Dans le système politique de la Ve République – on l’a assez dit et redit – c’est le Président de la République qui fixe les orientations, donne l’impulsion ou pour les musiciens donne le « la »; c’est la raison pour laquelle il faut porter la plus grande attention à son discours ; celui-ci est minutieusement écrit mais aussi modulé dans le temps ; tout changement dans la modulation même de ce discours ne relève-t-elle pas de la vieille règle appliquée au jeu : au coup de sifflet, la partie est finie ou quand l’arbitre a sifflé, le jeu cesse.
En ce qui concerne le sort des militaires, il en est bien ainsi, à preuve les extraits suivants des discours en réponse aux voeux présentés par le chef d’état-major des armées.
1 – En 2002 :
2002 est, vous vous en souvenez, une année électorale. Après un point un peu « cocorico », pour rallier les suffrages, rien ne vaut de bonnes promesses, mais déjà les bornes sont posées :
« C’est chose faite, avec quelques mois d’anticipation. Faite, et bien faite. Le service national qui avait été, pendant un siècle, le fondement de notre organisation de défense, est aujourd’hui suspendu. Cette réforme, indispensable pour adapter nos armées à leur nouveau contexte d’emploi, constitue un tournant majeur dans l’histoire militaire de notre pays. Il reste à faire vivre cette armée professionnelle en sachant attirer et conserver les jeunes Français désireux de servir leur pays sous les armes. Nous n’y parviendrons qu’au prix d’un effort constant dans tous les domaines, effort qui devra se traduire notamment par la création d’un fonds de consolidation de la professionnalisation d’usage souple et naturellement suffisamment provisionné. [.]
Les événements tragiques de ces derniers mois nous ont rappelé l’impérieuse nécessité de ne pas baisser la garde. Il en va de notre sécurité, il en va aussi du statut de la France en Europe et dans le monde. * J’ajoute, comme je l’ai dit maintes fois depuis deux ans, que l’on ne fera pas l’économie d’une vraie revalorisation de la condition militaire.
La crise très grave que vient de connaître la Gendarmerie, et qui a conduit certains à se mettre en rupture avec les règles du statut militaire, a mis en évidence aux yeux de tous l’évolution des esprits dans un milieu longtemps considéré comme immuable. Cette crise a traduit à sa manière un sentiment de frustration commun à l’ensemble du monde militaire, sentiment fondé sur la crainte que les armées ne reçoivent pas des pouvoirs publics la même attention et la même considération que les autres corps de l’état.
Je me suis déjà exprimé sur cette crise et j’ai rappelé ce que la République et l’ensemble des Français devaient à leurs militaires, mais aussi ce qu’ils en attendaient.
Il nous faut maintenant tirer les leçons de cet épisode à tous égards douloureux.
L’armée professionnelle, qui s’est bâtie progressivement au cours de ces quatre dernières années, est à la fois moins dépendante de la société civile, et à certains égards plus proches, que ne l’était l’armée de conscription. Plus homogène, unie par des valeurs communes, elle est aussi davantage féminisée et ouverte à tous les courants de la société. Les aspirations et les exigences des militaires sont, plus qu’autrefois, très semblables à celles de l’ensemble de nos concitoyens.
Cette évolution inévitable appelle, compte tenu des spécificités et des contraintes du métier des armes, une réflexion approfondie sur la fonction militaire. Elle devra porter en priorité sur les statuts des armées et de la Gendarmerie, qui doivent être adaptés à l’évolution des esprits et de la société et à leur nouveau contexte d’emploi.
Ces réflexions doivent être conduites sans réticence, mais sans perdre de vue les principes fondamentaux qui régissent la fonction militaire, l’observation des lois, la discipline et une disponibilité sans limites. Ce sont ces principes qui donnent au métier militaire sa noblesse et son efficacité. Ce sont eux qui vous valent le respect et l’estime de la nation.
Les sujétions et les contraintes qui en découlent doivent, en revanche, être reconnues à leur juste valeur et compensées comme il se doit, selon des règles équitables et qui s’appliquent à tous.
Dans l’immédiat, je souhaite que les débats bien engagés à l’initiative du ministre de la Défense, au sein des instances de concertation de chaque armée, permettent de trouver des solutions aux problèmes les plus urgents. »
2 – En 2003.
Les élections sont passées et il faut penser à tenir les promesses : mettre à jour le statut, mais dans les bornes fixées.
« La communauté militaire aura donc à déployer beaucoup d’ardeur et de volonté pour faire face aux défis à venir et pour répondre à la confiance que les Français placent en elle. Les militaires doivent se sentir compris et soutenus par la Nation.
Dans cet esprit, l’adaptation des armées à la société moderne doit se poursuivre. J’avais évoqué, l’an dernier, mon Général, la nécessaire mise à jour de votre statut et rappelé les principes intangibles dans lesquels elle devait s’inscrire. Disponibilité, neutralité, discipline qui interdit la constitution et l’adhésion à des groupements professionnels à caractère syndical fixent le cadre immuable qui doit guider la réflexion. Votre ministre lancera prochainement ces travaux et j’en suivrai le déroulement attentivement.
Parmi les sujets sensibles qui entrent dans le champ de cette réflexion, il y a, comme pour l’ensemble de nos compatriotes, celui des retraites, vous l’avez évoqué. Il faudra naturellement veiller à ce que, comme c’est le cas actuellement, le caractère spécifique de l’état militaire soit pris en compte.
L’adaptation des armées à la société moderne, c’est aussi une approche nouvelle de la question des réserves. La période qui s’ouvre doit permettre, alors que la professionnalisation des forces d’active est achevée, de progresser et de bâtir un corps de réserve moderne et efficace. Il apportera à nos armées une expertise précieuse et sera un vecteur privilégié de l’esprit de défense dans notre pays. Beaucoup reste à faire dans ce domaine mais 2003 verra aboutir cet important chantier qui parachèvera l’organisation de notre dispositif militaire. »
3 – En 2004.
Le président rappelle qu’il tient ses engagements, ne manque pas de souligner l’effort et n’oublie pas le sort des militaires : le statut sera adopté dès cette année dans les bornes définies.
« Comme je m’y étais engagé, j’ai veillé à ce qu’en matière budgétaire, la loi de programmation militaire soit respectée dans les cadres des décisions prises en Conseil de défense. Cela veut dire que l’effort de redressement de notre défense se poursuit de manière constante et vigoureuse.
[…]
Profondément renouvelée par la professionnalisation et les réformes engagées en 1996, elle (l’armée) a su s’adapter en fonction des enseignements tirés des crises où nos armées ont été engagées et de la compréhension des grands événements qui ont bouleversé le paysage stratégique, en particulier depuis l’année 2001. Les rapports présentés au Parlement, à l’occasion des lois de programmation militaire, sont l’expression publique de cette réflexion et constituent la référence commune de nos armées. Ils définissent leurs missions, leurs objectifs, les grandes fonctions qu’elles doivent assumer et les moyens qui leur sont alloués.
[…]
Cette démarche de modernisation de notre outil de défense s’intègre toujours davantage dans le cadre de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique.
[…]
Monsieur le Premier Ministre, Madame et Monsieur les Ministres, Mon Général, Mesdames, Messieurs, votre image est bonne, très bonne dans le pays, vous le savez. Nos compatriotes ont confiance dans leurs armées. Vous le devez à votre professionnalisme unanimement reconnu et apprécié. En retour la Nation doit vous reconnaître. Reconnaître la spécificité d’un métier empreint d’exigence, exécuté dans un environnement parfois brutal, nécessitant le recours à la force. Votre nouveau statut, qui sera adopté cette année, dans le cadre que je définissais ici même l’an dernier, prendra en compte cette spécificité qui vous confère des droits et des devoirs particuliers au sein de la communauté nationale. »
4 – En 2005.
Le programme se développe ; le chef des armées a donné l’impulsion ; le nouveau statut est délibéré par le Parlement ; ce n’est plus l’affaire du Chef des armées; une organisation centrale nouvelle est annoncée :
« L’engagement de la France en faveur de la construction de l’Europe de la défense n’est pas contradictoire avec son appartenance à l’Alliance atlantique. Bien au contraire.
[…]
L’engagement de la France en faveur de la construction de l’Europe de la défense n’est pas contradictoire avec son appartenance à l’Alliance atlantique. Bien au contraire.
[…]
Cet effort d’adaptation continuera en 2005.
[…]
2005 sera l’année du nouveau statut général des militaires. Le Gouvernement a conduit une réflexion approfondie sur ce que devait être aujourd’hui la fonction militaire dans notre pays. Le texte est actuellement débattu par le Parlement. Il réaffirme les principes fondamentaux de l’état militaire : esprit de sacrifice, disponibilité, discipline, neutralité, loyauté.
Il réalise des progrès importants dans les domaines de la protection du militaire en opérations et de l’évaluation de la condition militaire. »
5 – En 2006.
La mission est difficile, il y a eu une faute grave récemment mais l’éthique est bien enseignée, le nouveau statut rappelle les exigences ; le bilan de dix années est là : tel est, de ce point de vue, sommairement résumé le contenu des voeux pour 2006.
« Les Françaises et les Français attendent de vous, vous qui portez les armes de la Nation, la plus grande exemplarité. Ils attendent un comportement irréprochable fait de droiture, d’honnêteté et de respect d’autrui, comme vous le prescrit d’ailleurs le »code du soldat ».
Le métier militaire s’accompagne d’exigences qui vont au-delà de celles qui sont communément acceptées dans notre société. Elles ont été clairement réaffirmées dans votre nouveau statut. Elles s’appuient sur des valeurs auxquelles vous êtes très attachés : l’esprit de sacrifice, la disponibilité, la discipline, la neutralité, la loyauté.
Préservez-les précieusement. Transmettez-les par l’exemple aux jeunes générations, car elles sont, en réalité, le gage de votre crédibilité, de votre efficacité et de notre sécurité.
[…]
En février 96, j’ai décidé la professionnalisation des Armées. Depuis maintenant dix ans, comme je vous l’ai demandé, vous n’avez cessé de vous adapter et de vous moderniser. Vous l’avez fait en préservant les qualités essentielles qui font du métier militaire un métier si particulier. Vous l’avez fait aussi en remplissant avec brio et enthousiasme toutes les missions qui vous ont été confiées sur les différents théâtres d’opération où vous avez été engagés. »
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Mais, au fait, qu’est-ce qui a changé ? Les militaires professionnels ont-ils plus de droits que par le passé ? La condition militaire – terme mal défini – est-elle de même qualité que la condition des fonctionnaires (leurs homologues) ? Nul ne le dit, nul ne le sait, les Militaires par la voix de leurs représentants au CSFM ont approuvé le nouveau statut. Ils sont donc satisfaits et on n’en parle plus. CQFD !!
Attendons 2007 !
Le bilan, c’est Quoi ? : C’est un peu du » circulez : il n’y a rien à voir », du moins en ce qui concerne l’évolution de la condition militaire en dépit de la professionnalisation.
La meilleure preuve n’est-elle pas que le Parlement, docile à souhait, a voté presque à l’unanimité ce texte qui n’apporte aucune réelle amélioration de la condition militaire alors que l’opposition a, dans le passé, déploré les insuffisances des libertés publiques aux armées ; le Parlement n’a rien trouvé à redire à ce texte, il a jugé inutile d’en déférer le moindre article au Conseil Constitutionnel !!
Le vote du statut est passé « comme une lettre à la poste ».
La lorgnette