Réforme de la garde à vue (Jacques Mestries)

Témoignage :

La climatisation ne parvient pas à repousser la chaleur de cette salle d’audience de la cour d’assise de la Guadeloupe en ce mois de mai.

Vaste salle d’un bâtiment des années 60, elle en est le lieu principal, le lieu le plus sacré ou le plus terrible. Le lieu où des hommes se justifient aux yeux des autres, l’aboutissement de toutes les misères humaines, de toutes les grandeurs aussi.

L’avocat général : Mon lieutenant, au cours de la procédure, les accusés et leurs avocats ont porté des accusations graves contre vous. Vous avez obtenu des aveux par la force, la menace et l’injure. Vous vous êtes conduit comme un raciste et avez obtenu des aveux à cause de la couleur des accusés.

Cela fait déjà trois heures que je comparais devant cette cour, que  les avocats de la partie civile et de l’accusation se relaient, ne laissant pas la moindre minute pour aborder les questions dans leurs profondes significations. Il faut répondre vite pour les satisfaire, pour satisfaire à la justice, pour ne rien trahir et surtout pas la vérité. Il n’y a qu’une seule solution devant la cour d’assise pour un gendarme qui fait ce métier depuis 35 ans, la vérité, celle qui est apparue. Ne pas la trahir quelques soit les conséquences, le destin d’un homme et d’une femme est en jeu. Pas de faux semblant, pas de faux fuyant, et surtout lorsque l’on ne peut répondre à une question ne pas céder à la tentation de l’approximation.

Je me connais, je suis assez vif dans mes réactions, vif à riposter aux agressions, mais je me dois la plus profonde honnêteté quelque soit son prix. Je dois rester serein.

Une véritable agression cette accusation de l’avocat général, plus qu’une question. La voix était forte, la main ferme levée de l’accusateur s’est abattue avec violence sur son pupitre  comme la lame aiguisée de ce qui était désormais une condamnation.

A ce moment là, je revis l’interpellation des mis en cause pour viol sur mineur. je revois le transfert à la Brigade de Recherche, les images de la garde à vue défilent.

Les locaux de la brigade sont au milieu des logements des gendarmes au rez de chaussée. Les enfants vont et viennent au milieu de cette unité en allant jouer dehors. Les locaux sont partagés par l’escalier des familles. Cette configuration empêche en elle-même toute véritable confidentialité. Les portes sont ouvertes en permanence sur cet escalier commun. Le soir, il faut pas faire trop de bruit et veiller à ce que les imprimantes, le téléphone, les allées et venues des voitures se fassent discrètes. Des enfants dorment, demain ils ont école. Le papa se couche et se lève à n’importe quelle heure pour aller au travail. Il ne faut pas déranger son repos. La maman doit pouvoir partir à son travail reposée.

L’interpellation, pas de problème. Bonjour Monsieur, vous êtes Monsieur X .  Voilà ce qui se passe…….. Vous devez nous suivre, mais auparavant nous devons faire une perquisition pour relever l’état des lieux et rechercher des indices décrits par les gens qui se plaignent de vous.

Aucun problème, pas un mot au dessus de l’autre, personne.

Bien sur pas de signe amical non plus. Une attitude froide, sèche, directe. Droit sur les objectifs. Pas de commentaire inutile, politesse au mini, c’est vrai aussi.

On ne peut pas me demander de faire des courbettes. On ne peut pas exiger de moi ni amabilité ni sourire. Je ne pourrais pas, pas avec les auditions des victimes dans la tête. Je ne le peux pas et ne le veux pas.

Début de garde à vue, application de la loi, coup de fil au proc, pas là trop tôt, donc un fax. L’avocat est joint, fax itou. Un notable, historien de l’esclavage dont je bois les paroles sur la télé locale le samedi après-midi au lieu d’aller à la plage. Il ne doit pas connaître mon admiration pour la tache qu’il accomplie. Ce serait déplacé.

Le médecin, pas besoin disent les personnes concernées. Je passe outre et demande une visite médicale tout de même. C’est dur une garde à vue, faut être en forme, qu’il n’y ait pas de contestation ensuite ; pour eux et pour nous aussi d’ailleurs.  

Pas de médecin pour nous, ni pour les victimes d’ailleurs. Pas d’avocat non plus, ni pour les victimes.

Le gardé à vue est commerçant. Il doit s’organiser. On fait venir son frère pour qu’ils règlent ce problème matériel avant le début des auditions. Transmission des clés du commerce, consignes données on peut se mettre au travail.

La colère, la réprobation, les jugements de valeur  : contre productifs avec ce genre de délinquant – besoin de confiance, besoin qu’ils pensent à une compréhension, à une largeur d’esprit presque aussi coupable que la leur.

Le temps passe. Les faits sont niés, mais la perspective d’une confrontation amollit les volontés.  Nous sommes scrupuleux dans les détails, insistant sur les circonstances et curieux sur les motivations.

C’est vrai tout cela exerce une réelle pression sur les mis en cause. Ils peuvent chercher à se libérer de ces cascades de précisions et trouver n’importe quelle sortie.

Les confrontations, le regard, les questions des victimes libérées et enfin protégées, voilà la plus lourde des pression. Enfin pression sur des gens communs. Beaucoup s’en foutent.  

Excuses en fermeture de confrontation et pourtant …………….

Les aveux c’est de la «  merde ». Tous les enquêteurs le savent, s’en méfient mais les précisions et les détails vérifiables qu’ils peuvent apporter au dossier sont souvent capitaux pour se faire une idée de ce qui s’est passé.

Mécanique bizarre que ces aveux qui tombent souvent sans qu’on s’y attende trop.

L’avocat vient quand bon lui semble. On lui laisse voir ses clients le temps qu’il veut ou qu’il peut. Une faiblesse due à mon admiration rentrée pour ce vieil homme digne. La famille idem, le compte rendu de la journée dans le commerce à sa convenance. Nous n’avons rien à cacher, aucun procédé coupable pour accomplir la tâche que nous est confiée.

Aveux répétés au juge d’instruction lors de la première comparution. Et alors me direz-vous ?

Vous avez raison. Mécanique bizarre que les aveux et je ne suis pas non plus convaincu que des aveux répétés juste après la garde la vue soient une confirmation de quoi que ce soit. C’est ma conviction intime.

Cependant :

L’avocat général : Mon lieutenant répondez ?    

Je ne lui réponds pas. Je me tourne vers le Président de la cour d’Assise.

Le gendarme : Monsieur le Président. On a le droit de m’insulter comme ça ici ? On a le droit de me traiter de la sorte ? Qu’est-ce que je peux faire ?

Le Président : Rien.

C’est normal, cela ? Je pose la question à tous les lecteurs.

En cours d’enquête, j’avais eu connaissance des graves accusations portées contre moi ? J’ai demandé des auditions, des confrontations. Refusé – Vous n’êtes pas cause, on vous connaît.

Plusieurs demandes d’annulation des auditions, jusqu’en cassation – rejetées, toutes.

Et pourtant en pleine salle d’audience – accusation gratuites, sans le moindre fondement, sans la moindre enquête sans la moindre vérification, au moins des lieux.

Et pourtant – humiliation – réduction de toute une vie au service de la loi à des accusations indignes.

Ils jouent un jeu, une pièce écrite d’avance où nous n’avons aucune importance, n’existons pas, nous les gendarmes et les policiers. Nous ne sommes pas des gens, pas des citoyens, pas des hommes, nous n’avons pas de famille, nos enfants ne vont pas à l’école, nous n’allons pas dans les magasins.  On peut nous traîner dans la boue gratuitement, nous et nos familles . On peut tout dire gratuitement sans risque lorsqu’il s’agit d’un policier ou d’un gendarme.

Réforme de la garde à vue.

Il faudrait défendre un tel système au nom d’une efficacité discutable ?

Cela ne nous concerne pas, il faut laisser faire ces gens en campagne électorale permanente ce que bon leur semble et ne même pas participer au débat.

Ils sont responsables devant le pays. Ils prennent les mesures qu’ils veulent.

En quoi allons-nous soutenir un système dont les premières victimes sont les policiers et les gendarmes.

Il faut réformer la garde à vue, c’est un fait et plus que tous autres les gendarmes et les policiers devraient s’en féliciter.

Mais il faut réformer également et en même temps la protection des enquêteurs et les garanties accordées aux citoyens doivent s’accompagner de punitions exemplaires pour les gens qui portent atteinte à la dignité et à l’honneur des enquêteurs. Nous ne sommes pas des chiens qui doivent subir et ne rien pouvoir faire, ne rien pouvoir dire.

Les garanties des personnes entendues doivent avoir un pendant. Le faux témoignage doit….

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