Si vous souhaitez, par maladresse dans la cour de la caserne, descendre un jeune militaire d’une rafale de 7-62, essayez-vous au 1er RHP. Si la complaisance de la victime est bien organisée, vous ne connaîtrez guère les affres de la garde à vue, ni celles d’une mise en examen avec prison à la clé. L’affaire se traitera en famille. Certes avec 40 jours d’arrêts, lesquels ne vous empêcheront nullement d’intégrer major à l’EMIA un an après. Ce dont la victime ne souffrira pas puisqu’elle est décédée et décorée de la Médaille Militaire pour avoir été… « tué en opérations le 1er mai 2003 ». La Légion d’honneur, c’est pour le policier qui glisse du toit, ou le cuisinier belge.
Si vous voulez, toujours par maladresse, descendre un jeune en jetant sur lui une grenade offensive, ne le faites pas dans la rue, les pékins y seraient trop attentifs et vous auriez dès lors de sérieux ennuis avec la Justice. Non, choisissez plutôt de vous engager et opérez en famille, au sein de ce même Régiment d’élite. Si votre proie est complaisante, vous ne risquerez qu’un blâme lorsque la ministre sera au pied du mur. Ce qui n’altérera comme ci-dessus, ni l’estime que vous porte la hiérarchie, ni la poursuite de votre carrière d’Officier. Ce dont la victime devenue civil, diminuée physiquement et psychiquement, conservera un souvenir ému en allant pointer au chômage.
Si vous voulez connaître, sans ce risque de révocation exclusivement réservé aux policiers ripoux car face au public, les joies bestiales dont la gloire de la France se passerait volontiers, engagez-vous, notamment dans les unités à l’étranger. Au 11ème Rama en Guyane vous expérimenterez les baffes de bon fonctionnement. Au Kosovo ce sera le 1er RI de Sarrebourg qui vous fera connaître les délices de l’aller-retour, « pratiques courantes [sous] l’empire d’un état alcoolique », selon la Gendarmerie. En janvier 2004, le général dont dépend le 110ème régiment d’infanterie relate que " Deux caporaux-chefs avaient l’habitude d’user d’aides pédagogiques (sic) constituées d’un bâton, pour l’un, et d’un morceau de tringle à rideau, pour l’autre. Cette pratique était qualifiée de "coups de bon fonctionnement". Cela vous tente-t-il ? Si vous préférez la « patate cuite et bien chaude déposée sur le coccyx puis écrasée d’une claque sur le postérieur » optez pour le séjour à Kaboul offert par le 1er régiment de tirailleurs d’Epinal. Liste non exhaustive.
Dans l’hexagone, en ligne de mire des petites frappes en uniforme, les engagées féminines seront particulièrement choyées. Ce qui permettra en haut lieu d’évoquer leur intégration réussie. Un prochain article leur sera dédié. On y verra, alors que les défoulements ci-dessus semblent relever d’une aimable tradition et qu’il n’y a donc pas de quoi fouetter un chat, ce que deviennent ces réactions quand c’est une chatte qui est fouettée.
En résumé, détendez-vous selon votre inspiration, votre perversité ou vos fantasmes, le Chef, selon le Statut se devant de veiller sur vos intérêts (et surtout sur les siens), se montrera justement clément, au titre de la deuxième chance (1). Sauf si l’affaire s’ébruite, car alors les mesures correctrices rétroactives vont pleuvoir. Mais qui, grands dieux, aurait intérêt à faire des vagues, même dans un pluviomètre ?
Retour sur l’une de ces affaires. Celle, criminelle et préméditée, de la grenade offensive. Nous sommes début 2002. L’enquête menée par le Détachement Prévôtal établit la vérité sans ambiguïté. Il apparaît ainsi que le Lieutenant en fonction de directeur de tir jouait les Rambo avec ses grenades. Très soucieux des intérêts de ses subordonnés, il en lança une, dégoupillée, à 180 degrés de la direction prévue, en direction du binôme montant au pas de tir. Le MDL R… sera polycriblé par les éclats, avec multiples atteintes à la face, dont notamment un grave traumatisme à l’oeil, ayant failli occasionner sa perte et qui aujourd’hui ne remplit sa fonction qu’à 40%.
De l’enquête effectuée, il ressort qu’à l’encontre du Lieutenant P…, ont été relevés des éléments de nature à motiver l’exercice de poursuites pour violences avec arme ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours. Délit prévu et réprimé par les articles etc. du code pénal.
Qu’advint-il, une fois la victime tirée physiquement d’affaire ? Comme souvent en pareille circonstance la victime dérange. Pas d’accompagnement psychologique, pas d’assistance juridique spontanée, l’existence d’un petit soutien financier potentiel découverte au détour d’un long, trop long parcours en solitaire. Aucun renseignement sur la prospérité de sa plainte au point de devoir prendre à sa charge l’aide d’un avocat. Lequel s’avoue vaincu par les embûches.
Ce n’est apparemment que lorsqu’un ténor du barreau (non gratuit) se porte partie civile que la ministre signe un avis de poursuite judiciaire et qu’un juge d’instruction récupère enfin le dossier. Bien entendu cette instruction fut perturbée par l’absence du présumé coupable, lequel continuait imperturbablement son petit bonhomme de carrière hors l’hexagone, parfaitement apprécié de sa hiérarchie. Apprécié il le sera beaucoup moins par l’homme de base qui, à son contact au quotidien, voit souvent plus clair que les chefs et qui rapporte, mais la rumeur n’est pas une preuve, des facilités de permis de conduire en République bananière, des stups, de l’alcool et souhaite ardemment une descente de police à la chancellerie du 1er RHP. Un doux rêveur en quelque sorte.
Il se trouve que ce «doux rêveur » pour faire son deuil avait besoin de faire partager son expérience bien réelle. Sa communication « est un pas vers l’oubli de l’épreuve que j’ai vécue, et vers l’apaisement psychologique tant attendu. Merci ». L’ADEFDROMIL est fière de réussir là où la cellule d’accompagnement psychologique militaire brilla par son absence.
Que ces exemples, dont nos colonnes foisonnent, alertent au plus haut de la pyramide sur les exigences du militaire professionnel de base, informé à défaut d’être cultivé sinon il ferait autre chose, et conscient qu’un recrutement de qualité et la fidélisation du personnel ne sauraient s’accommoder d’une gestion des ressources humaines datant du siècle dernier. Bref, que les exigences de qualité dans la professionnalisation ne sont pas à sens unique. Sinon le syndrome Le Tohic risque de s’étendre.
En tout état de cause l’affaire pénale sera audiencée a minima au Tribunal aux Armées ce 15 février. Toutefois ce serait mal connaître les juristes de la Défense que d’imaginer un seul instant qu’ils se seraient gardés d’épuiser l’ensemble des possibilités de report. Ensuite ce sera le Tribunal Administratif, histoire de livrer à la victime un combat retardateur de nature à reporter encore et encore sa consolidation psychologique définitive. Screugneugneu !
Alors, défendre ou descendre le subordonné pour mieux émerger du cloaque ? La question reste posée et ce n’est pas le «nouveau statut », copie conforme de l’ancien sauf sur des babioles, qui lèvera la confusion.
Disons, pour faire court, que lorsqu’une contrôleuse de la SNCF dit avoir été violée, ses pairs se mettent en grève, les trains s’arrêtent et la France entière en parle. En revanche, quand c’est un militaire qui est violé dans ses droits, dans sa dignité voire, nous y reviendrons, dans la plus intime de celle-ci, la chape de plomb tombe, plus spontanée rapide et puissante que ne le fut la Jeanne voguant vers le tsunami. Les képis aux ordres, dans une (in)conscience coupable, récitent que tout va bien, et la ministre, si nécessaire, y va de son discours rédempteur. Alors la piétaille, toute honte bue ne s’arrête pas. Du moins pas encore, car le danger, Messieurs les parlementaires, sénateurs ministres et président voteurs de statut est bien réel. On n’attendra pas le statut de 2038 pour le constater.
L’impossible recours à un organisme de défense des droits des militaires, indépendant de la hiérarchie, naturellement opposé à la grève, et qui reste à créer, décidément se fait cruellement ressentir.
Mariallio
(1) Ces sévices, rapportés par le Canard Enchaîné, n’ont pas été démentis, tant le risque de surmédiatisation serait contre-productif.