L’honneur d’un Adjudant !

Le 5 décembre 2004 dans la matinée la France entière retient sa respiration. Les autorités militaires affolées communiquent. Elles révèlent qu’un adjudant, au seuil de la retraite, s’est enfermé dans un dépôt d’explosifs dans la Marne. Toute la chaîne de commandement est frémissante. Les plus hautes autorités civiles et militaires sont mobilisées. Le GIGN, ce groupe d’élite spécialisé dans le succès face à l’impossible, est dépêché sur place.

Trois villages, les sites habités les plus proches du camp de Mourmelon où stationne le 8ème Régiment du Matériel, sont évacués. L’adjudant est dévalorisé par le Général qui se répand devant les caméras. Il a réussi à faire causer la Muette. Mais son discours est Panglossien. « Français, écoutez-nous, et même vous, Madame la Marquise dans l’Armée, tout va très bien, tout va très bien… » L’air est connu.

Sauf que voilà, après avoir été vingt neuf années dans l’Armée, après avoir été formé au maniement des explosifs, après avoir été projeté à l’extérieur de la Métropole et sur des lieux où la France intervenait pour sécuriser nos compatriotes ou garantir la paix, après avoir servi la Nation avec dévouement et passion, cet adjudant était présenté comme un « forcené », alors qu’il ne l’était pas.

La Guerre de Connentray n’aura pas lieu

Malheur à l’homme seul dit l’Ecclésia car lorsqu’il sera tombé, il n’aura personne pour l’aider à se relever .

Le 3 décembre les militaires fêtent le Saint Eloi. Pour certains, à la Saint Eloi, on boit. Et même on boit trop. On incite le plus jeune sous-officier à boire, boire et boire encore jusqu’à être saoul, jusqu’à l’ivresse, jusqu’aux vomissements, jusqu’à ce que les tripes se révoltent, que le cerveau se ralentisse.

L’adjudant se souvient d’un de ses amis, mort d’alcoolisme étouffé par ses vomissements, sur le pont d’un bâtiment où personne ne l’avait vu « crever ». Il est mort seul, tout près de ses camarades, et cela reste un non événement.

L’adjudant est triste, triste et encore plus triste. Sa passion, c’est l’Armée. Sa famille, c’est l’Armée. Sa vie, c’est l’Armée.

Bien sûr, il a une famille, un frère, deux soeurs et cette famille malgré l’éloignement géographique lui est proche.

Mais l’adjudant a consacré sa vie à la défense de la Nation. Il est breveté, spécialiste du déminage, une spécialité indispensable pour une armée moderne, pour une armée de métier, surtout pour l’armée française qui se projette à l’extérieur pour des missions de maintien de la paix.

Et l’autorité militaire veut, de manière injuste, lui interdire de la servir encore, à 47 ans. Elle piétine ses mérites. Vingt neuf ans militaire, quatorze ans adjudant et pour remerciement… la porte.

Sa carrière est bloquée depuis 1990. Cette année là il dénonce des faits délictueux qu’il a constatés. Evidemment sa responsabilité n’est pas en cause. Pourtant, il n’évoluera plus.

Tout le monde sait que depuis plusieurs années il subit les pressions, le harcèlement d’une hiérarchie qui considère que pour un militaire, prononcer le mot « droit » est se présenter comme « révolutionnaire ».

Des recours administratifs n’ont pas encore été jugés. L’adjudant a été fragilisé par l’acharnement de ses supérieurs qui l’ont sous-noté alors que ses mérites n’étaient pas appréciés avec équité mais avec « sévérité ».

C’est alors qu’un trop plein d’émotion le conduit, l’esprit entravé, la conscience affectée, jusqu’au dépôt de munitions. Nul ne l’arrête sur le chemin. Il s’enferme et s’endort.

Et le 5 décembre 2004 les autorités craignent que l’écrasement d’un homme par l’Administration ne déclenche la guerre de Connentray !

La DPMAT sous l’effet de souffle

Petit fait : un artificier dans un dépôt d’armes.

Grand effet : l’imagination des généraux fantasmant sur la guerre picchrocholine.

Pour la première fois, l’ADEFDROMIL bénéficie d’une reconnaissance officielle de fait.

Son Président, le Capitaine BAVOIL qui s’est mis dès le 5 décembre vers dix heures à la disposition des autorités, est récupéré par la Brigade rapide d’intervention (BRI) vers 13 heures 30 et emmené dans le camp.

A l’évidence, c’est que les autorités considèrent que l’ADEFDROMIL et son Président sont devenus des acteurs positifs lors d’une situation de crise. Il n’y a qu’un pas pour que les autorités acceptent la nécessité d’une organisation de dialogue et de concertation extérieure au système pour prévenir des conflits, nés ou en germe, et mieux gérer l’Institution.

La famille de l’adjudant est aussi sur place.

La communication entre l’extérieur et l’intérieur du bâtiment durci est difficile techniquement à établir.

Vers minuit, la gendarmerie avait emmené sur les lieux l’Avocat de l’Adjudant.

Il n’a pu entrer en communication avec lui qu’à 6 heures 15 du matin.

Sans bruit, sans dommage pour les hommes ou les biens, sans violence et sans arrogance, très fatigué et perturbé, l’Adjudant se mettait entre les mains du GIGN à 6 heures 45, le 6 décembre.

Le remarquable commandant du GIGN, un chef d’escadron, dont émane ce charisme qui auréole les héros, bien entouré par ses officiers et ses hommes, a contribué à la saine résolution de l’incident.
L’Adjudant avait écrit à Madame la Ministre de la Défense et saisi la presse de son dossier, soldat perdu de la bataille juridique où l’administration pèse de tout son poids, un David affrontant Goliath.

Aucune menace sous condition n’est exprimée.

La dangerosité pour les personnes n’est pas démontrée.

C’est par pure précaution que les trois villages ont été évacués de la même manière que l’on procède à des évacuations lorsqu’un volcan donne des signes d’activité.

Et puis, un accident étant toujours possible, comment imaginer que l’Etat n’ait pas entrepris une vague d’expropriations si réellement l’explosion du dépôt menaçait quatre cent familles et leurs biens, ce n’est pas vraisemblable ?

Les dossiers administratifs de l’Adjudant ont été placés sous scellés dans le cadre de l’enquête judiciaire.

Le conseiller technique chargé des questions relatives à la condition militaire auprès de Madame la Ministre de la Défense s’est engagé au moment où celle-ci affirmait que le dossier serait examiné.

Cet engagement mérite d’être tenu.

Et cet examen doit être sans esprit de revanche.

Si l’Adjudant obtient sa promotion, ce n’est pas un encouragement à l’insubordination mais la preuve qu’un vent nouveau de Justice et d ‘équité vivifie la DPMAT et l’Institution.

Gérard DUCREY
Avocat près la Cour d’Appel de Paris
Chevalier de l’Ordre des Palmes Académiques

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Comité pour la libération de l’Adjudant Le Tohic
Communiqué de la famille de l’Adjudant LE TOHIC

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