J’ai assisté le 29 octobre 2004 aux obsèques de mon camarade Philippe RAOUL des ESSARTS, adjudant-chef de gendarmerie, décédé dans des circonstances tragiques puisqu’il s’est donné la mort dans son bureau à la Brigade de gendarmerie de MORDELLES.
J’ai eu la chance, je dis bien la chance, de le côtoyer, de bien le connaître. C’était un vrai professionnel dans sa spécialité, un chef très compétent et un homme ayant le sens des valeurs humaines.
L’église de MORDELLES était pleine à craquer. Nombreux était ceux qui tenaient Philippe en haute estime et souhaitaient lui rendre un dernier hommage et témoigner leur sympathie à sa veuve et a ses enfants. Bon nombre avaient des larmes aux yeux.
Parmi l’assistance, figuraient des anciens de l’Arme l’ayant connu et des actifs venus de toute la Bretagne : Vannes, Brest, Guingamp, Lorient etc. sans oublier des représentants des Armées, des Sapeurs Pompiers, du Parquet de Rennes, des élus, des membres de diverses administrations ( ministère des finances, douanes, répression des fraudes, policiers…). Des représentants des deux associations de retraités de gendarmerie étaient présents avec leurs drapeaux.
Après la cérémonie, j’ai pu obtenir des informations capitales sur son suicide et finalement, il semblerait bien que Philippe n’ait plus eu la force de résister à des pressions morales hiérarchiques.
Pour bien comprendre l’état psychologique dans lequel se trouvait mon ami, il me paraît nécessaire d’apporter quelques informations sur sa carrière et sur la pression dont il aurait été victime.
Philippe RAOUL des ESSARTS est né en 1954 en Allemagne dans une famille de 4 enfants dont le père était gendarme. Après ses études, il effectue son service militaire comme transfiliste dans la Marine Nationale, période à l’issue de laquelle il décide de faire carrière dans la gendarmerie. C’est ainsi qu’il va effectuer son stage à l’EPG de CHAUMONT. Son bon classement lui permettra d’opter pour la GD. Il sera affecté à PIPRIAC (35). Il s’y fera remarquer et rejoindra la Section de Recherches de RENNES en 1982.
Excellent enquêteur, estimé de tous ses camarades, passionné par son métier, cette affectation va lui porter préjudice en 1992.
Chargé d’une enquête conjointement avec un autre militaire de l’unité, Philippe va connaître avec ce dernier , les affres de l’injustice hiérarchique . En effet, à une date que je ne peux préciser, ils sont contactés téléphoniquement par un indic susceptible de leur transmettre une information capitale pour leur dossier. Tous les deux partent en début de nuit (22h-23h) rejoindre leur informateur dans un bar rennais, utilisant comme voiture banalisée, une AX. Ils vont prendre une seule consommation avec ce dernier (vérifié par l’enquête de commandement). Pendant leur présence dans le bar, ils voient trois policiers en civil (BAC de nuit) appelés par le patron, entrer, rejoindre ce dernier et passer dans une arrière salle.
Philippe et son camarade quittent leur informateur, regagnent leur voiture et rentrent à la caserne. Puis tous deux vont … dormir, satisfaits de leur travail.
En fin de nuit, l’un d’eux est réveillé par le commandant d’unité. L’officier lui demande ce qu’ils ont fait de la voiture et où ils étaient en cours de nuit. Le gendarme répond à son supérieur que la voiture est sur le parking de la caserne et qu’ils étaient sortis pour aller rencontrer un indic. Incompréhension totale entre les deux hommes et comme le sous-officier avait de la personnalité…, je vous laisse imaginer l’échange verbal.
Finalement tout le monde se retrouve au bureau et là, un autre reproche est fait aux deux hommes : ils ne se sont pas inscrits sur la feuille de service donc… ils devaient être à « faire la foire » selon les termes usités à cette occasion (pour votre information, cette feuille de service manuscrite était remplie par les enquêteurs parfois à la fin de la mission lorsqu’elle ne durait que peu de temps, et ce avec l’accord du chef de service comme de ses prédécesseurs d’ailleurs).
La réponse des deux sous-officiers fut catégorique : la veille vers 18 heures, ils avaient informé l’officier adjoint de l’attente d’un appel de leur informateur et d’une éventuelle sortie nocturne pour rencontrer ce dernier.. Quant à la voiture, l’AX, il y en avait bien une sur le parking mais… ses numéros ne correspondaient pas avec celle propriété de la Gendarmerie. Que s’était-il donc passé ?
En sortant du bar, nos deux enquêteurs avaient ouvert une AX avec leur clé, l’avaient démarrée et étaient rentrés à la caserne. Quelques instants plus tard, les trois policiers sortent et vont pour prendre leur véhicule, mais s’aperçoivent que celui ci a disparu. Ils remarquent bien une AX, stationnée sur l’emplacement jouxtant celui où ils avaient stationné la leur . De suite ils se rendent à l’Hôtel de Police pour signaler le vol de leur voiture.
De retour sur les lieux, nos trois fonctionnaires sont intrigués par l’AX restante. Ils identifient le titulaire de la carte grise : Gendarmerie Nationale, Groupement d’Ille et Vilaine. Le commandant de Groupement est informé par les services de Police de cet abandon de véhicule, lequel, au lieu de traiter avec le Commandant de la SR, s’adresse au Chef de Corps. « Descente en cascade », énervements, etc.
Malgré la démonstration que les clés des deux véhicules permettaient d’ouvrir l’un ou l’autre (1), que ces derniers étaient rigoureusement identiques tant de par la couleur que par leur aménagement intérieur, un dossier disciplinaire fut établi. Une punition suivit, assortie d’une mutation pour nos deux sous-officiers.
Les fonctionnaires de police (à tous niveaux) n’ont jamais compris cette sévérité et bon nombre de gendarmes, voire d’officiers, non plus. Mais fallait-il sans doute un exemple !
Nos deux « fautifs » ne l’acceptèrent pas, mais durent s’incliner devant la mutation. Si Philippe RAOUL des ESSARTS fut muté à la brigade de PERROS-GUIRREC (22) qu’il gagna en célibataire car son épouse avait un emploi, son camarade, écoeuré, prit le parti de prendre une retraite proportionnelle. La gendarmerie s’amputa ainsi d’un très bon enquêteur notamment dans le domaine des affaires financières
Philippe ne s’avoua pas vaincu et prit conseil d’un avocat rennais. Ainsi attaqua-t-il devant le tribunal administratif pour finalement obtenir gain de cause : punition et mutation furent annulées… donc retour à la SR.
Peu enthousiaste de retrouver ses anciens supérieurs, RDE, comme nous l’appelions familièrement, fut affecté dans le service s’occupant du recrutement et plus précisément détaché au Centre de Sélection n° 3 de St JACQUES de la LANDE. Une fois de plus, sa personnalité fut très appréciée.
Quittant le recrutement, il est affecté en 2002 à la brigade de MORDELLES tout d’abord comme adjoint, puis comme commandant d’unité au départ du Major. Dans ce nouvel emploi, il se fera bon nombre d’amis et sera une fois de plus estimé tant par ses hommes que par la population.
Son recours devant le tribunal administratif, n’aura pas ralenti le déroulement de sa carrière, mais malheureusement il sera indirectement à l’origine de son suicide.
Après la cérémonie, nous nous sommes retrouvés a plusieurs de ses proches, actifs ou retraités. C’est ainsi que j’ai appris qu’il s’était confié en milieu de semaine dernière à certains, se plaignant d’être entre le marteau et l’enclume (comme bon nombre de commandants de brigade d’ailleurs) et d’être l’objet d’incessantes remarques de sa hiérarchie quant à son recours administratif. En un mot, « il n’était pas bien du tout ».
Son suicide entre midi et quatorze heures dans son bureau de commandant de brigade avec son arme de service, ne serait-il pas le geste fort et symbolique d’un homme destiné à sa hiérarchie ? Cet avis est partagé par plusieurs officiers et sous-officiers en activité ou retraités rencontrés à ses obsèques. Ce geste est d’autant plus fort qu’il aurait laissé plusieurs écrits, dont un destiné à sa hiérarchie. Un camarade de l’active a pu apercevoir quelques mots de ce dernier : il commence par MERCI …
J’essaie de me convaincre que ce n’est pas « l’état d’esprit gendarmerie » qui a précipité mon ami vers une fin tragique au sujet de laquelle j’ai plusieurs fois entendu le même refrain
» Espérons que sa mort serve à quelque chose ».
Personnellement, j’espère que cette mort de trop fera prendre conscience à nos grands chefs qu’une décision injuste peut avoir des conséquences tragiques. C’est mon souhait le plus cher comme je souhaite aussi que la Gendarmerie soit véritablement une force humaine.
Carmeno
(1) A cette époque, les neimans équipant les AX étaient fabriqués par séries de 200 rigoureusement identiques.