Fédération Générale
Autonome des fonctionnaires
Paris, le 20 avril 2005
Madame Michèle Alliot-Marie
Ministre de la Défense
14, rue Saint-Dominique
75700 PARIS
Madame la Ministre,
Le 15 mars 2005, l’Assemblée nationale a adopté sans modification en deuxième lecture, le projet de loi, modifié par le Sénat, portant Statut général des militaires (loi n°2005-270 du 24 mars 2005).
Cette loi prévoit à présent en son Titre Ier : droits et obligations, chapitre 1er ; exercice des droits civils et politiques, article 6 alinéa 2 :
« L’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que l’adhésion des militaires en activité de service à des groupements professionnels, sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire ».
Cette nouvelle rédaction résulte en fait d’une reprise mot pour mot du 1er alinéa de l’article 10 de la loi n°72-662 du 13 juillet 1972 modifiée, portant Statut général des militaires. Elle ne procure aucune avancée dans le domaine de « l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels » des militaires de carrière ou sous contrat, qui ne peuvent toujours pas créer de groupements professionnels et sont donc toujours considérés comme des sous-citoyens du monde du travail, au prétexte que le droit syndical serait « incompatible avec les règles de la discipline militaire ».
Pourtant, l’examen des différentes règles en vigueur dans les pays européens limitrophes (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Pays Bas, Portugal et Royaume-Uni) devrait nous interpeller. Il fait apparaître que les droits d’expression et de réunion des militaires, ainsi que leurs droits politiques, sont similaires dans tous ces pays : ils jouissent des droits d’expression et de réunion comme tout citoyen, mais le devoir de réserve et le respect de l’image de l’armée s’impose à eux pour les exercer, selon des modalités très différentes : et cela ne nous choque pas.
Comment la Patrie des Droits de l’Homme et du Citoyen peut-elle rester en retrait (voire indifférente) sur une question qui nous paraît importante, puisqu’elle touche un droit à valeur constitutionnelle, sans que cela ait semblé mobiliser nos élus, contrairement à la présomption d’innocence.
Le Conseil constitutionnel n’avait pas été saisi de la loi du 13 juillet 1972 avant sa promulgation, et il en a été de même pour ce nouveau Statut des militaires. Pourtant, nous pensons que la constitutionnalité de cette loi, au regard du droit syndical, mériterait d’être posée, car la Constitution du 4 octobre 1958 a repris les dispositions du préambule de la Constitution du 27 Octobre 1946, dont l’alinéa 6 stipule que :
« Tout homme peut défendre ses droits et intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ».
Comme la jurisprudence du Conseil Constitutionnel (notamment la décision 71-44-DC du 16 juillet 1971/JORF du 18 juillet 1971) et du Conseil d’Etat (Société EKY/12 février 1960) reconnaissent au préambule la même valeur juridique qu’au corps de la Constitution, il me semble qu’une douloureuse incohérence perdure dans notre Etat de droit.
De plus, en 1989, près de quarante ans après sa promulgation, la France a ratifié la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (du 4 novembre 1950) qui prévoit en son article 11, liberté de réunion et d’association, que :
« 1.Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts ».
Là encore, il n’est pas prévu de restriction au droit syndical, même si l’exercice de ces droits peut faire l’objet de restrictions, comme le prévoit le 2° de l’article 11 :
« 2.L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat. »
Aussi, comme l’article 55 de la Constitution du 4 Octobre 1958 stipule que :
« Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie » ;
nous devons en conclure que les militaires de carrière ou sous contrat devraient, comme cela a été le cas pour les fonctionnaires au sortir de la Seconde guerre mondiale, obtenir la reconnaissance du droit syndical, droit dont ils ont été injustement privés depuis un demi-siècle ; même si leurs statuts particuliers leur imposaient des sujétions renforcées et des obligations particulières, afin de garantir le respect de l’image de l’armée et d’opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels et la sauvegarde de l’intérêt général.
Cela permettrait sûrement d’éviter à terme des manifestations en tenue d’uniforme et en arme, comme nous en avons connues en novembre et décembre 2001.
La Fédération Générale Autonome des Fonctionnaires, organisation majoritaire au ministère de l’intérieur, et qui recueille plus de 110 000 voix aux élections professionnelles dans les trois fonctions publiques, suivra ce dossier avec une attention toute particulière.
Nous ne comprenons pas, en effet pourquoi, lors de l’élaboration du projet de loi, le Gouvernement n’a pas tenu compte des prescriptions du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, ni de celles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui, ratifiée par la France en 1989, a une autorité supérieure à celle des lois.
Certes, on peut considérer, comme l’a dit le Sénateur Eric Doligé lors des débats, que « la meilleure défense syndicale, c’est d’avoir un bon ministre » ; mais l’expérience nous a montré que, quelle que soit la compétence ou l’implication dudit ministre, cela n’a jamais été suffisant. Aussi, nous envisageons de porter cette affaire devant la juridiction européenne, afin de faire cesser cette incohérence, pour ne pas dire ce déni ; tout en regrettant que cette affaire n’ait pu être traitée dans un cadre strictement hexagonal.
Restant à votre entière disposition pour toute information complémentaire, et espérant avoir retenu votre bienveillante attention sur ce problème particulier du droit syndical des militaires, je vous prie d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de ma haute considération.
Le secrétaire général
Serge Supersac
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