Le recensement et l’indemnisation des militaires attribuant leurs pathologies à nos essais nucléaires est pour tout Gouvernement une puissante nuisance précautionneusement enfouie dans un système de galerie souterraine spiralée, bouchon de béton armé par des poutrelles métalliques et chape de plomb.
Ce système ayant montré ses limites lors de l’essai raté de Béryl d’In Echer, la perspective de voir pour 2007 fuser le scandale hors du puits, va redonner la colique au Prince et sa Dauphine qui nous protègent. Et c’est tant mieux : Herriot ne disait-il pas que la politique est comme l’andouillette, elle doit sentir un peu la merde, mais pas trop.
On ne fait pas de politique – surtout de la basse – avec de la morale. Quand même, ne pas recenser et indemniser la somme de décès, de souffrances et de chagrins, endurés par nos vétérans militaires et leurs familles dans le contexte de ces essais, au motif que ce serait admettre qu’ils ne furent pas aussi « propres » que la France, éternelle donneuse de leçon, l’aurait annoncé – ce que le monde entier sait depuis longtemps – est tout simplement ignoble.
Ignoble et de surcroît une grave provocation civique de la part d’Elus qui menacent de rempiler en 2007.
Pour le Palais et son Hôtel de Brienne, attendre l’extinction naturelle des sujets qui fâchent est une habitude. A gauche on appelle ça laisser du temps au temps, ce que dans un large consensus la droite pratique très volontiers.
Voilà le triste pourquoi du chemin de croix de ceux qui furent exposés aux irradiations et contaminations, sans pouvoir le faire inscrire au registre des constatations. Ce qui, selon la formule imagée du Chef des Armées, « n’en touche pas une » à tout chef-qui-sommeille-sur-les-intérêts-du-subordonné.
A moins qu’un film – ce nouvel art de gouverner – ne vienne, avant la prochaine présidentielle, décristalliser cette retraite peu glorieuse de Cruella. Son titre pourrait être « Indigents », puisque « Indigènes » est déjà pris. Un film dont la vedette ne serait pas un clown, mais d’authentiques cancéreux.
Des faits têtus.
Reggane.
La France procède au Sahara à ses quatre premiers essais nucléaires du 13 février 1960 au 25 avril 1961 : « Gerboise verte », le dernier en atmosphère, 5 kT, la bombe explose mal, aucun résultat ne peut en être tiré, 195 soldats contaminés. Une dizaine mourront trop tôt, sans qu’un lien formel, n’est-ce pas, ne puisse être établi.
Ensuite 13 tirs souterrains du 7/11/61 au 16/2/66 de 5 à 150 kT. Dont l’essai (semi)souterrain du 1er mai 1962 : « Berryl », 30kT, un pan de montagne s’écroule, une inversion de vent, 1985 irradiés. Certains, bien protégés comme Mr Messmer, le seront par d’infimes doses, (inférieures à 5 mSv, la dose annuelle naturelle est de 2,5 milli sievert), ce qui lui permettra de minimiser l’affaire. Son voisin de spectacle, Mr Palewski, car nous ne sommes pas égaux devant la maladie, décédera à 49 ans d’une leucémie dont il disait qu’elle venait de là. Les soldats les plus exposés subirent de 100 à 600 mSv. 17 victimes moururent de leucémie trop tôt, sans qu’un lien formel, n’est-ce pas, ne puisse être établi.
Dans l’ensemble, durant 5 ans, 8 000 militaires participèrent aux tirs de 16 bombes, allant de 1 à 150 kT. De très nombreuses irradiations furent traitées selon les normes requises, lesquelles se désintéressent de toute évolution à long terme. Or les conséquences à long terme sont la spécificité des radiations. Ce qui fut ignoré manu militari.
Des témoignages, récemment télévisés pour les derniers, font état de passages sur le point zéro de colonnes de véhicules, de manoeuvre à pieds, de survols d’hélicoptères et d’avions, une heure – moins pour les aéronefs, pas davantage protégés que les cobayes au sol – après l’explosion,
L’accréditation d’essais « propres » était à ce prix. La « chair à neutrons » des temps modernes venait de remplacer cette vieille « chair à canon » du temps jadis.
Seulement 9 personnes ont été officiellement irradiées. Les autres cancéreux de la moelle osseuse, les leucémiques, les stériles, les trachéotomisés, les chimiothérapiques, les lymphomes et mélanomes, les cancéreux des voies digestives et aériennes, les pensionnés pour un prétexte fallacieux X ou Y, les décédés, qu’a-t-on pu faire pour eux, dès lors qu’aucun lien formel, n’est-ce pas, n’a pu être établi, et pire encore, recherché ?
Car la « protection » dont jouit le militaire du fait de son statut en or disparaît curieusement quand il succombe à des affections que le Code du Travail juge « imputables par présomption d’origine ». Mais au bénéfice exclusif du « travailleur normal » car ce Code du Travail n’a hélas pas la prétention d’être opérant en matière militaire en raison de son « cantonnement juridique ». En d’autres termes, et pour une même pathologie et même exposition, l’employeur civil devra apporter la preuve que son employé n’est pas réellement victime de son activité professionnelle, et la ministre de la défense pourra exiger la preuve inverse. Les deux types de démonstration sont scientifiquement et juridiquement inadministrables d’autant que, pour le militaire, ni la forte probabilité (celle-là même qui fit naître la nécessité de dédommager les civils), ni l’intime conviction du juge (que l’on croyait souveraine) ne sont suffisantes à remplacer une preuve matérielle.
Pour Reggane, l’affaire est donc trop ancienne pour pouvoir en sortir par le haut. Les dosimètres (quand il y en avait) sont égarés, des pans de dossiers aussi. Même des dossiers entiers. Le « laisser du temps au temps » a fonctionné. Le Secret Défense aussi, dont on se demande s’il consiste à faire silence sur les choses de la Défense ou sur les choses défendues.
Trop anciens les dossiers ? Zappons sur une époque moins éloignée. Cette fois les dossiers seront trop récents pour être finalisables…Laissons alors du temps au temps pour qu’ils deviennent trop vieux. Donc direction, non pas le Larzac, les essais ont beau être « propres », par prudence on est allé 24 000 km plus loin.
Mururoa
La France réalisa de 1966 à 1996 ses essais sur l’atoll de Mururoa et de Fangataufa proches de Tahiti où elle développa la bombe au plutonium, puis la bombe A et enfin la bombe thermonucléaire. Les essais eurent d’abord lieu sur barge, ce furent les plus contaminants de l’aveu du CEA, puis sous ballon captif, 3 tirs furent effectués par avion. Au total, l’armée française y procéda à 210 essais nucléaires (50 tirs en atmosphère, 160 souterrains). Les puissances souvent furent supérieures à la mégatonne. On se rappellera des 13 kT de la bombe d’Hiroshima, de ses cancers et malformations, encore observés aujourd’hui.
Mais les soldats français ne sont pas des petites natures comme les Japonais. Du reste le Gouvernement estimait qu’il s’agissait de bombes « propres » puisque les militaires se baignaient dans le lagon et buvaient l’eau servie après filtrage. Si ce n’est pas une preuve ça !
Plutôt que de se lancer dans une querelle de chiffres sur l’irradiation et la contamination, chiffres toujours contestés par la partie adverse, et ceci avec d’autant plus d’arrogance qu’elle dispose des indicateurs aux ordres, en nombre et auréoles suffisants (se rappeler le nuage de Tchernobyl, stoppé sur le Pont de Kehl -il ne passera pas, la main sur le coeur tant pis si j’en meurs- et qui pourtant affola tous les compteurs de radiations nucléaires de certaines bases stratégiques d’Est en Ouest, avec cette même désinvolture à bien les traiter : à Nancy les avions étaient lavés à grande eau perdue vers la nappe phréatique, à Toul -10 km plus au Nord- rien n’était fait), observons quelques faits non contestables.
Des textes : « compter sur la dispersion du nuage radioactif dans la haute atmosphère pour ne pas contaminer les populations », « des raisons politiques et sanitaires », « retombées radioactives lourdes », une étude de l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Techniques note en Polynésie une augmentation anormale de cancer des poumons, du col de l’utérus et de la thyroïde chez les femmes, le taux de cancer de la thyroïde est 5 fois supérieur qu’en métropole. Ceci pour les Iliens. Nos militaires, qui étaient en 1ère ligne, se sont disséminés en métropole, sans pouvoir faire l’objet du moindre recensement officiel. On indiquera donc officieusement qu’aujourd’hui, 80% des vétérans français ayant participé aux essais nucléaires en Polynésie sont décédés ou en mauvaise santé. Ce taux est de loin largement supérieur à ce qu’il s’observe au sein de la population globale : On appelle ça grandeur et servitude militaire, à ne pas confondre avec le Statut de 2005.
Des faits : A 100 km du site (zone du fall out), en short et en chemisette, on contemplait ce champignon nucléaire, résultat d’une bombe qui avait explosé sous un ballon à 600 mètres d’altitude. De nombreux vétérans sont soit morts contaminés, soit souffrent de maladies des yeux, des glandes salivaires ou des poumons, autant de symptômes propres à une contamination aérienne. Comme aucun lien formel, n’est-ce pas, ne peut être établi, il sera tentant d’accuser la cigarette.
L’amiral Antoine Sanguinetti, qui commandait le Clemenceau en 1968, a osé rompre l’omerta pour affirmer qu’aucune mesure préventive sérieuse ne fut mise en oeuvre pour protéger son équipage. Il est intervenu à plusieurs reprises dans les journaux et aussi à la télévision. L’émission « Pièces à convictions » animée par Elise Lucet en décembre 2004, a apporté des éléments indiscutables au dossier.
Jean Michel Leroy et ses camarades ont été oubliés sur zone lors d’un tir nucléaire à Mururoa en 1968: « l’autorité militaire donne l’ordre aux navires de regagner leur mouillage, en oubliant que le nôtre (le 9081) se retrouverait juste sur le lieu du tir. Nous voila donc en pleine nuit, face au blockhaus, au milieu des cocotiers en feu et des poissons morts ». Il est alité à son domicile, trachéotomisé, sondé, muet, choyé par son épouse, endurant de multiples chimiothérapies. Sans qu’aucun lien formel, n’est-ce pas, ne puisse être établi. Consolation cependant, après avoir eu droit à la douche obligatoire (comme moi ce matin), l’équipage aura bénéficié des félicitations du Ministre bien à l’abri dans sa combinaison et de 15 jours de vacances aux Iles Gambier. Histoire de le soustraire à la curiosité « malsaine » des journalistes.
Tous les pays occidentaux ont reconnu les pathologies de type radio-induites et indemnisé leurs vétérans. Seule, notre chère France, face à des faits têtus, s’enferme depuis 40 ans, dans un néo-négationnisme que ne trouble pas l’entêtement des victimes présumées et leurs ayants droit (« présumées », car aucun lien etc.)
Des têtus défaits.
Est-il juste d’imposer aux seuls militaires l’établissement, impossible pour eux de nombreuses décennies après la cause qui leur a donné naissance, du lien de causalité entre leurs pathologies et leur activité en zones contaminées ? Pourquoi les civils (DCN) bénéficient-ils de la présomption d’imputabilité (cas de l’amiante par exemple) ? Comment s’empêcher de penser que la discrétion des techniciens civils sur le sujet est le signe qu’ils ont été mieux protégés sur les sites, ou secrètement indemnisés. Et pourquoi les Polynésiens sont-ils actuellement l’objet d’attention délicate sur le sujet. Si c’est le spectre de 2007, chacun doit savoir que les militaires, leurs familles et leurs veuves, votent aussi.
Cette discrimination négative est d’autant plus insupportable qu’elle n’est rendue possible que par le devoir renforcé de la hiérarchie de ne rien entreprendre concernant les maladies professionnelles, l’adhésion à des organisations professionnelles, et de tout entreprendre concernant le chantage au devoir de réserve et, s’agissant de maladies sensibles, la soumission hors norme à l’obéissance et au silence.
A ce jour aucune action en justice – toutes anormalement longues et compliquées pour les veuves et les morts en sursis – n’a abouti. Le Commissaire du Gouvernement gagne systématiquement en appel sur des nullités de procédure, étant impossible d’apporter quelque preuve que ce soit. Et surtout parce que sont rejetés les concepts qui fonctionnent ailleurs en Occident : le faisceau d’indices probants et concordants, la présomption d’imputabilité, et le si fameux principe de précaution qui voudrait que le doute profitât à la victime.
De ces concepts, on pourrait gloser à l’infini. On peut faire simple aussi : par exemple (c’est très tendance) régulariser « les sans papiers » suffisant à prouver l’origine des cancers de ceux dont la présence sur les sites indiscutablement contaminants est indiscutable. Et indemniser à hauteur des subventions accordées au pinard et au porc breton. Si dans leur nombre 50% étaient indûment dédommagés, le taux de pertinence de cette aide n’aurait rien d’indécent par rapport à celui qui préside à la débauche des crédits arrosant les banlieues, où l’on distribue kif kif 50/50, autant aux nobles causes qu’aux bas instincts. Mais comparaison n’est pas raison. De plus il ne serait pas très judicieux de…dévoiler…aux banlieues qu’il existe des subventions pour le pinard et le porc, cela pourrait les exciter au point de refoutre le feu aux millions d’euros que leur déverse la République. Inc’h Allah !
Devant leur dénuement juridique, certaines demandes en 21/29,7 – voire papier quadrillé pour les plus démunis – sont à pleurer : que de naïveté et de pathétique quand les plus humbles expriment leurs souffrances, leur désespoir et leur rancoeur jusqu’au Président de la République, dont chacun sait qu’il n’aura rien fait. Comment une lettre de 20 grammes pourrait aboutir, alors que des centaines de kilos de dossiers, n’aboutissent pas. A moins, c’est une idée à creuser, de la faire signer par Jamel ??? Inc’h Allah again !
Rien ? Ce n’est pas tout à fait juste. Pour endormir plus efficacement les patients impatients, a été créé, comme toujours en pareille circonstance, non pas une Commission, ni un Haut Comité Théodule, mais un nouveau zinzin : l’Observatoire de la Santé des Vétérans (OSV), mis en place par MAM (décret du 20 juin 2004). Le Président de l’Association Nationale des Vétérans Victimes des Essais Nucléaires, l’ANVVEN :
« Comment fonctionne-t-il ? Quel « fossoyeur » a été désigné d’office pour y siéger ? Comment se fait-il qu’il n’a pas pris langue avec notre Association ? A quelle adresse ? Quel numéro de téléphone ? Comment lui adresser un courrier ? Selon quelle procédure ? Sur quels documents fournis par la hiérarchie travaille-t-il ? Pourquoi les témoins survivants des faits incriminés ne sont-ils toujours pas entendus ? A quand l’ouverture d’une enquête épidémiologique ? Rien n’a changé…Toujours ce confortable secret défense, cette fois-ci dans un bas de soie ».
Il ajoute : « Il s’agit d’obtenir une pension d’invalidité et un suivi médical particulier. Nous sommes, aujourd’hui, plusieurs milliers de victimes encore vivantes et je refuse d’attendre que tout le monde soit mort pour que notre préjudice soit reconnu. La spéculation sur une mort programmée est indigne de notre Pays».
Lueurs d’espoir.
Dans cette affaire, bien que les faits soient têtus, les têtus qui les dénoncent étaient toujours défaits. Pourtant trois lueurs d’espoir :
En Polynésie où pour eux le débat est très vif, l’émissaire du Ministère de la Défense, missionné pour dispenser le politiquement correct aux civils de la 2ème ligne, est porteur de deux bonnes nouvelles. Un, s’il y a des malades, « qu’ils demandent leur dossier, il leur sera répondu ». Répondu quoi ? Qu’ils sont malades ! Deux, aucun risque sanitaire à continuer la pêche. Ouf ! Mais quelle trouille rétrospective ! En revanche, comme il y avait un grand risque à continuer ce prêche, le missi dominici est promptement rentré en métropole. Donc avec du temps pour s’occuper des anciens militaires… Le ministère public reconnaît aux vétérans militaires le droit d’être indemnisés. Enfin ! L’ennui est que cette prise en considération par la Justice des conséquences de l’exposition à la radioactivité, ne la prive pas simultanément de la rejeter, au nom de la non rétroactivité des Lois. Damned ! Radioactivité et rétroactivité, un bien pratique amphigouri. Il sera urgent de « laisser du temps au temps » pour s’en dépêtrer. La Ministre vient de signer une directive « action sociale », aux termes de laquelle elle souhaite (« souhaiter » du social pour le soldat n’avait jamais créé depuis plus d’un demi-siècle la moindre obligation de résultat pour tout ministre de la défense) que son ministère puisse continuer à soutenir et accompagner ses ressortissants pour leur permettre d’exercer leur métier au service de notre pays dans les meilleures conditions possibles.
Il faut cette fois croire à ce point 3. MAMdefer, comme elle consent à se laisser appeler, qui n’a que le pluriel « défis » à la bouche, va pouvoir cette fois relever celui posé par les Vétérans des Essais Nucléaires.
Allez-y Madame, sans esprit de recul : Soutenez le défrichage du chemin semé d’embûches des Vétérans cancéreux, et accompagnez-les sur l’autoroute les conduisant à la reconnaissance que la Défense leur doit.
Alors les Vétérans, Madame, vous embrasseront les pieds si vous réussissez ou, selon l’hypothèse inverse probable, vous embarrasseront aux prochaines élections. S’ils ne décèdent pas d’ici là, pour notre plus grande honte, et peut-être la vôtre.
N.B. L’UDF Brest vient d’écrire à une quarantaine de parlementaires de différents partis politiques représentés à l’Assemblée nationale afin que le législateur règle la question de la reconnaissance des pathologies liées à l’exposition aux essais nucléaires et celle de son indemnisation. L’initiative de l’UDF estimportante car cette première va pousser l’UMP réfractaire à se positionner sur ce problème pour 2007. Baiser les pieds de Bayrou, voire ceux du diable s’il défendait leur cause, les vétérans proscrits du nucléaire y sont prêts.