Il n’y a pas de mission sûre, en Afghanistan. La mort du chasseur alpin Clément Chamarier l’a tragiquement rappelé ce week-end. Chaque semaine, les hommes du 3e Régiment du Matériel de Muret organisent plusieurs convois pour ravitailler les soldats engagés contre les insurgés. Au risque de leur vie.
Olivier ouvre la poche ventrale du gilet pare-balles. Sort un lot d’étiquettes. « Groupe sanguin ? » interroge-t-il… « O + ». Il extrait le bon cru. Le place bien en vue. Ouvre la lourde chasuble blindée. Vous la présente. La referme. La serre. Maintenant, on y est. Votre sang est affiché sur le plastron. « Au cas où »…
Bref… « Il n’y a pas de sortie anodine et nous aussi, on y pense tous, à un moment ou un autre, car ça peut partir de n’importe où, n’importe quand », résume Éric, officier parachutiste du 3e Régiment du Matériel de Muret (3e Rmat), tandis qu’Olivier, le garde du corps, finit le briefing « survie » sur le garrot, les compresses, la morphine.
Convoi
Petit matin, à l’est de Kaboul, camp français de Warehouse. Ici se trouve le cœur logistique des 3850 Français déployés en Afghanistan et ceux qui, trois, voire quatre fois par semaine partent soutenir la première ligne. Mitrailleuses approvisionnées, consignes de riposte données aux chefs d’équipage… tandis que la chaîne s’assemble, qu’on répartit le « mou » (les camions) et le « dur » (les blindés), soit plus d’une trentaine de véhicules, les mécanos de Muret s’activent sous les châssis.
« On fait toujours une dernière vérification pour déceler le moindre risque de panne afin d’éviter une dangereuse immobilisation » précise alors l’un d’entre eux. Tandis que les premiers s’ébranlent déjà vers Nijrab, à 110 km de là… soit près de 4 heures de route, si tout va bien, afin d’assurer l’une des missions essentielles du Bataillon logistique : ravitailler Morales-Frazier et Tagab, les camps français de Kapisa.
Car le « Batlog », c’est un peu la force cachée des Français en Afghanistan. Le bataillon des anonymes qui fait en sorte que les combattants ne manquent de rien. Ni d’armes, ni de munitions, ni de vivres sur le terrain, « dans la verte ». Ni de confort, en rentrant au camp, crevés, en fin d’opération. Comme c’est le cas en ce moment.
Vu qu’en ce début février, ça vient de taper dur, à l’est de Kaboul, à l’entrée de la vallée de Bedraou, fief de l’insurrection en Kapisa. Une dizaine de morts, 17 blessés et 28 prisonniers dont le chef Essanulah, côté insurgés : interrompue trois semaines, le 8 janvier, pour ne pas interférer avec une éventuelle libération des otages Stéphane Taponier et Hervé Ghesquière, l’offensive Storm Lightning (éclair d’orage) a repris. Avec d’autant plus de motivation, sans doute, côté militaire que, sur cette zone notoire d’infiltrations, « la pause imposée par Paris, a surtout permis aux locaux de refaire leurs forces et de « planter » plus de 300 bombes artisanales (IED) sur le principal axe routier de la vallée » confie un officier.
« Alors pas question que nos gars n’aient pas de matos en bon état, c’est vital pour eux » résume un para qui, au-delà de ses heures d’atelier veille sur le convoi depuis la mitrailleuse de « son » VAB. Blindé synonyme de sécurité, ici, « grâce à sa forme spécifique qui résiste très bien aux IED. » précise Éric.
Mortelle poésie
Mais… Le blindé qui permet de mesurer aussi l’usure de deux, trois, voire quatre convois par semaine, pour ces hommes. « Le stress ? On le ressent dès qu’on doit sortir. On a beau dire que la France n’est pas en guerre en Afghanistan, dehors, on ne peut pas appeler ça autrement. Le risque, on le garde pour nous, cependant. On ne l’extériorise pas, c’est quelque chose qui ne se partage pas pour ne pas alourdir l’autre. On s’est préparé à ça, on sait où on a mis les pieds » confie ce brigadier-chef.
Dans la pénombre caparaçonnée du VAB, les regards parlent aussi. Tournés vers l’intérieur, ils écrivent leur carnet d’Afghanistan. Chocs constants vous bringuebalant sur des routes défoncées… 12 heures de rang, parfois. Ils disent la fatigue, l’attente, la coupure, aussi, avec ce pays qu’ils traversent mais ne pénètrent pas ; ce petit point à l’estomac quand enfin on peut sortir son buste par la trappe arrière. Pour respirer ? Guetter au contraire, sans se laisser distraire par le grandiose des premiers contreforts himalayens dans le soleil levant, là-bas, l’Hindou-Koush… La poésie est parfois dangereuse, ici.
Peintes sur les camions, les roses afghanes défient la poussière et la boue qui délitent et diluent en permanence le khaki du pays. Khaki, mot persan, « couleur de terre » qui teinte les tenues traditionnelles des hommes souriants, ironiques ou en colère, sur le bas-côté. Seulement voilà… chanter la rose et ses pétales rouges, c’est aussi évoquer le sang qui coule, dans la tradition lyrique des guerriers pashtouns. « Plantez des fleurs au bord des routes » a ainsi commandé un mollah à ses talibans : « l’an dernier, il y a eu 8 300 IED en Afghanistan, ça fait une moyenne de 22 par jour » résume un officier français. « En 11 opérations extérieures, c’est la première où je suis vraiment en situation de guerre. En mission, je reste concentré sur ce que j’ai à faire. C’est en rentrant que je me dis qu’il y aurait pu y avoir quelque chose. », explique Yoan, à propos de ces « fleurs » qu’ici personne ne veut voir rougir sur son passage, au cœur de l’hiver afghan.
« Oui, on essaye de ne pas y penser, il faut rester serein pour faire notre métier, le reste, c’est le destin », conclut Olivier.
Le chiffre : 3 850
Soldats> français. 3850 militaires sont actuellement engagés en Afghanistan, 4000 si l’on inclut les gendarmes encadrant la police afghane. 54 soldats y sont morts depuis le début du conflit, avec cette nouvelle victime, samedi. 250 en sont revenus gravement blessés ou mutilés à vie.
« Ce n’est pas une guerre de religions. On n’est pas perçus comme des infidèles mais comme des étrangers à la vallée». Un officier supérieur français, dont le régiment est engagé au combat, en Kapisa.
L’engagement des régiments de Midi-Pyrénées
Le «BatLog» est donc principalement armé par le 3e Rmat de Muret et ses 126 parachutistes. Mais il est également composé un autre maillon toulousain essentiel: les 28 hommes et femmes du 4e Groupe logistique du commissariat de l’Armée de Terre, de Balma qui sera bientôt le seul et unique régiment du soutien du combattant, en France. Sont également présents, actuellement, une vingtaine d’hommes du 8e Rpima de Castres, à Tagab. En avril, mois de la relève, les Tarbais du 1er RHP et le 1er RCP de Pamiers doivent également repartir en Afghanistan.
« Royaume de l’insolence » et dangereux voisins…
La France n’est pas -officiellement- en guerre, en Afghanistan. Mais la guerre ne s’en poursuit pas moins, sur le terrain. Sans vrai débat national. 54 militaires français y ont pourtant trouvé la mort depuis 2004 et les soldats des régiments de Midi-Pyrénées ont payé un lourd tribut : 17e RGP de Montauban, 1er RHP et 35e RAP de Tarbes et bien sûr, 8e Rpima de Castres, le 8 août 2008, au col d’Uzbeen… Lire à Kaboul les plaques à la mémoire des disparus permet de mesurer aussi ce que signifie, concrètement, l’engagement de la France au côté des États-Unis, dans le complexe guêpier afghan… alors même que dès fin 2001, Jean-Pierre Clerc notait dans « l’Afghanistan, otage de l’Histoire », à propos de l’intervention des alliés : « la maîtrise politique du conflit échappe à ses initiateurs ».
Car le problème est bien connu… l’éventuelle solution à la guerre dans ce « Royaume de l’insolence » ayant résisté à tous les empires, ne se trouve pas en Afghanistan. Tout le monde le sait, de….
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