Ils sont à ce jour 53 soldats tombés là-bas, près de Kaboul. Mais que savons-nous d’eux? L’Express est allé à la rencontre des proches de quatre d’entre eux. Ils racontent leur destin et se souviennent. Pour qu’on n’oublie pas.
Jean-Nicolas
Quand la nuit tombe sur son HLM de Versailles, Monique Panezyck n’allume plus la lumière. Cela fait cinq mois qu’elle vit avec la pénombre. Parfois, elle s’approche de la fenêtre, et c’est comme s’il allait arriver, claquer la porte et lui offrir un sourire, comme avant, Jean-Nicolas, son petit, son fils unique. Dans sa chambre, tout est resté en l’état. Sa grande valise qu’on lui a renvoyée de là-bas, sa chaîne, son képi, sa photo de beau gosse en treillis, au regard bleu franc dans un visage encore nimbé d’adolescence. Et puis, sur un buffet, sa Légion d’honneur, qu’il a eue trop tôt, à 25 ans. Après une vie d’employée à TF 1, Monique venait de prendre sa retraite. Elle pensait partir dans le Midi, souffler au soleil. Cette mère seule ne s’intéressait pas plus que ça à la guerre contre les talibans. Aujourd’hui, elle est malade d’Afghanistan.
Elle est assise en boule sur un coin du canapé. Elle a renversé en arrière son visage, les yeux fermés. Elle ne peut plus endiguer ses larmes, ni le flot des images qui lui rayent la tête. « Evitez de l’embrasser, madame… » Trois jours, elle avait attendu le corps de son fils, le temps que l’avion le lui ramène, à Roissy, dans un caisson en métal. Trois jours, et elle ne pourrait même pas l’embrasser ? Jean-Nicolas avait été trop salement touché à la tête. Puis il y a eu, comme dans un film, le défilé des céré-monies, les honneurs militaires, les tambours, « la sonnerie aux morts, La Marseillaise qui vous arrachent le ventre », le rendez-vous avec Nicolas Sarkozy. Il y a eu tout ça. Et maintenant, il y a le vide.
A peine trois mois plus tôt, à Roissy, Jean-Nicolas avait serré sa mère dans ses bras et il lui avait dit : « Je reviendrai, maman, je te promets. » Il tenait toujours ses promesses. « Extrêmement volontaire, disponible », notaient ses chefs. Avec son CAP de couvreur, il aurait dû aller chez les Compagnons du devoir, le gamin, comme son grand-père. Et puis un jour, après une dispute avec un collègue, il déboule à la maison : « Je rentre dans l’armée. » Il signe pour cinq ans. C’est comme ça qu’à 20 ans il intègre le 21e régiment d’infanterie de marine de Fréjus (RIMa). C’est comme ça qu’il engage sa vie, apprend à conduire des blindés la nuit, phares éteints, sous le sifflement des obus. C’est comme ça qu’il meurt en silence, un jour de soleil écrasant.
Monique avait pris l’habitude de vivre près de son téléphone. Au mois d’août 2010, une amie lui propose de prendre l’air chez elle, à Avignon. « Viens, ne reste pas enfermée… » Monique en profitera pour se rendre au 21e RIMa, à Fréjus, à la réunion destinée aux familles. « On nous a parlé de nos enfants sur le terrain, on nous a montré des photos… J’étais si heureuse de l’avoir vu. » Le 23 août, vers 10 heures, son portable sonne. Une femme de l’armée lui demande son adresse. « Il s’est passé quelque chose ? » se fige Monique. Réponse blanche : « Je ne suis au courant de rien. » La mère de Jean-Nicolas n’est plus qu’un cri. Elle a compris. Un capitaine frappe à la porte. Les condoléances courent déjà sur Internet. Le bandeau télévisé, « Caporal Jean-Nicolas Panezyck, 47e soldat mort en Afghanistan ». Suivi de la météo. Demain, il fera beau.
La France est engagée depuis 2001 en Afghanistan. 4 000 militaires, aux côtés des Américains. Partout, cette guerre nourrit le débat politique – aux Etats-Unis, en Allemagne, aux Pays-Bas, où le gouvernement est tombé sur la question du maintien de ses troupes, au Canada, au Royaume-Uni, où les dépouilles des soldats, engagés volontaires, sont accueillies par la foule, des brassées de fleurs, des hommages à la télévision… A la Chambre des communes, les députés s’inclinent en souvenir des victimes. « Ici, tout le monde s’en fout, de nos soldats ! » Tout à coup, Monique s’est redressée. En 14-18, la France agonisait, en masse, pour défendre sa ligne bleue des Vosges. En 2011, elle meurt dans la vallée de Kapisa, à 5 000 kilomètres de là, dans un pays où la montagne et la nuit appartiennent aux insurgés. La nuit, justement, elle tombe à Versailles. « Quand j’ai demandé au ministre Hervé Morin pourquoi on envoyait nos enfants là-bas, il m’a dit : « Pour la liberté et l’anti-terrorisme » », marmonne Monique. Elle est fatiguée. Demain, elle doit partir pour l’hôpital militaire de Percy, qui la prendra en charge, le temps qu’elle aille mieux. « Comme ça, je serai plus près de mon fils », dit-elle, d’une voix à la limite du silence.
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