« Je vais vous aider à trouver la voie ! Rien de grave, rassurez-vous !… Il s’agit simplement de vous couper la tête ! » –Le lotus bleu – Les aventures de Tintin.
On dit souvent que les sous-officiers sont la cheville ouvrière d’une armée. Ils devraient donc être particulièrement choyés, voire favorisés par leur hiérarchie, censée défendre leurs intérêts.
Dans l’armée française, il n’en est rien. Est-ce l’effet du particularisme national si cher à certains ou plus simplement celui d’une charité bien ordonnée de la part de leurs chefs ? Toujours est il que les projets de nouvelles grilles indiciaires communiquées récemment aux conseils de la fonction militaire font beaucoup de vagues parmi les sous-officiers des différentes armées. Plusieurs grands chefs commencent à prier pour que cela ne devienne pas un tsunami.
Alors même que le machin dénommé « Haut Comité d’Evaluation de la Condition Militaire (HCECM) » créé par l’article 1er de la loi 2005-270 du 25 mars 2005 portant statut général des militaires, n’a pas encore rendu son premier rapport –c’est prévu en février 2007 alors qu’initialement il devait être rendu fin 2006 – la direction de la fonction militaire s’est empressée de présenter les projets de nouvelles grilles indiciaires des officiers et des sous-officiers. Il s’agissait, selon le contrôleur général des armées ROUDIERE, directeur de la fonction militaire et du personnel civil (DFP) « de faire le lien entre les statuts particuliers et les grilles de rémunération de la fonction publique, avec le double souci d’avoir, tout d’abord une grille qui soit cohérente dans notre propre hiérarchie des grades et qui soit, ensuite accrochée au niveau où l’on considère qu’elle doit être accrochée. »
Cette initiative décrédibilise fortement le HCECM et ses productions futures. En effet, alors qu’il est censé rendre son rapport en toute indépendance au Président de la République, on apprend du CGA ROUDIERE lui-même, qu’il a été entendu par le Haut Comité, qu’il existe des « contacts » avec ses membres et que ceux-ci savent ce qui est sur la table des CFM aujourd’hui ! Et de nous affirmer sans aucune retenue que le rapport du Haut Comité « sera un rapport objectif sur lequel nous pourrons nous appuyer ». Comment pourrait-il en être autrement puisque l’entente semble être parfaite entre le Ministère de la Défense et le HCECM ! Désormais mis au courant de ce qui se trame dans leur dos, quelle crédibilité les militaires pourront-ils accorder à ce « machin » ? Ne nous y trompons pas, le ministère se passe allègrement des analyses du HCECM et semble décider seul et tambour battant de l’avenir des grilles indiciaires nouvelles ! D’ailleurs, le CGA ROUDIERE est pratiquement sûr de la justesse de sa grille puisqu’il poursuit en déclarant : « Le travail sur la grille se fera après le rapport du Haut Comité, s’il y a lieu et s’il est démontré que c’est nécessaire ». Sa récente présentation devant les membres des CFM n’est donc qu’une banale opération de communication aux fins de mise en condition de ceux-ci pour mieux leur faire avaler les couleuvres.
La méthode n’est pas heureuse, elle est même condamnable. On se doute qu’elle cache des arrière-pensées. Le fond est pire.
Comme il fallait s’en douter, l’injustice que le projet vise à réparer concerne les officiers. Certains prétendent que le meilleur de nos Saint-cyriens met 21 ans pour rattraper en indice le moins performant des policiers, des magistrats, des conseillers pour les affaires étrangères, des administrateurs civils…Mais alors, pourquoi chaque année, lorsqu’ils sont entendus par les parlementaires de la Commission de la Défense Nationale, le CEMA, les différents chefs d’Etat-major, le Directeur de la fonction militaire etc. s’évertuent-ils à dire que tout va très bien Madame la Marquise ? Auraient-ils peur de se faire virer par le Ministre ? Ne doivent-ils pas veiller aux intérêts de leurs subordonnés ?
Partant de ce constat, les officiers se voient doter d’une nouvelle grille particulièrement avantageuse qui les place au même niveau que les grands corps de la fonction publique comme celui des administrateurs civils.
L’idée générale est de pyramider et d’accélérer les carrières par le rajeunissement des accès aux grades supérieurs en favorisant les meilleurs et les plus jeunes et de calmer les aigris potentiels par la solde :
Suppression des conditions d’ancienneté dans l’échelon précédent ; Suppression de l’ancienneté de service pour les officiers subalternes (OAEA, OAES, rang) ; Tous les grades sont désormais des grades terminaux avec instauration d’une progression exclusivement dans le grade ou sur décision discrétionnaire pour certains échelons exceptionnels (de 3% à 25% selon les grades). Progression significative des indices de solde à partir du grade de capitaine et au-dessus (30 à 80 points) ; Création d’échelons exceptionnels en échelles lettres contingentés pour les lieutenants-colonels ; Décontingentement partiel du 2ème échelon exceptionnel des colonels.
A titre d’exemple, un lieutenant-colonel 2ème échelon spécial indice majoré terminal 782 dans la grille indiciaire actuelle pourrait se voir attribuer dans le projet de nouvelle grille indiciaire et sous réserve qu’il remplisse les conditions d’ancienneté de grade, l’indice 962 ! Un petit bon de 180 points. Soyez rassurés, tout le monde ne l’obtiendra pas, seulement 25%….une misère en somme.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’inaptitude à tenir un emploi du grade supérieur est grassement récompensée surtout si elle réussit à se combiner à un éventuel départ avec l’article 5 !
Cette nouvelle grille indiciaire est mise en place à mon sens, dans le but inavoué de réserver les nominations au grade de colonel aux seuls officiers du sérail et de mieux contrôler leur accès au corps des officiers généraux qui, victimes de l’arrêt Bavoil, ne seront plus conditionnels dans quelques années.
Quant aux sous-officiers, ils n’ont droit dans cette affaire qu’à la portion congrue, celle qu’on réserve aux petits, aux domestiques, à la valetaille.
En effet, en ce qui concerne les sous-officiers et pour ceux qui sont en charge de ce dossier, il y aurait simplement un problème en début de carrière mais le haut de la pyramide, à 10 points d’indice près, serait correctement traité en interministériel depuis l’instauration de la prime de haute technicité (PHT) de 200 euros par mois…et le PAGRE ! Comme si tous les sous-officiers étaient concernés par la PHT et le PAGRE !
Quoiqu’il en soit, les points d’indice des non officiers sont maintenus quasiment en l’état avec une incitation permanente à la « défonce ! » : en plus de la condition d’ancienneté de service toujours en vigueur pour accéder aux divers échelons, on crée une condition d’ancienneté de grade visant à permettre aux sous-officiers de recrutement direct d’avoir une carrière dynamisée…
Il semble bien également que l’amélioration de la grille indiciaire des officiers a été bâtie sous enveloppe, c’est-à-dire de manière à ne pas grever les finances publiques. Pour offrir aux officiers une belle grille indiciaire digne de leur rang, il a bien fallu ajuster plus modestement la grille des sous-officiers et des militaires du rang pour équilibrer les comptes. Mais ces calculs plus subtils qui intègrent des volumes par grade ne sont pas communiqués.
Comble de la manoeuvre, il se dit que ces grilles ne sortent pas au hasard. Certains ont imaginé qu’elles permettraient ainsi de gagner les faveurs du corps des officiers réputé en principe plus favorable à un gouvernement et à un candidat de droite qu’à une candidate de gauche, fut-elle fille d’officier.
Sans prendre parti sur la véracité ou non de la manipulation, l’Adefdromil propose quant à elle de surseoir aux projets en cours pour permettre une concertation éclairée sur le sujet.
Les sous-officiers recrutés au niveau baccalauréat doivent pouvoir accéder à leurs indices terminaux dans le grade de major aux indices du cadre B de la fonction publique civile. Ceci permettrait d’étaler la grille ramassée de nos militaires du rang.
Cette proposition rencontrera t’elle quelques échos au ministère ? On en doute un peu, si on se réfère à ce que nous a écrit un fringant officier supérieur de l’EMAT : « Grosso modo, on s’aperçoit que nos jeunes EV sont relativement bien traités ».
Alors….Tout va très bien Madame la marquise ! Le chef a mangé, la troupe est repue !
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