La mort d’un gendarme suscite l’indignation aux Antilles

(Le Parisien du mercredi 22 février 2006)

Racisme. Le 12 février, un gendarme est mort sur l’île antillaise de Saint-Martin, percuté par un chauffard dans un rodéo. Selon ses proches, le militaire de 31 ans a agonisé devant plusieurs dizaines de personnes, qui n’ont pas bougé.

Une douleur immense et un profond dégoût: Stéphanie Clin est rongée par ces deux sentiments.  » Je suis une femme meurtrie mais aussi en colère », confirme cette enseignante de 31 ans. Le 12 février, son mari Raphaël, gendarme affecté sur l’île de Saint-Martin, aux Antilles, est mort après avoir été percuté par un chauffard au cours d’une intervention sur un rodéo sauvage de motos. Selon ses proches, ce père de famille de 31 ans est décédé dans des circonstances particulièrement odieuses. Plusieurs dizaines de personnes ont assisté sans réagir à l’agonie du blessé. Pire, les dernières heures du gendarme ont donné lieu à une hystérie collective ponctuée de cris de joie.
A Saint-Martin, où la communauté métropolitaine mais aussi de nombreux saint-martinois sont toujours sous le choc, la justice a ouvert une double enquête. La première pour « homicide involontaire » porte sur les circonstances de l’accident. L’autre doit faire la lumière sur les événements qui ont suivi et établir si les « spectateurs » du drame ont commis des délits de non-assistance à personne en péril ou encore d’incitation à la haine raciale.

« Mon mari était un ange, un homme doux, qui lisait tout le temps. En treize ans de vie commune je ne l’ai jamais vu se mettre en colère. Je l’appelais Maître Zen. Dans son métier c’était tout sauf un cow-boy. Raphaël était l’un des rares gendarmes à avoir appris le créole », confie Stéphanie, qui va terminer l’année scolaire avant de rentrer avec sa fille de 4 ans en France où son mari a été inhumé lundi dans la Sarthe.

« Les noirs sont là pour tuer les blancs« 

Ce matin du dimanche 12 février, le gendarme Clin quitte avec un gradé la gendarmerie de Marigot pour intervenir sur les lieux d’une course de motos sauvage, un « run » auquel s’adonnent les insulaires. « Il faut le reconnaître, à Saint-Martin, il n’y a pas grand chose à faire pour la jeunesse. Certains se défoulent avec ces rodéos », note un habitant. L’intervention tourne au drame. Raphaël Clin est fauché par un motard qui roulait apparemment vite. Un attroupement se forme autour du gradé penché sur le corps de son camarade grièvement blessé. Une quarantaine de personnes. Le gradé sollicite de l’aide mais personne ne bouge. Les témoins restent immobiles, passivement hostiles. Quand ils réagissent enfin, ce n’est pas pour porter secours au blessé. Selon les proches de Raphaël Clin, les « spectateurs » se sont mis à hurler des injures, à crier victoire parce qu’un gendarme était à terre. Dan ce climat très tendu, le gradé récupère l’arme de son ami de crainte que les autres ne s’en emparent.

Stéphanie Clin a été le témoin direct de ce déferlement de haine. Alertée du drame, l’enseignante s’est retrouvée à l’hôpital où son mari et le motard avaient été transportés. « Il y avait plein de monde, des gens de la famille de ce chauffard, une grande agitation ». Quand on nous a dit que mon mari était mort, ils avaient tous le sourire, ils ont sauté de joie et on crié victoire d’avoir tué un gendarme » rapporte la veuve. Un visage, une phrase l’a marquée: »L’un d’eux a crié: les noirs sont là pour tuer les blancs« , ajoute Stéphanie qui, malgré sa douleur et sa colère, refuse de parler de crime raciste et refuse toute récupération. « A Saint-Martin, il y a une grosse minorité de gens qui entretiennent un climat malsain. Ils sont intolérants avec les métropolitains et même les guadeloupéens », déplore l’enseignante avec nuance et tristesse.
Dans l’île, les proches de Raphaël sont bouleversés. « Je suis très choqué par ce qui s’est passé. Quand on connaît la personnalité de Raphaël, le comportement de ces gens et encore plus révoltant », réagit Philippe, maquettiste et proche ami de la victime. « Au delà de la douleur, tout ce que je retiens, c’est l’atrocité des paroles tenues à l’encontre de mon ami lorsqu’il agonisait. J’ai pensé comme beaucoup de mes camarades d’ici, à partir. Mais on va se battre avec Stéphanie pour la mémoire de RAF », ajoute un gendarme. En métropole, la communauté militaire partage la peine des gendarmes. »Le gendarme Clin est décédé victime de son devoir, dans l’indifférence, l’outrage et le racisme », estime Michel BAVOIL, président de l’association de défense des droits des militaires.

Geoffroy Tomasovitch

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