La défense de leurs intérêts par les non officiers se transforme en lutte des classes. Bigre, l’heure est grave !
Comme l’a si bien rappelé « Ender », la défense des intérêts du subordonné est… subordonnée au chef, en d’autres termes, la mise sous tutelle est avérée et pour peu que les intérêts du subordonné s’éloignent de ceux du chef , le problème est posé, mais loin d’être résolu. Le subordonné n’a donc plus d’autre alternative que de se prendre en main lui-même, en commençant, et c’est bien légitime, par rappeler à son chef que celui-ci a failli à son devoir. Est-ce là déclencher une lutte des classes ? Non, c’est remettre chacun à sa place et surtout devant ses responsabilités.
Si pour une grande partie de son analyse je suis entièrement d’accord avec lui, je trouve sa manière de s’adresser aux sous-officiers (car c’est surtout vers eux qu’il décoche ses flèches) bien tendancieuse pour quelqu’un qui veut dénoncer l’ouverture d’une lutte des classes.
Il n’a jamais été question pour nous de demander moins pour les officiers, mais plus pour tous et c’est là la différence. Et si la nouvelle grille est particulièrement favorable aux officiers, qui sont nos chefs, à leur charge de se souvenir qu’ils ont d’autres intérêts à défendre que les leurs, sans qu’il soit nécessaire de le leur rappeler. En partant du principe que « qui ne dit rien acquiesce »…
Il ne faudrait pas non plus que « Ender » confonde « chefs » et « officiers » exclusivement. Je ne lui ferais pas l’affront de lui rappeler que nos chefs les plus à même de peser dans la balance pour veiller à nos intérêts, sont civils.
Par contre, là où il m’a beaucoup impressionné, c’est dans l’énumération de ses expériences concrètes.
« Les non officiers rentraient chez eux au dégagé alors que les officiers restaient au travail deux à trois heures de plus ». Quand est-ce qu’on pleure ? Qui les oblige à rester ? Pourquoi restent-ils ? Cette affirmation purement gratuite et, vu mon expérience à moi (35 ans de services), est non seulement gratuite, mais surtout mensongère pour la plupart des sous officiers que j’ai connus dans ma carrière. Et ce ne sont pas les chefs de corps, passés et présents, qui me contrediront. Encore ne faut-il pas confondre disponibilité et acte de présence, car, effectivement, s’il n’y a rien à faire qui ne puisse attendre le lendemain, je ne vois pas l’intérêt de négliger sa famille et sa vie privée en général. Mais il est vrai aussi qu’un vieil adjudant-chef a peut-être « déjà » fait ses preuves à une époque où le futur jeune lieutenant, occupé à jouer aux billes, n’était pas encore là pour le voir.
« Les officiers étaient plus souvent de service… ». Pour avoir été suffisamment longtemps responsable des services, je peux vous affirmer que cette allégation est faite par tous ceux qui prennent le service, mais que, à de rares exceptions près, elle ne résiste pas à un examen sérieux du suivi des dits services. Et quand bien même c’eut été le cas chez vous, que faisait votre chef qui devait veiller à vos intérêts ?
« A l’exception d’un officier, toutes les NBI… » Dites moi vite quelle est cette formation, que je la recommande à mes sous-officiers mutables. Franchement, là vous essayeriez de nous expliquer que chez Suchard c’est effectivement la marmotte qui emballe le chocolat, vous seriez plus crédible.
« La prime de haute technicité… et le bénéfice de la retraite à 15 ans…». Je ne savais pas qu’il n’existait pas de prime spécifique aux officiers. Sinon, vous en auriez parlé n’est-ce pas ?
Vous êtes-vous déjà penché sur le coût de la formation d’un officier comparé à celui consenti pour la formation des sous-officiers ? Ne pensez-vous pas que dans ces conditions il est normal que l’Etat demande un retour sur investissement ? Et pourquoi, dans la vie d’un sous-officier, arrive le moment où il est trop vieux pour passer officier (tout en restant assez jeune pour continuer à occuper des postes « d’officier ») ou pour sauter d’un avion en tant qu’adjudant ou adjudant-chef alors que le colonel ou le général peut sauter avec dix ans de plus ? Vous en voulez d’autres des « injustices » ?
Vous parliez de ces jeunes officiers qui gagnaient moins que leur « vieil » adjoint, mais le vieil adjoint expérimenté qui doit parfois subir au sens le plus bas du terme, un jeune écervelé imbu de sa personne, aussi pédant qu’incompétent, vous avez essayé d’imaginer ce qu’il ressent ? Vous savez ce que c’était que de servir sous les ordres d’un aspirant appelé, six mois de service, « grande » expérience de quartier, quand vous aviez dix ans, dont une partie en OPEX ?
Et le jeune sergent qui gagne moins que son adjoint, caporal-chef ancien et qui lui n’est pas sujet à mutation, dont l’épouse peut travailler sans risquer de perdre son emploi à la prochaine mutation et qui, par conséquent, peut sereinement investir dans l’accession à la propriété pendant que le sergent paie son loyer à fond perdu ? Qui est responsable du matériel et du personnel du groupe ?
Vous ne pensiez tout de même pas détenir le monopole des injustices ou des situations anachroniques subies ?
Quant aux officiers sortis du rang et déçus de leur sort, l’herbe est toujours plus verte ailleurs. N’est-ce pas en partie pour cela qu’ils ont déjà troqué un statut pour un autre ?
Voilà. Pour quelqu’un qui voulait dénoncer la lutte des classes, vous vous y êtes très mal pris.
Ceci étant et cela mis à part, je suis entièrement d’accord avec vous, la solution ne se trouve pas dans la division et encore moins dans un affrontement stérile entre catégories. La première chose à faire, à mon avis, c’est de substituer la communication à la division, la franchise à la cachotterie et d’arrêter de confondre serviable et servile.
Nous devons également regarder ce qui se fait autour de nous, car aucune autre catégorie de fonctionnaires ne se trouve aussi démunie que nous devant des problèmes devenus récurrents depuis des années. Il y a beaucoup à faire, ne perdons plus de temps.
Major L.R. Elsaesser
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