A l’inverse de ce qu’il se passe au profit des revendicateurs de tous poils, la condition militaire est davantage valorisée par le discours plutôt qu’en bas et à droite de la fiche de solde.
Lorsque rendu encore jeune à la vie civile l’ex SDF de luxe jette un regard panoramique sur ses différentes garnisons, le temps passé dans chacune d’elles, l’alternance travail/chômage de sa compagne, la ghettoïsation de sa vie sociale, la dispersion des enfants quand ce n’est pas l’explosion du couple, la maison à construire, lorsque le carrousel s’arrête et les lumières s’éteignent, bien souvent il regrette que cette condition ne soit pas mieux défendue. Face à ses devoirs et sujétions bien réels, il pense que le respect du citoyen et la considération de la Nation resteront littérature tant que le militaire ne s’exprimera que sur le sexe des anges.
Sur ce thème un lecteur émérite, vraisemblablement préposé en service commandé sur le chemin des étoiles, fustige avec assiduité l’Adefdromil en ce qu’elle instillerait la lutte des classes dans l’institution. Casser du Général ne mettra jamais du beurre dans les épinards du Caporal, tel est son argument éculé.
Que propose-t-il ?
Que l’on s’en prenne au lampiste et demande au Caporal de faire le boulot d’un comité d’entreprise ou celui d’un syndicat? La réponse est « non ».
Que l’on demande au Chef de veiller sur le socioprofessionnel du militaire ? La réponse négative est dans les faits : cela ne marche pas. Militer n’est pas son truc. S’il s’y abaisse, il ne s’en relève pas.
La réplique ne peut être que collective. Il faudrait, selon la voix de son maître, rester unis.
Quelle union ? Pour descendre les Champs Elysées le 14 Juillet au cri de « Tous ensemble, tous ensemble, tous, tous tous ! » ?
La réponse est encore « non ». Il faudrait, selon notre pourfendeur, continuer à attendre groupés et silencieux ce qu’une pareille posture pourrait produire un jour. C’est à dire tout ce qui a échoué depuis toujours. L’exemple-type de la culture de l’inutile.
« Le chef syndicaliste de mon armée, c’est moi ! » avait affabulé cet ancien CEMAT des années quatre-vingts. Est-ce casser du Général de leur rappeler que cette rodomontade, comme l’ancien ou le «nouveau » statut sont de la poudre aux yeux en matière d’acquisition et de défense des droits du citoyen-militaire. L’Etat au plan social ne connaît que le rapport de forces. Une troupe réduite au silence ne représente pour lui aucune menace. Avec une condition militaire en pareille déshérence, l’écart n’a cessé de se creuser avec la fonction publique civile. Pour atteindre quelquefois des sommets…
S’il n’en était ainsi, pour rebondir sur le propre argumentaire de notre détracteur, aurait-il à se plaindre aujourd’hui qu’il y ait, et pour ce seul ministère, « 30 professeurs de classe exceptionnelle de l’enseignement supérieur agricole avec, au sein du ministère de l’Education nationale, une rémunération équivalente à notre CEMA… ».
Que dire du Capitaine. La grille indiciaire des fonctionnaires de L’Etat et sa transposition aux militaires « avec les mesures d’adaptation nécessaires » ayant l’opacité que l’on sait, il se murmurait il y a quelques décennies, à défaut de pouvoir y voir clair, que le Capitaine et l’Instituteur en terme de rémunération, c’était la même chose. Depuis l’Instituteur est devenu Professeur des Ecoles, et le Capitaine est resté Capitaine.
Le Caporal n’est pas le responsable du silence assourdissant ayant accompagné l’anticonstitutionnalité de la disposition du statut général 2005, interdisant aux militaires en activité de service de s’associer dans un but professionnel. Il en est la victime.
En revanche quel Général, dont c’est pourtant le rôle, a-t-on entendu protester contre le seul argument de droit qui puisse expliquer cette interdiction, à savoir qu’une représentation professionnelle du militaire français, indépendante de la hiérarchie, mettrait notre Patrie en danger ? Là, silence radio.
Au nom de l’exception culturelle de la France et de l’immaturité civique de ses soldats, à moins que plus prosaïquement ce ne soit au regard des sommes considérables qu’impliquerait toute remise à niveau de leurs grilles indiciaires, le SGM 2005 a repris celui de 1972 pour « confier » à ce Chef qui n’en peut mais, le soin de veiller aux intérêts du subordonné. L’innovation de taille est que s’il fallait attendre l’Art.10 de l’ex statut pour déplorer cette disposition, elle figure à présent dès l’Art. 6. Cette montée en puissance de 4 points enrichit incontestablement la chambre anéchoïde de la concertation dans nos Armées.
C’est donc dans un silence de cathédrale qu’en 2005 le « nouveau » statut à la noix de je me marre est intervenu, comme en 72. Pour un Amiral Sanguinetti qui refusait, lorsqu’il le jugeait nécessaire, de se mettre au garde-à-vous, faisant passer au premier rang ses convictions, ses valeurs de solidarité, ses valeurs humaines, au détriment parfois de sa carrière militaire, combien de déserteurs…
Puisque le Caporal, le Chef, ou les deux réunis ne donnent, après moult filtrages, qu’un avis consultatif inopérant (version moderne de la sodomisation des diptères), c’est une faute grave que d’avoir refusé la solution du groupement professionnel indépendant de la hiérarchie. Elle est là la véritable question et non dans une exégèse sur le généralat. Et ce n’est pas casser du Général que de la poser. Et de la reposer puisque la seule réponse a toujours été est le silence ou, comme chez notre donneur de leçons, la diversion.
Le silence leur va si bien.
Condition sine qua non d’émargement à la liste d’aptitude : 30 ans de silence. Silence ensuite pour répondre aux exigences du conditionnalat pour 98% des étoilés, sinon c’est la retraite sans passer par la case juteuse de la 2ème Section. Silence toujours dans la 2ème Section pour y demeurer avec le bénéfice de la nouvelle indemnité d’accompagnement à la reconversion, sinon c’est la mise à la retraite. Retraite dont se contente, par parenthèse, le militaire lambda.
La loi anti-stress qui autorise la reconversion de nos braves en 2ème Section à un âge où il faut savoir s’épargner les émotions a été la récompense de leur contribution à l’adoption du « nouveau » statut. Il est fort de café qu’ils puissent aujourd’hui en appeler à l’union pour en limiter les effets.
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Sur le contenu d’une marmite, plus la pression exercée est forte et plus les idées novatrices tournent en rond sans jamais faire de bulles. L’idée de profiter du SGM 2005 pour enfin accorder au militaire professionnel la possibilité de mettre un terme au glissement de sa condition sociale, est ainsi restée collée au fond.
Il faut dire qu’ils étaient si consciencieux à pressurer que même une chaudière nucléaire n’aurait rien donné.
Anesthésie réussie. La Grande Muette, par construction, restera silencieuse. Ce silence, dans une interprétation bien pratique, valant consentement. Le Ministre peut dormir tranquille : le clavetage du mécanisme de concertation semble inoxydable.
Quel mérite, quel égard, quelle estime envers celui qui accède aux étoiles pour ne rien troubler ? A notre tour de répondre par un silence accablé…
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