Syndicalisme de classe dans les armées

« En revanche, nous ne saurions tolérer qu’une association de retraités intègre des militaires d’active afin de se transformer en quasi-syndicat, et si c’était le cas, nous aurions à sévir. » Madame Michèle Alliot Marie, Ministre de la Défense (lors des débats sur le statut général des militaires).

La lecture du Casoar d’octobre 2006, publication trimestrielle de la Saint Cyrienne, nous réserve de belles surprises. En effet, la vénérable association des anciens élèves de Saint Cyr, reconnue d’utilité publique en 1890, -qui réunit aussi bien des personnels en retraite qu’en activité de service- se transforme sous nos yeux et sans crier gare en un groupement professionnel de la pire espèce, celle qui est interdite par l’article 6 du statut général des militaires, nonobstant la Constitution de la République.

On y découvre un excellent dossier consacré – on vous le donne en mille- .. à la condition militaire ! Face à une telle impudence, il ne reste plus à notre cher préfet Marland qu’à prendre un oukase interdisant l’adhésion de tous les Saint Cyriens à un tel « groupement à caractère syndical » et cela ne serait que justice si on se réfère aux propos de la ministre cités ci-dessus.

En particulier, on peut noter dans ce dossier d’une vingtaine de pages, l’intervention du Général d’Armée CUCHE, nouveau CEMAT, qui affirme : ..la condition du personnel revêt pour moi une double importance : c’est d’abord une marque essentielle de reconnaissance de la Nation et de l’armée de Terre des contraintes qui affectent le militaire et sa famille ; elle contribue de manière déterminante à l’efficacité opérationnelle

Au passage, il est dommage que le nom de cet officier général en gros caractères soit malheureusement écorné en Cruche, lapsus fâcheux et calamiteux, car le général Cuche ne mérite évidemment pas un tel traitement, que nous assimilons à un accident au pas de tir.. Comme le disent les enfants : c’est celui qui dit, qui est ! Or, « l’ours » du Casoar, fait apparaître que l’équipe de rédaction, ne compte pas moins de 8 officiers généraux – en retraite- 3 colonels et une civile. En revanche, le dit « ours » ne précise pas s’il y a des troupiers pour faire le boulot. Fin de la récréation !

Un peu plus loin, le général Dubourdieu, inspecteur pour la fonction « personnel » de l’armée de terre, fonde sa réflexion sur l’article 1er du statut général (esprit de sacrifice, disponibilité, discipline, loyalisme et neutralité : tout un programme !) et sur le principe des compensations des sujétions de l’état militaire, tout en citant le Maréchal de Saxe et Lyautey ! Il attend manifestement beaucoup du fameux HCECM (le haut comité d’évaluation de la condition militaire) qui devrait rendre son premier rapport début 2007. Au passage, il décharge le CEMAT de toute responsabilité quant à la condition militaire (en dépit des dispositions du décret du 21 mai 2005 sur les attributions des CEM), puisque c’est le SGA et l’EMA qui disposent des budgets en la matière. Réflexion qui, au passage, conduit à s’interroger sur son propre rôle.

On découvre ensuite une interview du général, directeur des personnels de l’armée de terre, qui annonce à l’horizon 2008 ou 2009, la création d’une direction des ressources humaines de l’armée de terre. On se dit alors qu’il est doux d’être un groupement professionnel de militaires et d’avoir l’un des siens placé en position de direction ! On peut ainsi bénéficier d’informations de première main et faire passer des messages.

Plus loin, on présente une synthèse du rapport d’information de la commission de la défense nationale commandité en mars 2005 et livré en décembre de la même année 2005. Cette synthèse consiste en fait en une liste de recommandations – probablement transmises par les directions du ministère- qui, comme on le sait, restent souvent des voeux pieux.

Dans un article sur les rémunérations, un officier de gendarmerie démontre, preuves à l’appui que les officiers de recrutement direct mettent 17 ans pour atteindre l’indice nouveau majoré 782, alors que les recrutements directs de la plupart des corps civils comparables (magistrats, commissaires de police, administrateurs civils) atteignent ce niveau en 11 ans en moyenne.

Enfin, un dernier article aborde le problème des primes de camps, qui se transforment en prime « des champs » (sic). Est-ce une comparaison humoristique avec la carrière sous-préfectorale ou bien est ce une nouvelle bavure des typographes? Le doute est permis. S’il s’agit de la deuxième hypothèse, nous recommandons une visite générale chez l’ophtalmo !

Mai au-delà de ces coquilles amusantes et sans conséquences sur le fond du discours, nous approuvons totalement l’action de La Saint Cyrienne qui défend les siens.

Il reste que le 3 avril 2004, à l’initiative du Général Pâris, président du Club « Démocraties » , un colloque avait été organisé au Musée social sur le thème du droit d’association dans les armées (1) .A cette occasion, un membre très actif de La Saint Cyrienne – il se reconnaîtra-, avait cru bon de prendre la parole pour préciser : « s’il y a quelque chose, dont nous n’avons pas besoin dans les armées, ce sont des syndicats ». Nous ne le blâmerons pas pour ce point de vue qui n’est pas le nôtre. En effet, tout patron, tout cadre supérieur rêve de diriger ses personnels sans syndicats, sans opposition, sans contre-pouvoir. C’est évidemment plus facile.

En revanche, il est évident qu’on ne peut à la fois rejeter l’action syndicale pour les autres et la pratiquer pour la défense de ses propres intérêts. Y aurait-il au sein des armées deux syndicalismes : celui des cadres, toléré et même admis et celui du reste des militaires, le nôtre, dans lequel se retrouvent aussi beaucoup d’officiers, qui serait honni, interdit et blâmé ? Faut il en conclure que le seul syndicalisme militaire acceptable pour la classe politique serait un syndicalisme de classe, celui de la classe dirigeante, celle des cadres qui accèdent aux plus hautes fonctions ?

On comprend mieux alors pourquoi on a reproché à l’ADEFDROMIL d’activer dans les Armées ce que les marxistes baptisent « la lutte des classes », lorsque, par exemple, nous pointons du doigt les carences du commandement. C’est que notre discours vient troubler l’ordre établi, celui où tout ronronne, où chaque chose est à sa place de manière immuable, système qui conduit à la sclérose et au déclin. En ce sens, nos demandes et notre indépendance d’esprit sont révolutionnaires et c’est ce qui dérange !

En même temps, cette expression revendicative de La Saint Cyrienne, même si elle est modérée – ne nous dit-on pas à propos de la prime de camp que: « les militaires… ne descendront pas dans la rue » – démontre bien l’inanité de l’article 6 du statut général des militaires.

Il faut donc d’urgence le supprimer, et rendre le dialogue social transparent à travers des associations professionnelles relayées par des représentants élus dans les instances de concertation pour le bien de la France et de ses armées.

(1) Discours prononcé devant le Club Démocraties
Samedi 10 Avril 2004
par Michel Bavoil, président de l’ADEFDROMIL

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