommairement évoqué, le contexte de l’époque où parfois la foire d’empoigne n’est pas du tout exclue des grandes négociations salariales.

A cette époque, c’est-à-dire dans la seconde moitié de l’année 1945, la Fonction Publique n’existe pas encore ; en dépit des efforts de coordination sous la houlette de Maurice Thorez aucun accord n’a pu se faire sur le statut des agents employés par l’Etat et que l’on nomme depuis longtemps « fonctionnaires » ; le statut élaboré par le régime dit de Vichy en 1941 a été, comme beaucoup d’autres textes pris pendant la guerre de juillet 1940 à la mi 1944, honni et rayé des tables du journal officiel. Le statut de la Fonction Publique paraît, bien après le départ du général de Gaulle, dans le dernier trimestre de l’année 1946, dans des conditions plus ou moins rocambolesques ou pour reprendre un qualificatif utilisé par le Chef de l’Etat « abracadabrantesques ».

Cette description sera tenue par certains pour « basique », mais c’est la réalité.

C’est donc longtemps après le départ du général de Gaulle du Pouvoir mais sur la lancée de l’impulsion qu’il a donnée que le gouvernement tente d’unifier les conditions de rémunération des agents de l’Etat. Nous sommes déjà loin de la guerre, même si les difficultés persistent (n’oublions pas que les cartes de rationnement furent rétablies) ; plus les dures conditions de la Libération s’éloignent plus les revendications émanent de toutes parts et font fi des belles promesses ou tout au moins des beaux discours à consonance patriotique.

C’est donc dans un contexte délicat que le décret 46-649 du 11 avril 1946 [4] crée « une commission chargée d’étudier le reclassement des rémunérations accordées aux différentes catégories de fonctionnaires », c’est la commission dite « Lainé » (son président).

Le 26 août 1946, « une commission est chargée d’étudier le reclassement des rémunérations accordée aux personnels militaires des départements de défense nationale » [5].

Nous avons fait état, dans un ouvrage paru en 1996 [6], des difficultés vécues par les personnels des armées au lendemain de la fin de la guerre [7].

Des travaux de la commission Laîné est issu le décret du 10 juillet 1948 « portant classement hiérarchique des grades et emplois des personnels civils et militaires de l’Etat relevant du régime général des retraites ». Pour mettre un terme aux critiques qui surgissent de tous bords au lendemain de la publication de ce classement, un décret du 14 avril 1949 précise que le classement de juillet 1948 « ne peut être revisé que tous les deux ans et seulement en ce qui concerne les emplois dont les caractéristiques auraient été modifiées par des faits nouveaux intervenus depuis la précédente révision ». Cette disposition de bon sens fait qu’à ce jour, plus de 500 décrets modificatifs sont intervenus ! et, sans doute, tous ne répondent pas à l’exigence ou à la condition du décret de 1949.

Le décret du 10 juillet 1948 est assorti, dit aujourd’hui, le Ministère de la Fonction Publique, d’une « vaste annexe », c’est-à-dire le classement hiérarchique des agents de l’Etat; la cour des comptes souligne que « ce décret a fait l’objet de très fréquentes modifications ».

Le texte du décret du 10 juillet 1948 est clair : agents civils et militaires relevant du régime général des retraites ; en ce qui concerne les militaires il s’agit, bien entendu, des cadres d’active et non pas des appelés.

En effet, au lendemain de la Libération, les armées et surtout l’armée de terre de loin la plus nombreuse, sont constituées de deux éléments inégaux en nombre et en droits : tous les Français de sexe masculin doivent en principe le service militaire, celui-ci comme l’a souligné un arrêt de la cour de cassation est un « impôt », les jeunes Français le doivent et, dans l’ensemble, s’y plient sans trop d’états d’âme ; ils sont encadrés par des militaires officiers, sous-officiers de l’armée active.

Précisons aussi qu’à cette époque, la gendarmerie n’est encore qu’un élément de l’armée de terre mais non autonome.

Pour les militaires ce premier classement constitue la base de la réglementation de la solde des personnels militaires d’active ; le décret du 10 juillet 1948 n’est pas abrogé, il demeure la pierre angulaire.

Tous les textes touchant de près ou de loin à la rémunération des militaires visent encore aujourd’hui ce texte de base.

Pendant des années, la même doléance de revalorisation réapparaît et engendre une kyrielle de voeux sans lendemain ; fort heureusement les cadres militaires profitent des résultats des luttes syndicales en matière de rémunération.

Pour tenter d’apaiser la grogne, l’Etat-major confie en 1955 au général Caminade une étude de la revalorisation de la condition militaire [8].

Afin d’éviter le renouvellement de cette situation le statut général des militaires du 13 juillet 1972 introduit la clause de l’article 19 ainsi libellée : « Toute mesure de portée générale affectant la rémunération des fonctionnaires civils de l’Etat est, sous réserve des mesures d’adaptation nécessaires, appliquée, avec effet simultané, aux militaires de carrière ». A l’exception du terme « de carrière » qui ne se justifiait plus, cette mesure est reprise à l’article 10 de l’actuel SGM.

Dans l’exposé des motifs de la loi du 13 juillet 1972, la justification de cette disposition de l’article 19 était ainsi présentée :: « mais les garanties qui précèdent, pour importantes qu’elles soient, seraient insuffisantes si la loi n’affirmait elle-même de façon solennelle, que la fonction militaire doit avoir la certitude d’être traitée, sur les plans qui leur sont communs, comme l’est la fonction publique civile et de recevoir, en raison de sa spécificité, les nécessaires compensations qu’appellent les sujétions qui lui sont propres.

C’est pourquoi le statut souligne formellement que les mesures de portée générale affectant la rémunération des agents de l’Etat sont, sous réserve des adaptations nécessaires, appliquées avec effet simultané aux militaires… » [9].

Trois ans plus tard, dès 1975, la revalorisation de la condition militaire est à l’ordre du jour (annexe 10), devient une affaire urgente, et aboutit au vote de la loi 75-1000 dont est issue une mesure provisoire devenue plutôt pérenne : le fameux article 5.

Les plans Giraud et Chevènement (ce dernier fait suite au rapport Descoutures ») traduisent pour les militaires la difficulté d’être ; de même, dans la fonction publique générale, le malaise est ressenti. Les négociations salariales aboutissent le 9 février 1990 à l’accord salarial connu sous le nom d’accords Durafour (ministre de l’époque) : la nouvelle bonification indiciaire est née et, par application de l’article 19 du SGM, sans concertation, est étendue aux personnels militaires d’active. A l’exception du premier rapport sur la mise en place de la NBI, sauf erreur, cette mesure d’importance n’a pas fait l’objet de rapport d’ensemble réguliers, de ce fait sa distribution n’est pas connue de façon satisfaisante, certaine et transparente : les nombreux textes d’attribution paraissant au journal officiel ne le permettent guère.

Entre-temps, la fonction publique a cessé » d’être Unitaire, en effet la loi du 26 janvier 1984, constituant le titre III du statut général des fonctionnaires, crée la fonction publique territoriale ; certes les articles 87 et 88 de ce texte assurent une continuité dans le domaine des rémunérations mais laisse aux collectivités la question des indemnités [10].

Deux ans plus tard, la loi du 3 janvier 1986 constituant le titre IV du statut général des fonctionnaires, introduit des dispositions particulières pour les personnels relevant de la fonction publique hospitalière, la situation des rémunérations est hybride : certains agents relèvent de la grille générale, d’autres relèveraient de la catégorie des « contractuels ».

De façon générale, le nombre des contractuels travaillant dans un service à caractère public n’a cessé de croître en particulier, dit-on, dans l’éducation nationale.

La professionnalisation des armées décidée en 1996, suivie de la loi du 28 octobre 1997 portant suspension de la conscription, fait que les militaires, aujourd’hui tous professionnels (les uns de carrière, les autres contractuels), sont des agents de l’Etat comme les autres, ils n’en diffèrent que par la nature des missions confiées aux unités dans lesquelles ils servent.

L’Adefdromil, prenant en considération la longueur de l’article, a demandé à l’auteur s’il acceptait une coupure : ce qui est fait, la seconde partie consacrée aux constations paraîtra dans deux ou trois jours.

[1] La date du 6 février 2007 n’est peut-être pas indifférente, mais nous n’avons ni l’intention ni les moyens de retracer des faits de la IIIème République.

[2] JORF page 833.

[3] Ordonnance n°45-14 du 6 janvier 1945 portant réforme des traitements des fonctionnaires de l’Etat et aménagement des pensions civiles et militaires. JORF du 7/1/195 page 90.

[4] JORF du 12 avril 1946- page 3064

[5] JORF du 6 septembre 1946 – page 7719..

[6] L’armée de terre et son corps d’officiers 1944-1994 – Editions de l’Addim 1996.

[7] pages 100 et suivantes.

[8] Ouvage cité de l’auteur- page 108 et suivantes.

[9] L’exposé des motifs de la loi 2005-270 du 24 mars 2005 n’insiste pas sur ce point mais souligne que « le texte présenté a reçu un avis favorable à l’unanimité du conseil supérieur de la fonction militaire ».

[10] cf articles 87 et 88 de la loi 84-53 relative à la fonction publique territoriale. La consultation de l’exposé des motifs de cette loi ne peut qu’être recommandée

cf articles 4 et 5 de la loi 86-33 modifiée relative à la fonction publique hospitalière.

Lire également :
Jadis et Aujourd’hui – Automne 1944 – 6 février 2007 (2e partie)
L’erreur stratégique des militaires

À lire également