L’article sur les permissions que vous pouvez lire ci après est l’oeuvre d’un étudiant à Sciences Po. Les propos, certes pertinents, n’engagent cependant que leur auteur que nous remercions pour s’être adressé à l’ADEFDROMIL.
Permissions
Que peut faire, en temps de paix, un militaire à qui l’on demande d’être disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, durant plusieurs mois consécutifs, lui interdisant de prendre toutes les permissions auxquels il a théoriquement droit ?
I. Les permissions sont incontestablement un droit.
Les autorités militaires ont longtemps continué de considérer les permissions comme une récompense, et non comme un droit, au mépris de l’article 13 du statut général des militaires du 13 juillet 1972, qui affirmait que les militaires avaient le droit de bénéficier de permissions avec solde.
Mais depuis l’entrée en vigueur du nouveau statut général du 24 mars 2005, qui a abrogé et remplacé celui de 1972, cette conception apparaît plus que jamais dépassée.
Aujourd’hui, les permissions des militaires sont incontestablement un droit.
A. En premier lieu, cela ressort des travaux parlementaires, très fréquemment utilisés par les juges lorsqu’il s’agit de déterminer précisément le sens de la loi.
En effet, le projet de loi relatif au nouveau statut général de 2005 présenté par le Ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie explique que les permissions, « initialement considérées comme une récompense », sont « devenues progressivement un droit ».
http://www.assemblee-nationale.fr/12/projets/pl1741.asp
Cela est également affirmé dans le rapport de l’Assemblée nationale sur ce projet de loi.
http://www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r1969-01.asp#P1389_274001
Le Ministre de la Défense a même déclaré en séance publique le 2 février 2005 devant le Sénat : « Quant aux permissions, je rappelle qu’elles ne constituent pas un élément de la discipline, qu’elles ne valent pas remerciement, mais sont un droit, désormais inscrit dans les dispositions relatives aux positions statutaires ».
http://www.senat.fr/seances/s200502/s20050202/s20050202003.html#section437
B. En second lieu, cela ressort de deux détails techniques.
1°) Alors que le statut de 1972 disposait que les permissions étaient organisées par le « règlement de discipline générale », l’article 49 du statut de 2005 dispose qu’elles sont désormais organisées par décret en Conseil d’Etat, preuve que l’on cherche à mieux les garantir juridiquement.
http://www.legifrance.gouv.fr/texteconsolide/PAEBR.htm
2°) D’autre part, les permissions figurent à présent dans la section « Activité » du chapitre « Positions statutaires » du statut, exactement comme les congés annuels dans les lois des 11 janvier 1984, 26 janvier 1984 et 9 janvier 1986 relatives respectivement aux fonctionnaires de l’Etat, territoriaux et hospitaliers, preuve que l’on cherche à rapprocher le régime des permissions des militaires du régime des congés annuels des autres fonctionnaires.
Ces deux arguments sont confirmés par le rapport du Sénat sur le nouveau statut.
http://www.senat.fr/rap/l04-154/l04-15416.html#toc138
II. Les militaires peuvent former un recours pour protéger ce droit.
A. Il est possible de former un recours devant la Commission de recours des militaires.
Afin de désengorger les tribunaux administratifs, la loi du 30 juin 2000 a décidé que les recours en justice des militaires devraient être précédés d’un recours administratif préalable devant une commission des recours
http://www.defense.gouv.fr/sites/defense/decouverte/le_ministere/personnels/militaires/la_commission_des_recours_des_militaires
Cette commission a été créée par le décret du 7 mai 2001
http://www.legifrance.gouv.fr/texteconsolide/PJHLV.htm
Celui-ci dispose que la commissionest chargée d’examiner les recours formés par les militaires à l’encontre des décisions individuelles qui leur ont été notifiées. La décision de refus de permission est bel et bien une décision individuelle notifiée au militaire, elle rentre donc dans cette catégorie.
En vertu du décret du 7 mai 2001 précité, la procédure est alors la suivante : durant les deux mois qui suivent la décision de refus de permission, le militaire peut saisir la commission, en envoyant au secrétariat de celle-ci une lettre recommandée avec avis de réception, accompagnée d’une photocopie de la décision de refus de permission. Par la suite, il peut renoncer à son recours à tout moment par simple lettre adressée au secrétariat de la commission.
En s’inspirant de l’avis rendu par cette commission, mais sans être lié par cet avis, le Ministre de la Défense prend une décision sur le litige.
B. En cas de décision négative de la commission et du Ministre, il n’est pas certain qu’un recours devant le juge soit possible.
En 1992, les militaires à qui l’on refusait une permission ne pouvaient faire aucun recours en justice (Conseil d’Etat, 18 mars 1992, Suc)
http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnDocument?base=JADE&nod=JGXBX1992X03X0000060970
Mais entre temps le contexte a évolué.
D’une part, les juges ont assoupli leur jurisprudence vis-à-vis des militaires : par exemple, ils ont accepté d’examiner les recours des militaires victimes de punitions privatives de liberté – Conseil d’Etat, 17 février 1995, Hardouin) alors qu’ils le refusaient auparavant.
http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnDocument?base=JADE&nod=JGXAX1995X02X0000007766
D’autre part le nouveau statut de 2005 est entré en vigueur.
Par conséquent, peut-être que les juges accepteront à l’avenir les recours en justice des militaires contre des refus de permissions répétés.
A titre de comparaison, dans son arrêt « Hardouin » du 17 février 1995 précité, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat avait accepté d’examiner le recours d’un militaire contre une punition, car cette punition avait des effets sur la liberté d’aller et venir en dehors du service. Or, en tout état de cause, les refus de permission répétés ont des effets indéniables sur la liberté d’aller et venir en dehors du service.
Il convient donc d’attendre les prochaines décisions des juges sur ce sujet. Malheureusement, à ma connaissance, aucune affaire de ce genre n’a été portée devant eux depuis 1992. La seule jurisprudence récente disponible sur un sujet proche est le jugement «Arlabosse » rendu par le Tribunal administratif d’Orléans le 19 mai 2004, avant l’entrée en vigueur du statut de 2005. Il s’agissait en outre d’un sujet légèrement différent : le tribunal a accepté d’annuler une décision refusant à un militaire le report de ses droits à permission inutilisés sur l’année suivante. Ce n’est donc pas à proprement parler un refus de permission qui était en cause.
https://www.adefdromil.org/Document.php?DOC=05725055
III. Autres éléments importants.
A.Les droits à permission qui n’auraient pu être pris pour raisons impérieuses de service peuvent être reportés sur l’année civile suivante et, à titre exceptionnel, sur l’année d’après.
Cela est prévu par différentes Instructions du Ministère de la Défense que le Tribunal d’Orléans s’est contenté d’appliquer dans son jugement « Arlabosse » précité.
https://www.adefdromil.org/Document.php?DOC=14432286
B. Le fait que le militaire soit affecté auprès d’une administration civile ne change rien à la problématique.
D’après l’article 46 du statut général de 2005, « l’activité est la position du militaire qui occupe un emploi de son grade. Reste dans cette position le militaire : (…) 2° Qui est affecté, pour une durée limitée, dans l’intérêt du service, auprès d’une administration de l’Etat ».
C’est pourquoi le juge n’opère aucune distinction pour l’application du statut entre les militaires affectés auprès d’une administration civile et les autres. Que le militaire serve dans l’armée ou auprès d’une administration civile, cela revient absolument au même (Conseil d’Etat, 18 mars 1992, Suc, précité).
C. On attend encore la publication d’un décret sur le sujet.
L’article 49 du statut de 2005 dispose que les permissions sont organisées par un décret en Conseil d’Etat, mais ce décret n’a pas encore été publié.
Matthieu