Par Michel BAVOIL(1) et Jacques BESSY (2)
La récente parution de l’Instruction d’application (3) du décret relatif à la discipline générale a conduit l’Adefdromil et ses juristes à se pencher sur la légalité de la nomination d’un contrôleur général des armées à la présidence de la Commission des Recours des Militaires (CRM).
Une Kolossale bévue.
Le décret n° 2005-1427 du 17 novembre 2005 modifiant le décret n°2001-407 du 7 mai 2001 organisant la procédure de recours administratif préalable aux recours contentieux formés à l’encontre d’actes relatifs à la situation personnelle des militaires stipule en son article 4 premier alinéa :
« La commission est présidée par un officier général de la 1re section en activité. (…)
Cette commission étant présidée par un contrôleur général nommé par arrêté du 21 juillet 2005 (JO 175 du 29/07/2005), il convient de rechercher si ce grade est bien celui d’un officier général.
A cet égard, les textes applicables aussi bien à la hiérarchie générale qu’au corps du Contrôle Général des Armées, précisent que « la hiérarchie du corps militaire du contrôle général des armées ne comporte ni d’assimilation, ni de correspondance avec les grades de la hiérarchie militaire générale définie par la loi n°2005-270 du 24 mars 2005 (JO n°72 du 26 texte n°1 ; BOEM 300) portant statut général des militaires » ( voir par exemple Tableau I. Contrôle général des armées, BOC/PP n°49 du 5 décembre 2005 page 8310 et suivantes).
Il faut donc en conclure qu’en l’état des textes la nomination d’un Contrôleur Général des Armées à la présidence de la commission des recours des militaires est parfaitement illégale. Son président actuel, le CGA Sandras, tout comme son suppléant, contrôleur général, doivent être regardés comme des personnes incompétentes pour présider cette commission et émettre des avis sur les dossiers soumis à cette instance.
Les finesses de la hiérarchie militaire.
Tout d’abord, il est évident qu’en précisant que la Commission des recours des militaires doit être présidée par un général, le Gouvernement a tenu à mettre en place un militaire issu de la hiérarchie opérationnelle. Et par définition, un contrôleur général des armées ne fait pas partie de la chaîne de commandement. Il n’est donc pas qualifié pour présider la commission.
Ensuite, on s’étonne que la directrice des affaires juridiques du Ministère de la Défense, ancienne Commissaire du Gouvernement auprès du Conseil d’Etat (4) de novembre 1996 à août 2002, chargée du contentieux militaire ait pu laisser passer une telle bévue !
Toujours prompte à donner des leçons de droit, n’est-ce pas elle qui, en novembre 1999, stigmatisait devant le Conseil d’Etat l’ignorance d’un requérant : « Le premier moyen d’incompétence naît de ce que M.B.., qui ignore les finesses des délégations de signature, ne comprend pas comment les arrêtés attaqués peuvent être signés par le directeur du personnel militaire de l’armée de terre… »
On ne peut que lui retourner le compliment en concluant qu’elle ignore manifestement les finesses juridiques de la hiérarchie militaire, s’imaginant sans doute que l’adjectif « général » accolé à un grade transforme aussitôt son titulaire en officier général !
Ses talents vont devoir s’exercer maintenant sur la manière de sortir le ministère et sa ministre de cette impasse fâcheuse.
Un tsunami annoncé.
Les conséquences immédiates de cette situation sont en effet extrêmement importantes puisque le fondement juridique des décisions prises par le Ministère de la Défense après avis obligatoire de la commission est compromis. Il s’agit là d’un vice de procédure substantiel attesté par une jurisprudence constante.
Cette illégalité concerne toutes les décisions rendues actuellement après avis de la Commission des recours des militaires. qui doivent être considérées comme prises après avis d’une commission irrégulièrement composée et les décisions déjà rendues pour lesquelles le délai du recours contentieux n’est pas expiré (deux mois).
Il en est de même pour les affaires en instance devant les juridictions administratives ou rendues depuis moins de deux mois en première instance (délai d’appel).
Il s’agit de tous les recours contentieux des militaires en attente de jugement devant les Tribunaux administratifs, les Cours administratives d’appel et le Conseil d’Etat, qui sont susceptibles d’être entachés d’illégalité puisque les décisions contestées ont été prises au vu d’un avis émis par un organisme présidé par une autorité incompétente. Toutefois, pour que l’argument soit recevable, il faut qu’un moyen d’illégalité externe – incompétence de l’auteur de l’acte, vice de forme ou vice de procédure- ait déjà été invoqué.
L’Adefdromil invite tous les requérants militaires ayant une affaire pendante devant ces juridictions, qui ont fait valoir dans leur mémoire introductif un moyen de légalité externe, à déposer un mémoire complémentaire pour vice de procédure résultant de la composition irrégulière de la commission de recours des militaires.
L’intervention du SAMU juridique ?
L’intervention du SAMU juridique consiste pour tout gouvernement à faire valider par une loi les irrégularités tant que l’affaire n’est pas pendante devant une juridiction. On peut penser que, comme tout récemment pour les nominations conditionnelles jugées illégales, on attendra la discussion d’un texte « fourre-tout » pour demander, à un député de base de déposer un amendement en séance de nuit, si possible à une heure tardive et sauver une partie des meubles.
Il va néanmoins être nécessaire de donner rapidement à la commission une composition régulière pour mettre fin aux vices de procédure répétés et donc nommer à sa présidence un vrai officier général.
Cette nomination sera-t-elle une solution sur le long terme. L’Adefdromil y est favorable. On peut même envisager qu’une présidence tournante soit organisée entre les armées.
Mais le Ministre peut aussi décider de se réserver la possibilité de renommer à la tête de la commission un contrôleur général. Il faudra alors modifier le décret en conseil d’état fixant la composition de la commission.
On peut donc s’attendre à quelques développements intéressants que l’Adefdromil ne manquera pas de suivre et de commenter éventuellement.
(1) Michel BAVOIL, Président fondateur de l’Adefdromil, auteur du livre « Pour que l’armée respecte enfin la loi » (en vente : chez l’auteur :14, rue Fould Stern 60700 – Pont Sainte Maxence).
(2) Jacques BESSY, auteur du livre « Le droit de recours des militaires » ( Editions La Musse 34, avenue des Champs Elysées 75008 – Paris).
(3) Instruction N° 201710/DEF/SGA/DFP/FM/1 d’application du décret relatif à la discipline générale au Bulletin Officiel Chronologique, partie principale (BOC/PP) N°49 du 5 décembre 2005.
(4) Contrairement à son nom, le commissaire du gouvernement ne défend pas les intérêts du gouvernement, mais est chargé de présenter une analyse et des solutions juridiques sur les dossiers soumis aux juridictions administratives. Il est ainsi choquant sur un plan déontologique qu’un ancien commissaire du gouvernement ayant requis sur des dossiers du Ministère de la Défense puisse quitter son emploi pour servir les intérêts de ce même ministère. De telles pratiques ne plaident pas en faveur de l’indépendance des magistrats de l’ordre administratif. C’est un peu comme si un juge d’instruction se faisait embaucher par une entreprise sur laquelle il a procédé à des investigations. Dans la situation inverse, un ancien fonctionnaire qui devient avocat ne peut plaider contre son ministère d’appartenance pendant un délai de 5 ans.